Les secrets perdus
De l’antiquité à nos jours, beaucoup de secrets qu’ils soient militaires ou industriels, ont disparus.
Je vous propose de faire un tour de ces secrets perdus des alchimistes : Du cabinet noir de Cromwell qui avait peut-être découvert la photographie avant l’heure, au secret du feu grégeois, en passant par celui de l’acier ou de la purification des diamants. Beaucoup de ces secrets sont perdus à tout jamais.
Le secret du feu grégeois
Il y a des documents assez abondants sur le secret militaire, mais surtout industriel, d’une invention faite à Constantinople le feu grégeois. Pendant quatre siècles, on a cherché à voler ce secret: du VII° au XII°. Les Arabes ont mis quatre cents ans pour y parvenir, mais le secret est perdu, de nouveau perdu. D’après le grand historien anglais Gibbon, les espions arabes qui cherchaient le secret du « feu grégeois » tentaient en fait de récupérer un de leurs propres secrets. D’après Gibbon, l’invention avait été réalisée par un nommé Gallinicos, qui vivait à Héliopolis, en Syrie, et qui déserta le service du calife pour se mettre à celui de l’empereur de Byzance.
Gibbon est fort sérieux, mais cette information parait très peu plausible, la mention d’Héliopolis étant suspecte. L’expérience montre, en effet, que chaque fois que l’on parle parle d’Héliopolis à propos d’une invention alchimique, il ne s’agit pas d’une des nombreuses villes qui ont porté ce nom, mais de la très ancienne société secrète des Frères d’Héliopolis.
Quoi qu’il en soit, des témoins sérieux ont vu en action cette arme absolue de l’époque. Joinville en particulier, qui dit qu’elle était transportée par un javelot lancé par une fronde géante. Il raconte que le feu grégeois partait « comme un dragon ailé à longue queue, épais comme une tête de cochon, volant avec la rapidité de la foudre et un bruit de tonnerre ».
Quand le projectile arrivait, il se produisait une violente explosion et un nuage de fumée noire. Une fois le nuage dissipé, apparaissait une flamme se propageant dans toutes les directions, aussi bien verticalement que latéralement vers le bas.
Si l’on essayait d’arroser cette flamme d’eau, cela lui redonnait de la vigueur. Le sable, le vinaigre et l’urine l’éteignaient.
Pendant quatre siècles, les efforts de l’espionnage industriel de tous les pays furent concentrés sur le « feu grégeois ». Les Italiens en particulier, après la destruction de Pise à la fin du xi’ siècle, se passionnèrent pour le secret, mais ne réussirent pas à le percer.
Les musulmans parvinrent finalement, après de très longs efforts, à voler le secret et à l’utiliser pendant les croisades, puis il s’est perdu.
Il n’a jamais été retrouvé. On sait qu’un dérivé du pétrole, le soufre et la résine de pin entraient dans la composition. On a comparé le « feu grégeois » au napalm, mais les propriétés ne sont pas les mêmes.
Pour fabriquer un feu grégeois moderne, il faudrait ajouter à une espèce de napalm du sodium métallique. Mais il parait très douteux que les techniques de l’époque, même Si l’on admet les secrets alchimiques les plus extraordinaires, aient permis la fabrication industrielle du sodium métallique qui ne peut guère être préparé que par l’électrolyse.
On a cherché à tourner le problème en supposant que les alchimistes, inventeurs du « feu grégeois », avaient réussi à extraire le phosphore s’enflammant au contact de l’eau.
De tels composés existent, mais il est assez improbable que l’on ait pu les isoler, les purifier et les préparer industriellement au Moyen Age. Il vaut mieux reconnaître que le secret est perdu. Comme l’écrit Gibbon
« La composition du « feu grégeois » était gardée secrète avec un soin jaloux. Et la terreur des ennemis était augmentée et prolongée par leur ignorance et leur surprise. »
Cette ignorance reste la nôtre, et nous ne pouvons guère envoyer des espions dans le passé. Le secret du « feu grégeois » a été autrement mieux gardé que celui de la bombe atomique… ou celui de la poudre à carton,
3 000 fourneaux à porcelaine
Il faut attendre le XXIII° siècle pour que l’espionnage industriel s’empare d’un secret de ce calibre : celui de la porcelaine.
