En ce début d’après-midi du 4 décembre 1872, la goélette « Dei Gratia » navigue au milieu de l’Atlantique près de l’archipel des Açores; elle poursuit paisiblement sa route vers Gibraltar. Sur cette route fréquentée par les transatlantiques, le capitaine, David Morehouse, n’est pas surpris lorsque la vigie signale une voile à l’horizon. Quelques minutes plus tard, la vigie précise: c’est une autre goélette. Bizarrement, sa voilure ne correspond pas au vent modéré qui souffle sur l’océan; de plus, elle navigue à grandes embardées comme si personne ne tenait le gouvernail. Morehouse ordonne de s’en approcher.
De plus près, on ne voit personne sur le pont. La plupart des voiles sont descendues, et celles qui restent sont, ou déchirées, ou montées dans le sens contraire au vent. A sa grande surprise, Morehouse réalise qu’il s’agit de la « Mary Celeste », une solide goélette de plus de 100 pieds de long et de 25 pieds de large, appareillée de New York quelques jours avant le « Dei Gratia », avec à son bord une cargaison de 1700 barils d’alcool brut qu’elle devait livrer à Gênes. Son capitaine, Benjamin Briggs, un marin de la vieille école reconnu comme un homme profondément religieux, est un ami de longue date.

Personne à bord

Morehouse saisit son portevoix et tente d’interpeller la « Mary Celeste ». Silence. De plus en plus inquiet, il envoie en reconnaissance son second, Olivier Deveau, et deux marins. Une fois à bord, Deveau sonde aussitôt la cale, dont deux panneaux sont enlevés. Il y a environ un mètre d’eau au fond, mais les pompes sont en bon état, bien qu’une d’entre elles gise, démontée, sur le pont; le bateau n’est donc pas en danger de couler. La cargaison est solidement arimée, et il ne manque qu’un bouchon à l’un des barils d’alcool.

Sur le pont, l’habitacle qui abrite la roue du gouvernail est défoncé et le compas démoli, sans doute par une vague de la tempête des derniers jours. Le garde-fou est enlevé d’un côté du pont, comme si on avait mis à l’eau une chaloupe de sauvetage. Il n’y a d’ailleurs pas d’embarcation de secours sur le pont. Et toujours personne…

A l’intérieur, dans la cabine du capitaine, Deveau voit que les six hublots de droite ont été obstrués avec des planches, mais il ne peut dire si cela a été fait avant ou pendant le voyage. Ceux de gauche sont fermés, mais laissent encore entrer un peu de lumière. Beaucoup d’eau a pénétré dans la cabine par la porte ouverte et par la claire-voie, restée ouverte également.

La pendule est très abîmée par l’eau; la literie et les vêtements sont trempés, sans doute par l’eau de mer. Deveau témoignera par la suite:

« Le lit était défait, comme si l’on venait de le quitter… J’estimai qu’il devait y avoir une femme à bord, car je vis des vêtements féminins… Le lit avait conservé la marque d’un corps, d’un enfant semblait-il. Tout paraissait avoir été abandonné en grande hâte, mais tout était resté en place. On voyait des vêtements, une boîte à ouvrage avec des aiguilles, du fil, des boutons, des livres, une trousse d’instruments, un écritoire. Un harmonium ou mélodium se trouvait dans la chambre. »

A cette époque, il est courant que la femme du commandant l’accompagne pendant un voyage, et c’est ce qu’avait fait Sarah Briggs; le couple avait emmené leur fille Sophie-Mathilde, âgée de deux ans, mais laissé à la garde de ses grands-parents, à Marion dans le Massachusetts, leur fils de sept ans, Arthur, qui allait à l’école.

