Andrea Yates, « La Desperate Housewife« .
Avec Andrea Yates, née en 1964, au moins, c’est simple : la jeune femme était tout simplement persuadée d’avoir Satan dans la tête. Pensant être un danger pour ses enfants, elle était convaincue qu’en les tuant elle pourrait leur permettre de lui échapper. Elle noya donc ses 5 enfants un par un dans la baignoire familiale à Houston, au Texas, avant de se rendre à la police.
Le créateur de la série Desperate Housewives, Marc Cherry, a d’ailleurs expliqué avoir eu l’idée de son scénario après avoir visionné un documentaire sur l’affaire : pas de rapport avec le quintuple infanticide, mais il a été inspiré par la différence entre l’image qu’elles renvoient à l’extérieur et ce qu’il se passe réellement derrière la porte.
C’est une banlieue tranquille baptisée Clear Lake, au sud-est de Houston. Une succession de résidences proprettes, entourées de pelouses rasées de près, qui ressemblent au rêve américain de toute une classe moyenne. Au 942, Beachcomber Lane, la maison de style espagnol n’attire pas l’oeil. Un chien joue dans le jardin, des paniers de basket encombrent le garage. Andrea et Russel Yates y avaient emménagé en 2000. Lui, ingénieur à la Nasa, elle, infirmière devenue femme au foyer. Quand les policiers se sont rendus à cette adresse le 20 juin 2001, ils n’avaient aucune idée de ce qui les attendait. La femme avait appelé les urgences, le «911», et répété à plusieurs reprises qu’elle avait «besoin de la police». En arrivant, les officiers ont trouvé Andrea Yates trempée de la tête au pied. Sur le lit conjugal, elle avait enveloppé dans une couverture quatre de ses enfants qu’elle venait de noyer dans la salle de bains. Le cinquième, âgé de 7 ans, était encore dans la baignoire.
Non coupable. Huit mois plus tard va s’ouvrir à Houston un procès qui retient l’attention de toute l’Amérique. Alors que se poursuit une sélection des jurés longue et difficile, les premiers témoins viendront à la barre le 18 février. Andrea Kennedy Yates, 37 ans, a bien reconnu avoir tué ses cinq enfants, mais ses avocats ont décidé de plaider non coupable en invoquant la folie. Les procureurs, eux, ont réclamé la peine capitale pour la mort de Noah, 7 ans, John, 5 ans, et Mary, 6 mois. La mort des deux autres enfants, Paul, 3 ans, et Luke, 2 ans, pourrait éventuellement être dissociée et entraîner un autre procès.
En moins d’un an, l’affaire a provoqué un débat sans précédent au Texas, mobilisant tout à la fois les lobbies pour la peine de mort, les groupes féministes, les autorités médicales et les services sociaux. Au fil des semaines, la saga d’Andrea Yates s’est ainsi révélée beaucoup plus complexe encore que certains auraient pu l’imaginer. Malgré sa vie en apparence sans soucis, cette mère souffrait de fortes dépressions postnatales. Après la naissance de son troisième enfant, elle avait tenté à deux reprises de se suicider et fait plusieurs séjours à l’hôpital, subissant des électrochocs.
Surtout, on a appris qu’un psychiatre, quinze jours avant le drame, avait décidé de ne plus prescrire à la jeune femme un médicament puissant, le neuroleptique Haldol, censé calmer les épisodes psychotiques. Ses avocats assurent aujourd’hui que c’est durant l’un de ces épisodes qu’elle a tué ses enfants. L’accusation a admis le «problème médical» mais assure qu’Andrea Yates savait faire la différence «entre le bien et le mal», lors de son acte et qu’elle est donc passible de la peine de mort. Selon le magazine Time, la jeune femme, qui élevait ses enfants dans la religion la plus stricte, aurait confié en prison qu’elle se croyait possédée par le démon et que seule son exécution pourrait la «délivrer».
«Elle était appréciée de tout le monde», dit Stephen Johnson, le voisin du couple Yates sur Beachcomber Lane.