Les Chinois fabriquaient de la porcelaine de haute qualité depuis des millénaires. Le secret avait été découvert par les alchimistes chinois, et il était, comme tous les secrets alchimiques, entouré de légendes et décrit sous la forme d’un mythe.
D’après ce mythe, la pâte à porcelaine se trouvait sous la terre dans certains endroits sacrés, et protégée des démons ; elle se transformait en porcelaine sous l’effet des rayons bienfaisants du soleil.
Cette légende n’était pas d’une grande utilité pour pouvoir reproduire la porcelaine. Aussi de nombreux espions industriels furent-ils envoyés en Chine pour s’emparer du secret. Le premier à y réussir fut un jésuite français, le père d’Entrecolles. Il parvint à visiter la cité secrète de King-tô-tchen où se trouvait la manufacture royale de porcelaine. Il l’a décrite dans des lettres datées de septembre 1712 et de janvier 1722.
La cité secrète avait, à l’époque, une population d’un million d’ouvriers ! Trois mille fourneaux à porcelaine transformaient son ciel, la nuit, en un soleil artificiel rouge et orange.
Le père d’Entrecolles étudia en détail toute la technique de la fabrication de cette porcelaine à pâte dure, par l’emploi du kaolin, et envoya à Réaumur des échantillons de matière première, malgré la vigilance du contre-espionnage chinois.
Justement, les chimistes Darcet et Macquer venaient de trouver du kaolin aux environs de Limoges. La manufacture de porcelaine à pâte tendre de Vincennes, transférée à Sèvres en 1756, puit dès 1764 se mettre à fabriquer la porcelaine à pâte dure qui a fait sa réputation. Elle devait être transportée en 1876 à quelque distance dans le parc de Saint-Cloud.
A leur tour, les Anglais volèrent le procédé, grâce à un agent appelé Thomas Briand qui avait travaillé à Sèvres.
En 1738, le rapport du père d’Entrecolles fut intégralement reproduit dans une histoire de la
Chine, ce qui permit aux Anglais d’étendre leur industrie, et même de prendre un brevet. Ce brevet fut valorisé en Angleterre par une loi donnant au propriétaire l’exclusivité de la production et de l’importation de la matière première.
Ainsi les Anglais et les Français, grâce à l’espionnage industriel, arrivèrent-ils à battre de vitesse les Allemands qui, eux, avaient reproduit d’une façon « indépendante v le secret L’alchimiste allemand Friedrich Bôttger (qui aurait aussi fabriqué de l’or), a réussi à reproduire le secret chinois et à fabriquer de la porcelaine. Il utilisa d’ailleurs les recherches d’un chimiste conventionnel Von Tschiernhausen.
Pourtant, Bôttger méprisait la porcelaine il avait mis au-dessus de la porte de son laboratoire cette inscription : « Dieu, notre Créateur, dont les desseins sont incompréhensibles, a transformé un faiseur d’or en potier.
Il préserva ce secret avec une telle efficacité qu’on ne sait même pas en quelle année il fit sa découverte en 1708 ou 1709, semble-t-il. Il ne fabriqua de la porcelaine que parce qu’il était menacé de mort par l’électeur Auguste de Saxe s’il n’arrivait pas à en faire. Bôttger avait été déjà condamné à mort pour alchimie.
La porcelaine, cible de l’espionnage
Bôttger refusa de mettre sur papier la moindre indication sur la fabrication de ce qui allait devenir la porcelaine de Saxe. Cependant, il fit apprendre par coeur une moitié du secret au savant Nehmitz et l’autre moitié à Hartelmei.
Le second savait comment fabriquer la porcelaine, le premier comment la rendre brillante. Dresde devint dès lors le grand centre de l’espionnage industriel au XVIII° siècle.