Bien que les fiches à roulis, qui servent à empêcher la vaisselle de glisser sur la table, soient en place, aucun repas n’est servi dans la cabine et rien ne cuit dans la cuisine. Les marmites et les casseroles ont été lavées et rangées; on trouve un flacon de médicament débouché, ce qui laisse supposer que la personne qui l’avait ouvert n’a pas eu le temps de le refermer. De tous ces indices on conclut que le navire a été abandonné dans le milieu de la matinée, assez tard pour que tout soit remis en ordre après le petit déjeuner, et avant que Mrs Briggs ait refait le lit. Cette supposition est en partie fondée sur le fait qu’aucune femme de la Nouvelle-Angleterre ayant les antécédents de Sarah Briggs n’aurait laissé des lits défaits, même en mer, à une heure avancée de la matinée.

Il est entré moins d’eau dans le poste d’équipage que dans la chambre du capitaine. Les coffres des marins sont secs, et l’on ne voit pas de trace de rouille sur les rasoirs. De toute évidence, les hommes d’équipage sont partis précipitamment, abandonnant le contenu de leurs coffres, mais aussi leurs bottes de toile cirée, et même leurs pipes. Qu’est-ce qui a provoqué une telle panique?

Dans la cabine du second Deveau trouve le journal de bord. Il s’arrête le 24 novembre. La position indiquée était à 100 milles au sud-ouest de l’île de Sao Miguel des Açores. Dans la chambre du commandant, sur l’ardoise de bord, on trouve une indication plus récente, montrant que le lendemain 25 novembre à huit heures du matin le navire est passé près de l’île de Santa Maria. Depuis lors, onze jours se sont écoulés; la « Mary Celeste » a encore parcouru 500 milles, restant apparemment sur sa route initiale.

La date de la dernière inscription sur l’ardoise, le 25 novembre, n’est pas obligatoirement celle de l’abandon du navire. Sur les petits bâtiments, il est rare que le journal soit tenu chaque jour. Par exemple, pendant les 18 jours de mer depuis son départ, le commandant n’a porté que sept inscriptions dans le journal de bord. Il n’est pas possible de dire exactement quand le capitaine Briggs a embarqué sa femme, sa fille et les sept membres d’équipage sur l’embarcation de secours, s’il l’a fait. Et rien ne dit pourquoi ils ont abandonné avec une hâte évidente un navire solide et en état de naviguer.

De plus, il reste à bord des vivres et de l’eau douce pour six mois. Mais on ne retrouve pas le sextant, le chronomètre et les livres de navigation du capitaine. Il n’y a aucun indice de violence, de bataille ou de mutinerie; ses occupants semblent s’être simplement volatilisés.

Deveau et ses hommes retournent sur le « Dei Gratia ». Le capitaine Morehouse décide de ramener la goélette afin de toucher la prime de sauvetage. La cargaison, à elle seule vaut, après tout, environ 42 000$ et le bateau est assuré pour 17 400$.

Sur les ordres de son capitaine, Deveau conduit donc la « Mary Celeste » vers Gibraltar, suivi du « Dei Gratia ». Pendant tout le voyage, il ne décèle aucune avarie et il est même surpris de pouvoir manoeuvrer la « Mary Celeste » avec autant de facilité.

Les deux navires font route vers le détroit de Gibraltar, restant en vue l’un de l’autre. Arrivés devant le détroit, un coup de vent les sépare. Le « Dei Gratia » arrive à Gibraltar le soir du 12 décembre et la « Mary Celeste » le lendemain matin. C’est alors, de façon inattendue, que les ennuis commencent.

Le procès d’une disparition

Morehouse estime avoir droit, comme sauveteur, à une somme équivalant à la moitié du montant des assurances et à la demi-valeur de la cargaison. Malheureusement pour lui, le procureur Flood est chargé de l’affaire. Cumulant des titres ronflants, avocat général de Sa Majesté, procureur de la Reine auprès de l’Amirauté et procureur général de Gilbraltar, Flood, né à Londres, a 71 ans. Gonflé de son importance, il détruit d’entrée de jeu tout espoir de voir très vite lever l’embargo sur la « Mary Celeste ».