Elle venait souvent nous voir et apporter des gâteaux à nos enfants. Quand on a appris ce qui s’était passé, on a tous été sous le choc.» A Clear Lake comme dans toute l’Amérique, nombreux sont ceux qui ont essayé de comprendre ce qui s’était passé ce fameux 20 juin 2001. Les chaînes de télévision ont multiplié les programmes sur le baby blues.
«Les gens viennent me voir et me demandent pourquoi?», confie le pasteur Byron Fike, qui a organisé les funérailles des enfants Yates à sa Church of Christ.
«Mais je n’ai pas de réponse. La réponse, c’est qu’Andrea Yates était malade, c’est tout. Elle n’éprouvait pas de haine pour ses enfants, elle ne les battait pas. Elle a perdu la raison, et elle ne mérite pas la peine de mort.»
Argument électoral. En plein coeur de Harris County, le comté de Houston qui détient le triste record du plus grand nombre d’exécutions aux Etats-Unis, ce que le pasteur Fike qualifie de «message de compassion» n’est cependant pas entendu par tout le monde. L’année dernière encore, le gouverneur Rick Perry, qui a succédé à George W. Bush, a opposé son veto à une loi votée par le Congrès texan pour interdire l’exécution de toute personne atteinte de «troubles mentaux».
«C’est sûr, Andrea pourrait être exécutée simplement parce que cela profitera politiquement à quelqu’un, assure Deborah Bell, la présidente à Houston du groupe féministe NOW. Ici, les procureurs sont élus, et les exécutions restent un puissant argument électoral. Cette femme n’aurait même jamais dû être traduite en justice. Durant les interrogatoires de police, elle parle toute seule et dit qu’elle entend des voix. Comment peut-on estimer qu’elle est responsable de ses actes?»
Il y a quelques semaines, Deborah Bell a donc décidé de contribuer à un fonds pour la défense d’Andrea Yates, créé par les avocats de l’accusée. Aussitôt, elle a été insultée et menacée par e-mails et par téléphone.
«J’ai été traitée de tous les noms. Comme si j’avais décidé de défendre le diable lui-même…»
Dans son bureau, Diane Clements rejette d’un geste de la main «ceux qui se cachent derrière les expertises médicales». A la tête de l’association Justice for All (Justice pour tous), qui réclame la réforme d’un système judiciaire jugé «trop laxiste», cette femme dit qu’elle «parle au nom de nombreux Texans», en assurant que «Yates mérite la mort, parce qu’elle est une tueuse sadique».
«Qu’est-ce que racontent ses avocats? Qu’elle est déprimée!… Moi, je ne tue personne quand je suis déprimée», s’insurge-t-elle.
Pour Clements, la règle est simple: tout accusé jugé coupable de crime grave doit être exécuté.
«C’est au jury de décider si quelqu’un est malade ou fait semblant de l’être. Andrea Yates a commis un crime horrible. Elle doit payer.»
Soins en accusation. Au fil des jours, le procès pourrait toutefois élargir le champ des responsabilités. Certains parlent déjà d’«erreur professionnelle», en évoquant le médecin qui suivait Andrea Yates et a décidé d’interrompre son traitement.
D’autres mettent en cause Russel Yates, qui a décidé de soutenir son épouse, mais est aussi décrit comme un mari très autoritaire, ayant psychologiquement profité d’une femme faible. Au final, c’est peut-être tout le système de santé texan qui sera remis en cause.
«Quelqu’un qui dispose d’une assurance au Texas ne peut rester que sept jours à l’hôpital, après, il n’est plus remboursé», explique Chris Tritico, avocat et trésorier du fonds de défense d’Andrea Yates, qui n’a récolté que 15 000 dollars (17 300 euros).
«C’est aberrant. Si Andrea avait été suivie par les médecins, si elle avait été traitée convenablement, peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé.» Selon Chris Tritico, les jurés devraient juger Andrea Yates coupable et la condamner à la prison à vie, du fait de ses troubles mentaux. Mais, comme il le dit lui-même, «rien n’est sûr au Texas».
Dans sa prison, la jeune femme est surveillée 24 heures sur 24 par crainte qu’elle mette fin à ses jours. Elle ne dit pas grand-chose et, à ceux qui l’interrogent, elle parle de ses «voix bizarres qui viennent de la télé». Et de cette vision aussi, qu’elle a eue très tôt, après la naissance de Noah.