L’historien anglais George Savage, dans son livre la Porcelaine allemande au XVIIJ< siècle, raconte que ces espions étaient tellement dépourvus de scrupules qu’ils n’hésitaient pas à séduire les filles des fabricants pour voler le secret de leur père. On croirait lire un James Bond.
Les prisons étaient pleines d’escrocs qui avaient vendu de faux secrets pour la fabrication de la porcelaine, et d’ouvriers qui en avaient vendu de vrais. Toutes les auberges à cinquante kilomètres autour de Dresde comme autour de Sèvres se remplirent d’espions et d’agents secrets. La Chine aussi fut envahie par les espions.
D’autres usines se fondèrent à Vienne, notamment, sous la direction de Claudius Innocentus du Paquier, qui recruta ses techniciens dans les auberges prés de Dresde.
L’un d’eux, Stolzel, eut des remords et retourna en Saxe à Meissen après avoir saboté la production à Vienne en ajoutant des impuretés au kaolin. Il cumula ainsi, très tôt dans l’histoire, les fonctions d’agent double et de saboteur. Un véritable précurseur.
Un compagnon de beuverie de Bôttger, Christoph Runger, qui avait travaillé sur l’application de l’or à la porcelaine, à Meissen, voyagea à travers l’Europe en vendant des secrets de la porcelaine, vrais ou faux, à Venise, en Scandinavie et à Saint-Pétersbourg Pendant un bon siècle, la porcelaine devint la grande cible de l’espionnage.
La plupart de ses secrets sont maintenant connus, sauf celui de la fabrication de la porcelaine rose. Une légende persistante dit que les Chinois la coloraient en rose en y ajoutant le sang d’une vierge.
Il ne semble pas que des Européens aient essayé avec succès, et le procédé paraît difficilement brevetable, un tel brevet étant contraire à la morale publique.
Il existe toute une industrie fort malhonnête de fabrication de fausse porcelaine et notamment de vases chinois « anciens » Mais de nouvelles méthodes utilisant le paléomagnétisme et la thermoluminescence (1) permettent désormais de dater la porcelaine et de confondre les faussaires. Il reste encore des découvertes à faire en ce domaine, notamment sur les produits intermédiaires entre la porcelaine et le verre, qu’on appelle les pyrocérames.
On voudrait savoir comment les alchimistes obtenaient à l’origine de très hautes températures dans leurs fours à porcelaine qui servaient également à faire de l’or. Il reste aussi à comprendre comment les alchimistes chinois fabriquant des porcelaines ont pu fabriquer des bronzes d’aluminium. On a en effet trouvé des objets en bronze d’aluminium dans leurs tombes. Ils ont dû trouver un autre procédé que l’électrolyse, mais on ne sait pas lequel.
Après la sordide poursuite des secrets pour la fabrication de la porcelaine, c’est un plaisir que de parler d’un espion industriel romantique, le poète et musicien anglais Foley, qui vécut au XVIII° siècle.
Foley était maître de forges à Stourbridge dans le Worcestershire en Angleterre. Estimant que l’acier anglais de l’époque ne valait pas grand-chose, Foley prit son violon, se déguisa en ménestrel errant et parcourut le continent.
Marchant pieds nus, vêtu de guenilles, gagnant sa vie d’auberge et de château en château. Foley traversa la Belgique, l’Allemagne, la Bohème, l’Italie du Nord et l’Espagne en volant des secrets de fabrication de l’acier.
Il revint en Angleterre, vérifia la qualité des secrets qu’il avait volés, trouva que son acier n’était pas assez bon et retourna sur le continent.
