Pour échapper aux vampires, rien ne vaut les vieilles recettes.
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Cimetière communal du village de Celaru, Roumanie
Amărăştii de Sus est un village aride d’Olténie [une région du sud du pays], bâti, comme n’importe quel village des plaines, autour d’une longue route centrale bordée de maisons soignées, d’un stade « européen » et de quelques tavernes braillardes. La quiétude du village est cependant troublée par une tradition ancestrale : celle de « tuer » les morts qui se sont transformés en moroi (comme on appelle ici les strigoi, les revenants) et reviennent hanter leurs proches. En Olténie, ce genre de pratiques ancestrale est plus courante que dans toute autre région.
En 2003, plusieurs villageois du village voisin de Celaru ont déterré un mort qu’ils soupçonnaient s’être transformé en revenant, ils ont arraché son cœur, l’ont brûlé, puis ont bu les cendres avec de l’eau. L’affaire a fait grand bruit, six personnes ont été reconnues coupables de profanation de sépulture et ont été condamnées à une peine de prison et à payer des dommages moraux à la famille. Aujourd’hui tous les morts d’Amărăşti sont piqués « préventivement » dans le cœur ou le ventre avec des pieux durcis au feu, pour qu’ils « ne sortent pas de leurs tombes ».
Ce dimanche après-midi, quelques voisins d’une partie pauvre du village papotent sur un banc. Le travail ne presse pas, la récolte de blé a été riche, les provisions pour l’hiver sont engrangées et les animaux somnolent. Lorsque les ragots communaux sont épuisés, les discussions prennent un chemin « underground ». « Moi, je n’ai jamais été hantée par les morts parce que je leur ai piqué le cœur à tous, c’est bien comme ça« , lance Dumitra, une femme de 71 ans. Elle ne l’a pas fait elle-même, mais a fait appel à des « intermédiaires » plus habitués, qui savent faire preuve de sang froid. Après la mort, on dit que parfois l’âme du défunt ne se contente pas d’être pleurée durant 40 jours, ou de boire le verre d’eau ou de vin que la famille lui a laissé sur le rebord de la fenêtre, puis de monter au ciel. Dans ces cas, disent les villageois, l’esprit sort de la tombe, devient moroi et retourne à la maison tourmenter sa famille.
Une fois que la boîte de Pandore est ouverte, le flot d’histoires ne tarit plus. La voix du village raconte que c’est pendant les six premières semaines après l’enterrement qu’on voit si le mort est ou non un strigoi. Pendant cette période, si son cœur n’a pas été piqué et qu’il se transforme, il revient la nuit et prend le lait des vaches, la vigueur des hommes, apporte la grêle ou la sécheresse, et va même jusqu’à « se nourrir des siens », c’est-à-dire qu’il entraîne avec lui ceux qui lui sont liés par le sang. Si un parent entend le mort l’appeler, il ne doit surtout pas répondre, car il y perdrait au moins la voix. Si le mort ne donne pas signe de vie pendant quarante jours, alors la famille peut dormir tranquille.
Ioana Popescu, directeur de recherche au Musée du Paysan Roumain, à Bucarest, dit que de telles pratiques persistent dans les campagnes, où le monde est étroitement concentré autour de la communauté. « Dans les sociétés traditionnelles, il arrive souvent que pour une raison ou pour une autre, après qu’un membre de la famille ou de la collectivité décède, quelque chose de mauvais se produise. On fait ainsi le rapport avec le mort, pensant qu’il entraîne avec lui les vivants dans l’autre monde ou qu’il revient se venger de ses ennemis« . La chercheuse estime que « nous ne pouvons pas juger avec notre mentalité contemporaine une pratique traditionnelle, créée à un moment donné par une mentalité collective« .
Avec des particularités suivant la région, la tradition dit que sont destinés à se transformer en strigoi ceux qui sont nés avec un « chapeau« [des croûtes de lait sur le cuir chevelu], ceux qui ont les yeux bleus, les enfants non baptisés, les morts qui ont fait du mal dans la vie, ceux qui meurent pendus, noyés ou fusillés ou les morts non-veillés sur lesquels passent des chats, des chiens, des souris, des poulets ou d’autres drôles d’oiseaux. D’où la tradition de garder le mort dans la maison et, dans certains endroits, d’enfermer tous les chats pendant ce temps. Pour empêcher la métamorphose du mort en strigoi, les gens ont développé toutes sortes de pratiques. Au Bihor, dans l’ouest du pays, les veuves dormaient avec des chiffons entre les jambes pour que le strigoi ne revienne pas dans le lit. Ailleurs, on pose sur la poitrine du défunt une pochette de tissu contenant des graines de pavot, ou des cailloux, dans l’idée que les strigoi seront occupés à les compter et ne penseront pas à retourner à la maison. A d’autres, on plantait des clous dans les talons pour qu’ils ne puissent plus marcher ou on leur en remplissait la bouche. Mais la méthode la plus sûre reste de percer le cœur avant l’enterrement…
Petit rappel
Empalement
Le prince Vlad Tepes n’a jamais été un vampire. Mais sa soif de sang et la façon dont il pensait venger les injustices sont restées célèbres. Sa punition préférée était l’empalement : avant d’être planté à la verticale, le pieu
(“pal”) était enfoncé au-dessous du sternum du supplicié ou parfois dans son anus. Il mourait lentement, un peu comme dans une crucifixion.
Source: http://www.courrierinternational.com