« l’image d’un couteau qui s’abat sur son bébé, tenue par une main qui serait la sienne. »
Dans le temps
- 17 juin 1999 – Elle fait une overdose de Trazodone, un médicament utilisé pour traiter la dépression, et est admise à l’unité psychiatrique de l’hôpital Methodist où on lui diagnostique un trouble dépressif majeur.
- 21 juillet 1999 – Admise au Memorial Spring Shadows Glen pour un traitement psychiatrique après avoir tenté de se suicider. Elle est traitée comme une patiente hospitalisée puis comme une patiente externe pendant deux mois et se voit prescrire de l’Haldol.
- Printemps 2001 – Elle est admise deux fois au Devereux Texas Treatment Network pour un traitement. On lui prescrit des médicaments antipsychotiques puissants, dont l’Haldol.
- 4 juin 2001 – Le psychiatre Mohammed Saeed interrompt la prescription d’Haldol à Yates.
- 20 juin 2001 – Mme Yates noie ses cinq enfants, un par un, dans la baignoire de leur maison de Clear Lake, au Texas.
- 30 juillet 2001 – Elle est inculpée de deux chefs d’accusation de meurtre capital et plaide non coupable pour cause d’aliénation mentale.
- 18 février 2002 – Début du procès de Yates.
- Mars 2002 – Au cours du procès, le témoin expert de l’accusation, le psychiatre Park Dietz, témoigne que Yates a eu l’idée de noyer ses enfants dans un épisode de « Law & Order ». Cependant, les producteurs de l’émission déclareront plus tard qu’un tel épisode n’a jamais été diffusé.
- 12 mars 2002 – Un jury du comté de Harris condamne Yates pour deux chefs d’accusation de meurtre capital dans la mort de Noah, John et Mary. Elle n’a pas été jugée dans les décès de Paul et de Luc. Elle est ensuite condamnée à la prison à vie.
- 2002 – Le Fonds commémoratif des enfants Yates est créé en l’honneur des enfants Yates et pour sensibiliser à la dépression et à la psychose post-partum.
- Octobre 2003 – Yates est placée sous surveillance pour cause de suicide après avoir refusé de s’alimenter.
- 30 avril 2004 – L’avocat de Yates, George Parnham, fait appel.
- Juillet 2004 – Yates est hospitalisé après avoir refusé de s’alimenter.
- 30 juillet 2004 – Rusty Yates demande le divorce.
- 6 janvier 2005 – La première cour d’appel du Texas annule la condamnation de Yates pour meurtre capital en déclarant que le témoignage erroné du psychiatre Park Dietz a pu porter préjudice au jury.
- 17 mars 2005 – Le divorce entre Andrea et Rusty est prononcé. Elle reçoit 7 000 dollars en espèces, le droit d’être enterrée près de leurs enfants et un fauteuil de soins. Andrea recevra également une partie des prestations de retraite de Rusty de la NASA.
- 9 janvier 2006 – Mme Yates plaide non coupable pour cause d’aliénation mentale, lors de sa première comparution devant le tribunal depuis 2002.
- 1er février 2006 – Belinda Hill, juge du district de l’État, approuve une caution de 200 000 dollars pour Yates, à condition qu’elle s’engage volontairement à se rendre au Rusk State Hospital.
- 2 février 2006 – Yates est libéré de la prison du comté de Harris et admis à l’hôpital d’État de Rusk pour un traitement psychiatrique.
- 26 juin 2006 – Début du nouveau procès de Yates.
- 26 juillet 2006 – Yates est déclaré non coupable pour cause d’aliénation mentale et est placé dans un établissement psychiatrique.
- Janvier 2007 – Yates est transféré du North Texas State Hospital Vernon Campus au Kerrville State Hospital à Kerrville, Texas.
- Mai 2012 – La demande de Yates d’assister à un service religieux hebdomadaire en dehors de l’hôpital est refusée.
- Février 2014 – Yates et ses médecins de l’hôpital d’État de Kerrville demandent qu’elle soit autorisée à participer à des sorties de groupe supervisées avec d’autres patients. La demande est ensuite retirée en raison de l’attention des médias et de l’examen du public.