Cette fois la recette fut complète et Foley prospéra. Les guildes de maîtres de forges d’Europe essayèrent de l’assassiner, de voler ses livres de bord, puis de saboter ses usines. Rien ne réussit, et Foley mourut riche. Ses enfants furent anoblis. Le troisième Lord Foley devint un joueur célèbre. Le quatrième eut un revenu de 50 000 livres sterling et vendit une de ses propriétés à Lord Dudley pour 800 000 livres, cela à une époque où les hommes étaient des hommes et les livres sterling des livres. L’espionnage industriel paie
Les secrets arabes furent aussi la proie de l’espionnage industriel; mais sans succès, car ils étaient particulièrement bien gardés. D’ailleurs, les Arabes préféraient les vendre, et les Juifs ont souvent servi d’intermédiaires.
Pendant longtemps les « caravelles du Christ », vaisseaux portugais qui faisaient le tour de l’Afrique, transportaient un Juif, gardien d’une table de fonctions trigonométriques, vendue par les Arabes, et qui permettait de faire le point. Le secret de ces calculs fut jalousement gardé.
Un autre secret arabe, militaire celui-là, s’échappa ; il concernait les fusées, ce qui permit à de nombreux pays d’avoir des fusées de guerre, et notamment aux Anglais de les utiliser pour incendier Washington en 1812, lors d’une guerre bien oubliée maintenant. Les Arabes eux-mêmes appelaient leurs fusées « flèches chinoises », ce qui tendrait à faire croire qu’eux-mêmes ont volé ce secret aux Chinois.
Pendant longtemps, on a cru que la poudre à canon permettait seule de propulser les fusées, et il fallut Newton et sa loi de l’action et de la réaction pour comprendre que n’importe quelle énergie pouvait le faire. De là sont venues, après les V2 de Hitler, les fusées américaines et russes qui ont ouvert à l’homme la route des astres.
L’espionnage industriel a suscité la création du brevet d’invention destiné, en principe, à permettre de conserver un monopole tout en laissant à la communauté le secret après la mort de l’inventeur, grâce à la description contenue dans le brevet.
Dans l’affaire de la porcelaine que nous avons déjà racontée, deux aspects du brevet d’invention sont très nettement apparus. La mise d’un secret à la disposition de la communauté et les dangers du monopole.
Le cabinet noir de Cromwell
Le premier Anglais à breveter la porcelaine s’appelait William Cookworthy. Son affaire fut reprise par un autre Anglais, Richard Champion, qui avait de nombreuses relations au Parlement et qui fit voter une loi lui accordant le monopole absolu. On protesta beaucoup en alléguant des bonnes intentions de Cookworthy qui aurait voulu faire profiter toute l’Angleterre de ses découvertes. Mais, en fait, c’est un monopole qui se forma.
On continue à discuter des avantages et des inconvénients du brevet d’invention. Ce qui paraît certain c’est que à notre époque de techniques complexes, il est difficile de reproduire une invention d’après le brevet seul, il faut avoir des renseignements supplémentaires que l’on appelle généralement le know-how, même en français.
La traduction la plus proche du terme know-how est le savoir-faire. C’est un savoir-faire qui fut volé, aussi bien dans l’affaire de la porcelaine que dans les aventures de Foley.
Le brevet d’invention, en revanche, s’il n’empêche pas l’espionnage industriel, favorise une négociation honnête, et il ne faut pas oublier qu’il doit sa naissance à la multiplication des espions industriels au Moyen Age. On pense aussi que le brevet d’invention évite la perte des secrets. Pourtant, un grand nombre de secrets sont perdus et non des moindres.
C’est ainsi que le secret du verre flexible est perdu. Que le secret du fer inoxydable est perdu. Que le procédé d’un grand nombre de teintures pour la soie et la laine est oublié. Que la plupart des couleurs employées aux grandes époques de la peinture à l’huile sont impossibles à reproduire.
Perdu aussi un secret dont on m’a parlé à Scotland Yard. On le trouve dans des documents qui ont été laissés par les réseaux du service secret de Cromwell et John Thurloe à ma connaissance cette histoire n’a jamais été racontée.