Après un délai de cinq jours, la Cour de la Vice-Amirauté se réunit. Entendu le premier, Deveau conclut sa déposition en déclarant qu’il pense que l’équipage, voyant la cale inondée pendant une tempête, a pris peur et abandonné le navire. Bien à tort, selon lui, la « Mary Celeste » n’ayant embarqué qu’une faible quantité d’eau, uniquement par des panneaux ouverts et par la porte de la cabine. Deveau termine en précisant qu’il n’a découvert à bord aucun dommage causé par le feu et aucune trace de fumée.

Malgré de légères divergences, les autres témoignages concordent dans l’ensemble, offrant le tableau extraordinaire d’un bâtiment bien commandé, bien servi et bien approvisionné, abandonné en plein océan sans raison apparente. Cela suffit pour éveiller les soupçons de Flood. Sur ses instructions, un examen du navire a lieu en sa présence le 23 décembre. Y participent Ricardo Fortunato, un plongeur, Vecchio, l’huissier de la Cour, et John Austin, contrôleur principal de la navigation. L’inspection dure cinq heures et est consciencieuse à l’extrême.

Cinquante fûts d’alcool sont montés sur le pont. Tous sont en excellent état. Austin, cependant, se refuse à croire que la « Mary Celeste » ait eu à lutter contre la tempête, comme le prétend Deveau. Cela pour plusieurs raisons: une fiole d’huile pour machine à coudre était restée debout sur le rayon d’une étagère, à côté d’un dé et d’une bobine de fil; la couchette du maître d’équipage était sèche; sous celle du capitaine, il y avait, dans un tiroir, des morceaux de fer et deux vitres demeurées intactes; enfin, les volets des fenêtres du rouf n’ont subi aucun dommage. Austin oublie que Deveau avait fait sécher la literie et qu’il pouvait fort bien avoir posé les objets sur le rayon, après les avoir ramassés. Quant aux vitres, couchées à plat, elles ne sont pas les premières à survivre à une tempête.

Austin note encore dans son rapport que le fourneau de la cuisine a été déplacé par le flot et qu’existe sur le pont, à proximité du foyer, un trou d’écoulement. Vraisemblablement pratiqué par un chef exaspéré de patauger dans l’eau de mer, ce trou explique que la cuisine n’ait pas été inondée comme le reste du rouf. Comme Deveau, John Austin écarte l’hypothèse d’un incendie, faute du moindre commencement de preuve.

Flood n’est pas encore revenu à terre que le « Dei Gratia » sort du port. Soucieux de livrer au plus tôt sa cargaison, Morehouse envoie le navire à Gênes, avec Deveau. Il reste, lui, à Gibraltar, pour faire valoir ses droits. Tout de suite Flood, qui semble avoir monté quelque machination très officielle, l’accuse d’entraver le déroulement de l’enquête. L’inspection de la « Mary Celeste » ne lui ayant pas donné satisfaction, il en ordonne une deuxième, qui a lieu le 7 janvier 1873, à laquelle il assiste comme à la première. Y participent cette fois quatre officiers de marine: Fitzroy, du « Minotaur », Adeane, du « l’Agincourt », Dowell, de l' »Hercules », et Vansittart, du « Sultan », tous quatre capitaines de vaisseau, et le colonel Gaffam, du Royal Engineers.

L’ardoise du bord avait déjà été saisie, mais Flood attire l’attention des officiers sur le morceau de musique, posé sur l’harmonium, et sur d’autres objets qui, eux non plus, n’avaient pas bougé, alors qu’on les aurait trouvé dispersés si la « Mary Celeste » avait rencontré une tempête: deux chapeaux de femme, une chemise de nuit, une poupée, un éventail, deux broches de châle, un jupon et, sur l’étagère, la fiole d’huile pour la machine, le dé à coudre et la bobine de fil de coton. On descend ensuite dans la cale, où Flood note qu’un fût a été mis en perce. Ni Deveau ni Austin n’avait retenu cette observation, pour eux totalement dénuée de signification. Qu’était-ce qu’un fût sur une cargaison de dix-sept cents?

