Né en 1883, Peter Kürten avait dix frères et sœurs et, très vite, se révéla le « vilain petit canard » de sa pléthorique fratrie. À neuf ans, il avait déjà commis plusieurs petits larcins. Son père, un ouvrier métallurgiste, le corrigea brutalement, sans pouvoir l’amender. L’adolescent prit l’habitude de fuguer, de plus en plus fréquemment, de plus en plus longtemps, sans que sa famille, plutôt soulagée d’être débarrassée de lui, ne signale sa disparition à la police.
Ce mauvais sujet alla de petit boulot en petit boulot, multiplia les vols. Les condamnations s’accumulèrent et, en 1899, à seize ans, ce multirécidiviste, écopa d’une peine de prison ferme. C’était la première fois de sa vie, ce ne devait pas être la dernière.
Relâché, il reprit le cours de sa misérable vie. Kürten s’était, très jeune, découvert l’âme d’un sadique, qui aimait faire souffrir ; tant les animaux que les misérables prostituées qu’il fréquentait. Il était également pyromane. L’été, il allait par la campagne, mettre le feu aux meules de foin, voire aux granges. Tout l’excitait : les flammes qui montaient jusqu’au ciel, l’affolement de la population. Confondu parmi la foule des badauds, il jouissait, littéralement, de leur épouvante.
En 1904, l’année de ses vingt et un ans, on l’envoya faire son service militaire à Metz, à l’époque allemande. Il déserta, mais fut vite repris. Dans l’Allemagne wilhelmienne, on ne plaisantait pas avec la désertion : Peter Kürten, condamné à sept ans de prison, ne fut libéré qu’à l’automne 1912. Beaucoup aurait été brisés par le régime sévère de la détention militaire. Mais pas lui. Habitué depuis toujours à une existence très dure, Peter Kürten s’était forgé l’âme d’un survivor. Il ne manquait pas d’autodiscipline et, contrairement à la plupart des marginaux, Kürten mit, toute sa vie, un point d’honneur à rester propre, bien rasé et correctement vêtu. Fondamentalement solitaire, il évitait autant qu’il pouvait le milieu des autres voleurs et receleurs.
Première victime
Il reprit vite le cycle de ses cambriolages. Le soir du dimanche 25 mai 1913 le trouva, rodant dans les rues de Mülheim (une banlieue de Cologne) à la recherche d’un coup à faire. Il avisa le café Klein, fermé, mais encore éclairé ; il aperçut le patron qui faisait sa caisse, la patronne à sa vaisselle. Une porte, béante, conduisait directement de la rue à l’étage, et le voleur monta l’escalier à pas de loup.
Kürten croyait le logement vide, mais il se trompait. Dans la pénombre, il commençait à ouvrir les tiroirs de la commode quand il se retourna, brusquement : dans le lit, un enfant, la petite Christine, neuf ans (voir photographie ci-contre), venait de se réveiller. Le cambrioleur se précipita sur elle, lui mit la main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Et, trouvant un couteau, il l’égorgea.
Avec un parfait sang-froid, il redescendit l’escalier se retrouva sur le trottoir pour se rendre, d’un pas vif, mais sans courir, à la gare où il eut la chance de trouver un train pour Düsseldorf qui partait dans la minute.
Quand les Klein, horrifiés, découvrirent le cadavre de leur petite fille, le train roulait déjà, qui emportait son meurtrier. Kürten ne fut jamais soupçonné de ce premier meurtre, d’autant que l’enquête s’orienta tout de suite dans une fausse direction. La police de Cologne conclut, trop vite, que le crime n’avait pu être commis que par un habitué de la maison, qui en connaissait parfaitement les aîtres, ainsi que les habitudes du café Klein. Rien n’avait été volé, et l’affreux crime ne pouvait être qu’une vengeance.
Or, le cafetier Peter Klein avait un jeune frère, Otto, apprenti boucher, et très mauvais sujet. Plusieurs fois, les deux frères en étaient venus aux mains, et on avait entendu Otto proférer des menaces … En outre, la petite Christine avait été égorgée « proprement », ce qui dénotait un minimum d’expérience dans le maniement du couteau.
Malgré ses dénégations furieuses, le jeune Otto fut arrêté même si, à son procès, on dut l’acquitter, faute de preuve.
Peter Kürten, entre-temps arrêté à Düsseldorf pour cambriolage, recel, vols avec violence, était retourné en prison pour huit ans, peine qu’il alla purger à Brieg , en Silésie. S’il échappa aux combats de 14-18, Kürten eut à souffrir abominablement de la faim.