Thurloe avait, à l’époque, un crédit annuel de 70 000 livres pour son service de renseignements. Il employait les meilleurs cryptographes de l’époque, notamment le docteur John Walles d’Oxford qui, en 1654, déchiffra tout le code secret des émigrés qui voulaient assassiner Cromwell. Or, un jour, Thurloe reçut la visite d’un homme qui n’a jamais voulu donner son nom, qui lui a tenu le langage suivant
– Sir, vous perdez énormément de temps dans le cabinet noir. Vous recopiez des lettres après les avoir décachetées, et cela vous coûte cher en employés et en temps perdu. Or, Si vous me laissez seul avec une lettre, dans une minute, je vous en remets une copie exacte. La copie s’effacera quelques heures après, mais vous aurez eu le temps de la lire, sans l’avoir décachetée. Thurloe se mit d’accord avec l’inconnu, et celui-ci continua à travailler pour lui tout le temps que dura le protectorat d’Olivier Cromwell et de son fils Richard.
Thurloe a ainsi pu empêcher Cromwell d’ouvrir une lettre empoisonnée qui lui avait été adressée de France. Il a pu briser la conspiration de Sir John Packington qui introduisait des munitions en Angleterre, camouflées en savon et en vin. Il a pu briser la société secrète royaliste le Noeud scellé qui voulait aussi assassiner Cromwell.
A l’arrivée au pouvoir de Charles Il d’Angleterre, Thurloe se retira, bien que le nouveau roi lui ait demandé de rester. L’inconnu du cabinet noir partit avec une bourse d’or, et le secret ne fut jamais révélé. Les spécialistes anglais qui m’en ont parlé, m’ont dit
– Il s’agissait simplement, pensons-nous, d’une sorte de photographie sans la fixation à l’hyposulfite. C’est pourquoi les images s’effaçaient. Je dois dire que je ne suis pas convaincu
Je ne vois pas du tout comment les techniques de l’époque auraient pu permettre, à partir des substances photosensibles que nous connaissons, une telle réalisation. Je pense plutôt qu’il s’agissait de quelque chose de nouveau et qui n’a pas été retrouvé de nos jours. D’autant plus que l’inconnu opérait aussi bien à la plus mauvaise lumière du jour, voire à la chandelle.
La substance qu’il a découverte n’était probablement pas photosensible, à mon avis, mais changeait de couleur au contact de l’encre, ce changement ne durant pas plus de quelques heures. L’inconnu devait en enduire les feuilles de papier qu’il utilisait. En tout cas, les adversaires de Thurloe n’ont jamais pu percer son secret.
On trouve un autre secret vraiment singulier dans les souvenirs de Sir John Evelyn. Ce gentilhomme anglais a laissé un journal très précieux. Se trouvant à Rome au début du XVII° siècle, il fut abordé par un homme qui lui dit
<Milord, je voudrais vous vendre une merveille.>
Et l’inconnu lui montra une bague dans le chaton de laquelle brillait un point incandescent extrêmement lumineux. Avec ce point lumineux, l’inconnu alluma la pipe de John Evelyn. Puis il fixa un prix.
Evelyn voulut discuter, l’inconnu répliqua sèchement « Milord, je ne marchande jamais », et se perdit dans la foule. Evelyn ne put jamais le retrouver.
Or, même en utilisant les isotopes radioactifs, je défie qui que ce soit de mettre dans le chaton d’une bague une source de chaleur capable d’allumer une pipe. Une cigarette peut être, mais pas une pipe, qui exige une température plus élevée. Voilà bien un secret perdu non seulement pour le XVI° siècle, mais pour nous-mêmes. La bague que Sir John Evelyn a vue était très nettement en avance sur son temps, et elle l’est encore sur les techniques du XX° siècle. Elle fut probablement réalisée par un alchimiste.
Le secret de la poudre à canon
Il s’agît certainement d’un secret alchimique. Une tradition attribue à un moine bénédictin allemand nommé Berthold Schwartz (vers 1318-vers 1384) l’invention de la poudre, mais il semble plutôt que ce ne soit là qu’une sorte de légende allégorique, une image représentant une des manipulations alchimiques, la préparation des ténèbres (schwartz = noir).
