Le 4 août 1997, le gendarme est retrouvé mort. Il se serait suicidé de deux balles dans la tête, deux jours pourtant avant son audition comme témoin principal dans l’affaire Émile Louis, l’enquête de sa vie qui allait enfin aboutir.
Le dossier est refermé, jusqu’à ce qu’Isabelle, la fille de Christian Jambert, intriguée par les développements de l’affaire Émile Louis, se décide à demander une nouvelle enquête sur les « causes de la mort » de son père. En avril 2004, le parquet ouvre une information judiciaire contre X pour assassinat sur la base d’un premier rapport d’autopsie jugeant les deux impacts de balles peu compatibles avec un suicide. Lors de l’autopsie de la dépouille de Christian Jambert à l’Institut médico-légal de Paris, il a été constaté deux orifices présents sur le crâne du gendarme correspondant aux entrées de deux projectiles, tirés selon deux angles perpendiculaires.
En février 2011, un non-lieu est rendu sur sa mort. « Contrairement à ce qu’avait affirmé l’expert balistique d’un premier collège d’experts, la carabine retrouvée à proximité du corps, et dont le fonctionnement avait été modifié par Christian Jambert pour que l’arme puisse tirer en rafale, était bien celle qui avait tiré deux balles dont les fragments avaient été retrouvés dans le crâne de l’ancien gendarme », explique le procureur d’Auxerre.
La famille du gendarme fait appel de cette décision qui est confirmée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris en février 2012. La famille de Christian Jambert, par l’intermédiaire de son avocat, s’est pourvue en cassation.
Mais qui était Christian Jambert ?
Christian Jambert a fait l’essentiel de sa carrière dans la gendarmerie d’Auxerre.
Il est reconnu par tous comme un enquêteur hors pair, comme en témoignent le gendarme Thierry Bouillevaux, ancien collègue de Christian, mais également Jacques Moreau, ancien assesseur du juge pour enfants au tribunal d’Auxerre et ami de la victime.
l réussissait pratiquement toutes les missions qu’on lui proposait.
Au début des années 80, Christian Jambert a quarante ans. On lui confie une affaire qui va complètement bouleverser sa vie.
L’affaire des disparues de l’Yonne
En 1981, à Rouvray, le corps d’une jeune femme en quasi-décomposition est découvert dans une cabane isolée. La première mission de l’adjudant Jambert est de découvrir l’identité de la victime : elle s’appelle Sylviane Lesage, elle est âgée de 23 ans et vient de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales).
Elle a un amant, un chauffeur de cars aux Rapides de Bourgogne à Auxerre prénommé Emile Louis. Le gendarme arrive assez vite à la conclusion que celui-ci est sans doute son meurtrier.
En poursuivant son enquête, Christian Jambert s’aperçoit que ce chauffeur connaissait bien six autres jeunes femmes handicapées, disparues quelques années auparavant. Elles étaient toutes également issues de la DDASS : Jacqueline Weiss, Chantal Gras, Madeleine Dejust, Françoise et Bernadette Lemoine, et Martine Renault.
Il communique les résultats de son enquête à Daniel Stilinovic, substitut du procureur de la république d’Auxerre.
Son enquête, c’est une mise en lumière intéressante en regroupant ensemble 7 disparitions. On constate que dans les 7 cas, il y a Emile Louis qui tourne autour.
Contre toute attente, le juge Jacques Bourguignon refuse d’instruire et le procureur René Meyer n’insiste pas.
L’affaire des disparues tombe alors dans les oubliettes. La justice mettra des années avant d’inculper le tueur en série Emile Louis, qui continuera de sévir dans le sud de la France.
En 1995, le gendarme Jambert prend sa retraite, il a 55 ans.
L’année suivante, l’émission « Perdu de vue » s’intéresse à l’affaire des disparues de l’Yonne. Ce jour-là, une nouvelle victime d’Emile Louis est identifiée : Christine Marlot.
Pour l’émission Christian Jambert est interviewé par un journaliste et son travail est enfin rendu public. L’affaire des disparues de l’Yonne est relancée.
Maitre Gonzalez de Gaspard, avocat des victimes à l’époque, dépose une requête officielle pour que Christian Jambert soit entendu en qualité de témoin. Mais le gendarme à la retraite n’arrivera pas dans le bureau du juge.
Quelques semaines plus tard, Christian Jambert est retrouvé mort dans son garage. Il se serait tiré une balle dans la tête.
Les incohérences de l’enquête sur le suicide de Christian Jambert
Pourquoi se donner la mort alors qu’on est à l’aboutissement d’un travail qui a duré des années ?
« Le mystérieux suicide de Christian Jambert » réalisé par Thierry Fournet est une enquête très méticuleuse. Il pointe et analyse les incohérences et les nombreux rebondissements autour de la mort de l’ancien gendarme en faisant appel à différents professionnels (médecin légiste, expert balisticien…), mais également en écoutant les proches de l’ancien gendarme.
? Les premières constations
Dès le début de l’enquête, de nombreuses questions restent sans réponse.