La prison était surpeuplée, l’approvisionnement, lamentable. Lors de l’instruction, il raconta qu’ils étaient une vingtaine dans une chambrée de six. Quand un de leurs camarades mourrait, ils le signalaient le plus tard possible, pour pouvoir continuer à percevoir une ration de plus. Et, en huit ans, Kürten ne reçut pas une seule visite.
En 1921, on le relâcha. Sans trop savoir quoi faire ni où aller, Kürten décida de se rendre chez l’une de ses nombreuses sœurs, Sybille, qui habitait Altenburg, en Thuringe. Celle-ci n’avait pas revu son frère depuis plus de dix ans et ne l’accueillit pas à bras ouverts. En ces temps très durs, une bouche à nourrir supplémentaire n’était jamais la bienvenue. Et, sans connaître les détails de sa carrière criminelle, elle savait bien que son frère avait mal tourné.
Peter lui raconta revenir d’un camp de prisonniers de guerre, en Russie. Sarcastique, sa sœur lui fit remarquer que la guerre était terminée depuis trois ans. Kürten évoqua vaguement, les troubles de la Révolution et de la Guerre Civile. Et promit de ne pas s’attarder plus de quelques mois, le temps de retrouver un travail. Sa sœur finit par accepter de l’héberger, sans enthousiasme.
A Altenburg, Peter Kürten fit connaissance de sa future femme, Augusta Scharf. Contrairement à lui, elle venait d’un milieu assez aisé (son père était maître-tailleur, en Silésie), et avait eu une enfance, sinon heureuse, du moins favorisée. Mais elle avait, comme lui, un passé criminel. En 1910, « Gustchen » avait tué à coups de revolver son « fiancé », qui venait de lui avouer qu’il allait se marier avec une autre qu’elle. Les juges l’avaient condamnée à cinq ans de prison. De cette expérience malheureuse, Augusta devait conserver sa vie durant un besoin masochiste d’expiation.
Elle avait été libérée en 1915, en pleine guerre ; il fallait bien vivre. Presque tous les hommes étant au Front, les possibilités d’emploi ne manquaient pas pour les femmes, quand bien même elles avaient un casier judiciaire. Elle trouva un travail à Altenburg, où personne ne la connaissait.
Kürten fit de brutales avances à Augusta, qui avait pourtant dépassé la quarantaine et que sa vie de labeur et de galères n’avait pas rendue particulièrement séduisante. Celle-ci accepta, finalement, de l’épouser, en mars 1923.
Au cœur de Düsseldorf
Les « jeunes mariés » partirent vivre à Düsseldorf (ci-dessus une rue de cette cité en 1920), ville que Peter Kürten connaissait comme sa poche. Il s’y employa comme manœuvre dans une usine de la ville tandis que sa femme devint plongeuse, dans un restaurant. Ils se logèrent au 71 de la Mettmannerstrasse, un logement d’une pièce sous les toits, sans sanitaire ni eau courante ni même électricité. Et commença une existence laborieuse et sans joie.
Pendant cinq ans, Peter Kürten vécut à peu près normalement ; à un détail près : il avait développé, sur le tard, un donjuanisme incoercible. Sa femme travaillant au restaurant les soirs et les week-ends, Kürten était libre de partir « à la chasse ». Son gibier : les petites bonniches et ouvrières qui, fréquentant les bals et les cafés, cherchaient plus ou moins l’aventure.
Loin d’avoir la figure poupine et le regard traqué de son alter ego, l’acteur Peter Lorre (photo ci-contre), dans M. le Maudit, Peter Kürten avait un physique des plus banals. Son plaisir était de jouer au petit bourgeois, qu’il n’était pas. Toujours habillé avec soin, il se piquait de parler un allemand précis et correct, un peu pédant même. En tout cas inattendu chez quelqu’un qui avait quitté l’école si tôt.
Ces dames devaient témoigner plus tard que Kürten était un amant pervers et brutal. Mais rien d’illégal à lui reprocher. En 1928 cependant, une employée de maison, nommée Gertrude Mech, vint porter plainte contre lui pour subornation, affirmant ne lui avoir cédé que contre promesse de mariage. Le policier enregistra la plainte, tout en souriant de la naïveté de la demoiselle.
Constatant que le dit Kürten était un repris de justice, le commissaire décida quand même de le convoquer. Et, en examinant ses papiers, le magistrat sursauta : pour se rajeunir de dix ans auprès de ses conquêtes, Kürten avait, grossièrement, falsifié sa date de naissance ! Faux et usage de faux ! Pour un repris de justice, c’était grave : cinq mois de prison.