Le secret fut simplement volé aux Musulmans et aux Chinois, un peu par tout le monde, et la poudre noire utilisée avec les armes à feu s est répandue dans le monde entier.
Le secret est très simple puisqu’il suffit, en effet, de mélanger en proportions appropriées du charbon, du soufre et du salpêtre. C???est probablement cette simplicité qui a permis aux espions de le voler assez facilement.
Les alchimistes ont été les premiers à réaliser l’acide nitrique et l’acide sulfurique. Dés le XIV° siècle, ils savaient – on se demande comment- que l’acide nitrique, bien que provenant du nitre et du salpêtre, avait des éléments en commun avec l’air.
Ils ont fabriqué l’acide sulfurique en quantité, et « vitriol » figure parmi leurs symboles. Ils ont également fabriqué un certain nombre d’autres acides, jetant ainsi les bases de la grande industrie chimique moderne.
La fabrication de l’acide sulfurique leur a notamment permis de découvrir le phénomène de catalyse qui reste encore inexpliqué et qui joue probablement un grand rôle dans les opérations du type alchimique.
Tous les secrets de fabrication des acides ont été assez rapidement volés aux alchimistes arabes et, d’Espagne ou d’Afrique, sont passés en Europe.
La conservation des aliments
Ce secret intéressait beaucoup les alchimistes, et ce n’est pas sans raisons que Nostradamus, après s’être longuement intéressé à leur confection, publia son Traité des Confitures où, malgré la compétence de l’auteur, l’on retrouve presque l’obscurité naturelle de son langage des Centuries.
Certains ont soutenu qu’au cours de ses recherches approfondies, il aurait découvert l’acide salicylique et l’acide benzoïque qui, en effet, sont d’une grande importance pour la longue conservation des confitures.
On pourrait presque dire que Nostradamus a inventé l’aspirine, qui est un dérivé de l’acide salicylique, et qui est le médicament le plus employé à notre époque.
Nostradamus étudia aussi un grand nombre de drogues. Peut-être en a-t-il trouvé une, lui donnant des pouvoirs parapsychologiques extraordinaires, mais cela est une autre histoire.
Le secret de la conservation des aliments fut volé plusieurs fois, et on le voit apparaître un peu partout jusqu’à ce que naisse l’industrie de la conservation par le froid.
Le secret de l’acier
Comme l’a montré le grand essayiste Mircea Eliade, les forgerons furent, à l’origine, très voisins des alchimistes, et des liens les unissent encore. Les divers traitements de l’acier ont conservé pendant longtemps un aspect magique, et une des plus étonnantes histoires de secret volé puis expliqué s’y rattache.
Pendant les Croisades, des espions chrétiens surprirent le secret de la trempe de l’acier de Damas pour donner des lames à la fois fines et flexibles. Ce secret consistait à porter la lame au rouge puis à la plonger dans le corps d’un esclave vivant.
Une fois le secret ramené en Occident, on essaya avec des animaux au lieu de serfs ou d’esclaves. Cela marchait aussi bien. On essaya ensuite avec des peaux d’animaux flottant dans l’eau, on continua à obtenir le même résultat.
Puis au XIX° siècle, les progrès de la chimie ont permis d’isoler l’agent actif qui intervenait dans tous ces phénomènes et qui est l’azote la nitruration était née.
Nous voyons là, avec toutes ses étapes, le passage d’une pratique de type magique à une connaissance technique scientifiquement fondée. Ce qui ne veut pas dire que les problèmes des aciers primitifs, que j’aurais tendance à appeler aciers artistiques, conformément à la définition de l’alchimie, soient résolus.
Les alchimistes avaient un acier ou un fer nettement inoxydable. Je dis un fer parce que des travaux récents montrent que le fer extrêmement pur, le fer 99,999999999 pour 100 pur, paraît être au moins aussi inoxydable que l’or et même un peu plus puisque, d’après certains chercheurs, il résiste à l’eau régale.