Ce sont les gendarmes qui arrivent au domicile de Christian Jambert pour constater son décès. Or, dans une ville comme Auxerre, la compétence pour cette affaire relève des services de la police et non de la gendarmerie.
Lors de ces premières constatations, de nombreux éléments troublants apparaissent sur les photos prises par les gendarmes : l’arme posée sur les jambes de la victime, des projections de sang difficilement compatibles avec un coup de feu dans la tête, des traces de pas dans le sang, quatre douilles près du corps…
C’est un médecin légiste qui aurait dû constater le décès, mais c’est un docteur de SOS médecins qui est réquisitionné et qui arrive sur place. Il met seulement dix minutes pour conclure à un suicide.
Les règles que doit respecter un médecin légiste lors d’une mort suspecte sont très précises : la température du corps, relever des traces sur le revêtement cutané (blessures, état des ongles…).
On remarque une plaie avec ecchymose au sommet du crâne de l’ancien gendarme. Un indice troublant qui n’a pas alerté le médecin ayant procédé aux premières constatations. Pour lui, l’ecchymose est due à la chute du corps après le coup de fusil. Pour le docteur Marcaggi, médecin légiste expert auprès des tribunaux, l’ecchymose devrait se trouver derrière le crâne après la chute sur le dos et non au sommet de la tête.
L’enquête sur le dossier Jambert a duré un mois et ne comporte ni autopsie, ni reconstitution.
C’est une enquête catastrophique, une enquête indigne !
Déroutés par cette décision, les enfants de Christian Jambert rejoignent l’Association des Handicapés de l’Yonne de Pierre Monnoir.
? Les autopsies
Sept ans après son inhumation, en mars 2004, grâce à la ténacité des parties civiles et de leur avocat, le corps de Christian Jambert est exhumé pour une recherche des causes de la mort.
Une première autopsie est pratiquée à l’institut médico-légal de Paris.
C’est un coup de tonnerre : l’ancien gendarme a deux balles dans la tête : une première balle a été tirée dans la tempe et un second projectile est entré par la bouche. Michel Malherbe, expert balisticien médico-légal auprès des tribunaux, analyse la probabilité d’un suicide à l’aide de deux balles de trajectoires différentes.
Dans la bouche, au niveau de la trajectoire, ça ne va pas…c’est beaucoup plus difficile, voire impossible, avec une carabine de se tirer une balle dans la tempe.
Les experts concluent au meurtre. Suite aux résultats de cette première autopsie, Isabelle, la fille de Christian Jambert, porte plainte pour homicide. Un élément capital conforte la thèse de l’homicide : la balistique.
Jean-Claude Schlinger, expert balisticien près de la Cour de cassation a participé à l’autopsie de Christian Jambert. L’arme retrouvée sur les genoux de la victime est une carabine 22 Long Rifle que celui-ci avait modifié pour qu’elle tire en rafale.
Si elle est transformée pour tirer en rafale, la totalité du chargeur se vide en 1 seconde. C’est-à-dire qu’en 1 seconde, on va tirer 10 cartouches.
Impossible donc de ne tirer que deux balles, et encore moins qu’elles aient une trajectoire complètement différente !
Après cette première autopsie, le juge va en ordonner deux autres.
Pour les spécialistes de ce type d’expertises, dès la deuxième autopsie, il devient extrêmement difficile d’arriver à une conclusion satisfaisante, tant il est clair que la première autopsie a détruit trop de choses, pour rendre possible une réelle contre-expertise.
Après trois autopsies contradictoires le juge d’instruction classe l’affaire.
? Les hypothèses
Si le gendarme ne s’est pas suicidé, qui aurait pu en vouloir à sa vie ?
Les témoins consultés pendant cette enquête menée pour ce film sont unanimes pour dire que Christian Jambert se sentait menacé.
Il m’a toujours dit « si tu as apprends que si j’ai été renversé par une voiture ou un camion…ne cherches pas, ça a été fait volontairement. »
Selon ses proches, ces menaces ne sont pas liées à l’affaire des disparues.
Même à la retraite, l’ancien gendarme continuait à enquêter sur d’autres dossiers et avait un double de tous ses dossiers chez lui, dans une sacoche.
Parmi ces dossiers, il y avait une affaire de trafic d’armes au sein de la gendarmerie, un dossier sur un château dans la Nièvre qui accueillait un centre islamiste, une enquête sur la découverte du corps de Bérégovoy et il enquêtait également sur un truand sur la région d’Auxerre… Et la sacoche contenant tous ces dossiers n’a jamais été retrouvée.
S’il fallait enseigner aujourd’hui ce qu’il faut faire sur une affaire de crime, on pourrait prendre a contrario le dossier Jambert pour montrer tout ce qu’il ne faut pas faire !
Le 20 octobre 2018, la ville d’Auxerre rassemblée rendait un hommage appuyé au gendarme Christian Jambert, en lui donnant le nom d’un square, et pas n’importe lequel : celui où est dressée une statue érigée en 2005, en hommage aux jeunes femmes disparues de l’Yonne pour lesquelles il s’était tant battu.
Source : internet et https://france3-regions.francetvinfo.fr