Cette condamnation, ressentie comme injuste, fut sans doute l’ « événement déclenchant » de la saga du Vampire de Düsseldorf. Il aurait confié à son camarade de cellule, « Quand je sortirai d’ici, ils verront ce qu’ils verront. Cette ville comprendra sa douleur ! ».
Effroyable série
Peu après sa libération, en effet, la nuit du 2 au 3 février 1929, Kürten commit une première agression, attaquant de dix-huit coups de ciseau une passante croisée dans la rue, Apollonia Kühn, cinquante-cinq ans. Sa victime devait survivre, mais sans pouvoir donner le signalement de l’homme qui l’avait assaillie.
Quelques jours plus tard, le soir du 9 février, samedi gras, Kürten croisa une petite fille, Rosa Ohliger, qui s’était perdue en revenant du Carnaval. « Onkel Peter » lui proposa de la ramener. Sans la moindre méfiance, la fillette le suivit, sur un chantier. Là, Kürten étrangla sa victime, qui n’eut pas le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Puis, il sortit sa paire de ciseaux et frappa, comme un fou. « Je n’avais jamais autant joui de ma vie, Docteur ! » devait-t-il confier après son arrestation.
Puis, Kürten… alla au cinéma, où il rit aux larmes des facéties de Buster Keaton. Avant de revenir, en pleine nuit, sur les lieux du crime, imbiber le cadavre d’essence et y mettre le feu.
Quelques jours plus tard, le soir du mardi gras, le 12 février 1929, il s’en prit à l’ouvrier Rudolf Scheer, tué de plusieurs coups de couteau, alors qu’il rentrait chez lui.Six mois s’écoulèrent, et ce ne fut que le 11 août 1929, que Peter Kürten frappa à nouveau. Il emmena l’une de ses conquêtes, Maria Hahn, à Pappendelle, à trois kilomètres à l’est de la ville. Et, une fois dans les bois, il l’assomma avant de la frapper à coups de ciseaux. Et de boire, avec délice, le sang qui coulait…
Dans la nuit du 20 au 21 août 1929, rodant autour d’une Kirmes , dans le quartier de Lierenfeld il attaqua deux jeunes filles, puis un vieillard, à quelques minutes d’intervalle. Les trois victimes devaient survivre.
Le soir du 24 août, il se rendit dans un autre quartier, à Flehe, où avait lieu aussi une Kirmes. Dans le tintamarre des orgues de barbarie, des détonations de stand de tirs, dans les éclairs et les cris des manèges, Kürten repéra deux petites filles, comme le prédateur qu’il était. Le lendemain on retrouva les cadavres, vidés de leur sang, de Luise Lenzen (13 ans) et Gertrude Hambach (5 ans).
Un vampire sous Weimar
Cette accumulation de meurtres et d’agressions avait fini par plonger la métropole rhénane dans la psychose. Agissant la nuit, Kürten s’en prenait, tantôt aux femmes, tantôt aux enfants, tantôt aux hommes. Parmi les victimes, aucun point commun, ni dans les âges ni dans le physique. Tantôt il les étranglait, tantôt il les tuait à coups de couteau ou de marteau. Souvent, il buvait le sang de ses victimes (d’où son sinistre surnom), mais pas toujours. Et s’il éprouvait, comme il devait l’avouer, un plaisir proprement sexuel à commettre ces crimes, il ne commettait jamais de viol ni d’attentat à la pudeur. Il était impossible de dégager un modus operandi ni même un profil, et les autorités mirent longtemps à s’apercevoir que ces crimes, si différents les uns des autres, étaient tous dus au même mörder. D’autant qu’en 1929, la police scientifique n’avait pas les moyens techniques dont elle dispose maintenant. Ajoutons à cela, les Marxistes ne s’en sont pas privés, que toutes les victimes appartenaient aux classes les plus humbles de la Société ; certains étaient carrément des marginaux. Ce qui n’incita pas les autorités à mettre particulièrement la pression sur la police.
Pour compliquer encore les choses, un simple d’esprit, déjà condamné plusieurs fois pour agressions, Johann Stausberg, s’était accusé de plusieurs de ces meurtres. Et il fallut plusieurs mois pour prouver qu’il affabulait.