De même, on n’a pas pu retrouver le composé décrit plusieurs fois par les alchimistes et qui, à froid, traverse une épaisse plaque d’acier. On trouve la description de telles expériences jusqu’au XVIII, siècle, et puis l’on n’en parle plus.
D’une façon générale, l’acier artisanal possède des propriétés que n’a pas l’acier du haut fourneau et du convertisseur. J’ai vu. à l’étude dans un laboratoire ultramoderne français, un couteau fabriqué par un artisan au XIX, siècle qui avait des propriétés très supérieures à celles des meilleurs aciers inoxydables modernes.
Lorsque les Chinois fabriquèrent de l’acier dans de petits « bas fourneaux familiaux, on a constaté que cet acier était supérieur aux meilleurs aciers modernes, mais qu’il perdait ses propriétés Si l’on cherchait à l’allier à l’acier produit par les usines chinoises les plus modernes, ou importé.
Le problème de l’acier est un problème très complexe où interviennent des catalyseurs, des impuretés, celles-ci quelquefois en très faibles quantités, ainsi que le magnétisme et d’autres phénomènes encore très mal connus. Il est tout à fait possible qu’empiriquement les alchimistes aient découvert des méthodes de fabrication de l’acier que nous ne connaissons plus.
Le secret de la purification des diamants
Les diamants ont souvent des impuretés colorées qui en diminuent la valeur. Des témoignages nombreux et concordants montrent qu’aussi bien les alchimistes du Moyen Age que, plus tard, le comte de Saint-germain, arrivaient à purifier les diamants.
Ce qui pose un problème singulier. Théoriquement, une telle opération est possible à condition de transmuter les impuretés colorées en une pureté incolore, par exemple le fer en titane. Mais cela exigerait une pile atomique très puissante qui permettrait de bombarder le diamant en question par des neutrons. Le carbone absorbe très peu de neutrons, c’est pourquoi on emploie le graphite comme modérateur dans les piles.
Mais ni les alchimistes ni le comte de Saint Germain ne disposaient d’une pile atomique. Alors comment procédaient-ils ? C’est encore un secret perdu. Notons que les alchimistes n’ont jamais prétendu fabriquer du diamant.
Voilà donc quelques-uns des secrets sur lesquels les espions industriels du Moyen Age et de la Renaissance s’acharnaient. Et c’est le moment, me semble-t-il, d’attirer l’attention sur le côté positif de l’espionnage industriel. Alors que la tradition disait que de nombreuses opérations et manipulations physiques, chimiques et biologiques étaient uniquement réservées à des initiés, l’espion industriel du Moyen Age et de la Renaissance croyait que ces expériences pouvaient être reproduites à condition, évidemment, de voler suffisamment de renseignements pour ne pas tâtonner indéfiniment.
L’espion avait donc, à la morale prés, la même attitude que le savant et le technicien modernes une expérience, lorsqu’elle a été clairement décrite, doit pouvoir être reproduite par un autre expérimentateur. Et il ne faut pas oublier que ce sont les espions industriels qui ont propagé cette idée fondamentale. La naissance de la science, la naissance de l’industrie doivent donc beaucoup à l’espionnage industriel.
Des savants éminents, comme Benjamin Franklin par exemple, n’ont pas dédaigné de s’occuper d’espionnage industriel comme aussi d~espionnage politique et militaire.
L’espionnage industriel a donc eu à l’époque précédant la naissance du brevet d’invention un rôle nettement positif. Au XVII° siècle, la naissance du brevet d’invention a commencé à donner à un inventeur ou à un chercheur un minimum de protection contre les voleurs. Le détenteur d’un brevet d’invention pouvait poursuivre les voleurs de son secret pendant une période pouvant aller jusqu’à vingt ans, et puis le secret revenait à la communauté.
La situation s’est terriblement compliquée depuis, mais la naissance du brevet d’invention marque tout de même la fin d’une période, que l’on pourrait qualifier d’artisanale, de l’espionnage industriel
Jacques Bergier