Mais, à partir d’août 1929, après cette succession d’agressions, Düsseldorf, si fière de sa prospérité économique et culturelle, comprit brutalement qu’elle abritait un horrible monstre parmi son demi-million d’habitants…
La police en perdait son latin, ce cas était sans précédent dans les annales. Non que le « Vampire de Düsseldorf » soit le premier tueur en série de l’Histoire, mais le phénomène était alors très mal connu.
Le 25 août, à Oberkassel, sur la rive gauche du Rhin, le Vampire s’en prit à Gertrude Schulte (voir photographie ci-contre), une bonne de vingt-six ans. Mais, entendant des passants, il s’enfuit avant de l’avoir tuée.
Malheureusement pour la suite de l’enquête, la jeune domestique fit de son agresseur une description des plus fantaisistes, décrivant un frêle blondinet de vingt, vingt-cinq ans. Alors que Peter Kürten, qu’elle avait pourtant vu de près, était un quadragénaire plutôt trapu aux cheveux châtains. Mieux (ou pire) : quand, sur son lit d’hôpital, on présenta à Gertrude Schulte la photo de Kürten, parmi celles de dizaines d’autres repris de justice, elle ne l’identifia pas.
Comme dans le film de Fritz Lang, la Police travaillait avec l’énergie du désespoir, multipliant contrôle et rafles. Peter Kürten fut plusieurs fois interrogé, mais ses papiers étaient parfaitement en règle. Et son aspect bourgeois et correct détourna les soupçons.
Kürten, comme tous les tueurs en série, vivait des « crises » où il commettait plusieurs agressions en l’espace de quelques jours, voire de quelques heures ; quand il n’avait pas trouvé de victimes humaines, il s’en prenait parfois à un animal pour satisfaire ses pulsions. Plusieurs chiens, un cygne firent les frais de sa frustration. Mais ces périodes de « crises » alternaient avec des pauses qui pouvaient durer plusieurs mois.
Ainsi, après une pause de quelques semaines, la noria assassine reprit. Le 29 septembre 1929, ce fut la domestique Ida Reuter, retrouvée égorgée. A l’aube du 11 octobre, le gardien d’un square trouva le corps, horriblement blessé, d’Elisabeth Dörrier, une semi-clocharde qui se prostituait, occasionnellement. Elle mourut vingt-quatre heures plus tard. Le 25 octobre, double attaque de Hubertine Meurer et de Klara Wanders, deux prostituées, qui survivront.
Et, le 7 novembre 1929, Kürten tua une petite fille, Gertrud Albermann, dont il déposa le corps sur le terrain vague qui longe l’usine Haniel & Lueg. Incroyablement, trois personnes différentes l’avaient aperçu emmener la petite en la tenant par la main. Sans que personne n’intervienne. « La petite souriait, et lui avait tant l’air d’un citoyen comme il faut … »
Même si ce n’était pas sa motivation première, Kürten appréciait énormément la publicité (anonyme), la psychose qu’il avait déclenchée. Au point qu’à partir du 9 novembre 1929, le Vampire de Düsseldorf cessa de faire des victimes : la petite Albermann devait être la dernière de la série. La brusque interruption déconcerta les autorités et ne fit qu’accroitre l’angoisse la population.
Mais que toute la ville ait peur de lui, qu’il soit question du Vampire dans tous les journaux d’Europe suffisait désormais à satisfaire ses besoins morbides. Adorant tenter le diable, Peter Kürten envoyait régulièrement des lettres anonymes aux journaux, à la police, donnant des détails ignorés des enquêteurs eux-mêmes, indiquant même où il avait laissé les cadavres … Mais, à sa grande frustration, ses lettres passèrent inaperçues dans le fatras de 11 000 lettres et dénonciations que l’affaire généra.
Fin de cauchemar
Le Vampire de Düsseldorf n’aurait sans doute jamais été pris, serait resté un autre Jack l’Éventreur de l’Histoire criminelle, sans une incroyable cascade d’absurdités et de hasards.
Ayant repris sa carrière de dragueur compulsif, Peter Kürten jeta, le 7 mai 1930, son dévolu sur une certaine Maria Budlich, une petite bonne, débarquée de sa campagne à la recherche d’une place. Il l’emmena dans sa mansarde de la Mettmannerstrasse, en l’absence de sa femme. Il la brutalisa et, pour s’amuser à lui faire peur, lui dit d’une voix terrible : « Le Vampire que recherche toute la ville c’est moi ! Mais n’en dis pas un mot à personne, ou je te coupe le cou ! » La petite bonne, acquiesça terrifiée.
La naïve Maria était bien trop épouvantée pour s’adresser à la police. Elle ne put toutefois pas s’empêcher d’écrire ce qui s’était passé à sa meilleure amie. Mais comme elle avait mal orthographié l’adresse, la lettre resta à la poste, où on l’ouvrit. Et le brave fonctionnaire qui la lut s’empressa de porter la lettre à la police. Ces messieurs l’accueillirent avec scepticisme : ils avaient déjà suivi tant de fausses pistes, et celle-ci ne leur paraissait guère sérieuse…
Enfin, ils vérifièrent. Maria Budlich ayant retrouvé, non sans peine, l’immeuble de la Mettmannerstrasse et la mansarde où on l’avait emmenée, la Police se contenta de laisser au locataire une convocation (qui n’était même pas nominale…) à se rendre au commissariat.
En la trouvant, Kürten comprit qu’on était, enfin, sur ses traces. Et il avoua tout à sa femme, médusée. Puis, il s’en alla, annonçant qu’il allait se jeter dans le Rhin.
En fait, il passa deux jours à errer dans la ville. Et, l’après-midi du 25 mai 1930, reconnu par un Schupo, il se laissa passivement arrêter, presque soulagé (voir photos anthropométriques ci-contre).
Kürten ne fit aucune difficulté à tout avouer. Au contraire, il se vanta d’avoir commis plus de 80 assassinats, le premier dès l’âge de 9 ans … Mais seuls neufs assassinats (celui de la petite Christine Klein, qui remontait à 1913, et les huit victimes de l’année 1929), sans compter une vingtaine d’agressions, purent lui être attribués, sans risque d’erreur. Les psychiatres l’interrogèrent longuement, et conclurent à son entière responsabilité pénale. Kürten était certainement un pervers, amoral et totalement dépourvu d’empathie. Mais, étonnement intelligent, il était très maître de lui-même et, face au risque d’être pris, il avait montré un sang-froid parfait.
Le procès, du 13 au 22 avril 1931, attira des journalistes du monde entier. L’accusé, qui appréciait beaucoup son rôle de vedette du crime, ne réclamait pas l’indulgence : « Les crimes que j’ai commis sont si atroces, ils me font tellement honte que je n’ose pas les excuser, de quelque manière que ce soit … Les experts n’ont pas à perdre de temps avec moi. J’ai mon libre arbitre, comme tout un chacun… Je sais bien que c’est la peine de mort qui m’attend. Je ne m’en plains pas. »
Kürten prenait d’ailleurs un tel plaisir indécent à détailler ses crimes, en rajoutant encore dans l’horreur, qu’on dut, plusieurs fois, le faire taire.
Le jury rendit un verdict de mort. L’Allemagne de Weimar appliquait beaucoup moins la peine de mort que la France ou la Grande Bretagne de la même époque . Mais Kürten renonça à faire appel et une grâce n’était pas envisageable. Le 1° juillet 1931 à 17 heures, dans sa cellule de Klingelpütz , l’ex-Vampire de Düsseldorf apprit qu’il n’avait plus que douze heures à vivre. Se découvrant, in extremis, un intérêt pour la Religion, il fit venir le Père Albrecht, un franciscain qu’il avait connu aumônier à la prison de Düsseldorf, pour l’assister en ses derniers instants.
Il dîna de bon appétit et, durant la nuit, rédigea une dizaine de lettres. Pour sa femme ; mais aussi pour les familles de ses victimes, des lettres de quelques lignes pour exprimer son repentir, et leur demander de prier pour lui. Il n’est guère possible de déterminer dans quelle mesure Kürten était sincère, dans quelle mesure ces lignes ont été inspirées, voire dictées, par l’aumônier.
A cinq heures du matin, après une nuit sans sommeil, il assista à la messe. Trente minutes plus tard, une demi-douzaine d’homme, en redingote et en haut de forme, se présentèrent pour l’emmener. Depuis l’occupation napoléonienne, c’était par la guillotine que l’Allemagne exécutait ses condamnés de droit commun. Au pied de l’échafaud, l’avocat général relut l’arrêt le condamnant, avant de lui demander s’il avait une ultime déclaration à faire.
« Nein » répondit Kürten, d’une voix blanche mais ferme.
« Monsieur le Bourreau, faites votre office ! » ordonna l’avocat général.
Et quelques minutes plus tard, le bourreau Göppler, son haut de forme à la main, pouvait annoncer à ces Messieurs que le Vampire de Düsseldorf avait cessé de vivre.