Flood fait encore remarquer dans la lisse de pavois tribord une entaille, qui lui paraît résulter d’un coup de hache, et sur le pont, à faible distance, ce qu’il croit être des taches de sang. Pour finir, il signale des éraflures sur la coque, au-dessus de la ligne de flottaison. Elles lui semblent suspectes.

Une semaine plus tard, le 15 janvier, arrive à Gibraltar le capitaine Winchester, de Winchester and Co, copropriétaire de la « Mary Celeste » et administrateur de la société. Nanti des pouvoirs nécessaires, il vient défendre à la fois les intérêts des propriétaires et ceux des assureurs. Il ne doute pas de l’identité du bâtiment, bien que la Cour ne l’appelle jamais autrement que « le navire supposé être la Mary Celeste ». Invité à témoigner, il déclare que la cargaison consistait en mille sept cent un fûts d’alcool, un de plus qu’on pensait, au-dessus de trente tonnes de pierres de ballast. Il n’y avait pas d’autre cargaison et le chargement, qui devait durer trois jours, avait eu lieu à New York, sur un quai de l’East River, à proximité de son bureau, ce qui lui avait permis de rendre visite quotidiennement à la « Mary Celeste ». Devant le mépris que Flood, un Britannique, manifeste pour les Américains en général et pour son équipage en particulier, Winchester s’écrie: « Je suis un Yankee avec du sang anglais, mais si je savais où est ce sang, je m’ouvrirais une veine pour faire sortir cette saloperie! »

En clair, Flood est persuadé que les deux capitaines sont de connivence pour toucher la prime (ils avaient soupé ensemble un soir à New York, alors que leurs bateaux étaient amarrés au même quai lors du chargement) ou qu’il y a eu sur la « Mary Celeste » une mutinerie sanglante. Pour prouver cette hypothèse, il fait analyser des taches brunes suspectes sur le pont, mais il cache à tous les résultats de cette analyse.

Enfin, après quatre-vingt-sept jours de séquestre, la « Mary Celeste » obtient l’autorisation d’appareiller pour Gênes, où elle arrive le 21 mars et commence à décharger sa cargaison. Le 15 mars, la Cour de la Vice-Amirauté, bien à contrecoeur, reconnaît que le patron et l’équipage du « Dei Gratia » ont sauvé la « Mary Celeste », ne leur accordant toutefois en prime qu’un cinquième de la valeur du navire et de sa cargaison, les dépens étant mis à la charge des propriétaires. Après avoir rappelé avec une certaine hargne que la conduite de Deveau, « disparu » alors qu’il devait témoigner, lui paraît inadmissible, le président de la Cour exige que les frais d’analyse et d’expertise occasionnés par les taches relevées sur le pont sont payés par les sauveteurs. Pour la première fois depuis sa création, la Cour de la Vice-Amirauté se déclare impuissante à expliquer un mystère maritime.

Une énigme

On ne sut jamais ce qui était arrivé au capitaine de la « Mary Celeste », à sa famille et à son équipage. Aucun marin ne réapparut dans aucun port du monde pour se réclamer de ce bateau; les seuls qui le firent étaient des piliers de taverne dont le seul but était de se rendre intéressants… et de se faire payer un verre.

Le bateau lui-même acquit la réputation de porter malchance. Winchester le revend à son retour à New York. En 1884, il est acheté par un capitaine peu scrupuleux nommé Parker, qui l’échoue volontairement sur un récif des Antilles pour toucher l’assurance. La commission d’enquête qui suit l’acquitte pour des raisons techniques, mais il meurt huit mois plus tard. Dans l’intervalle, un de ses complices était devenu fou et l’autre s’était suicidé.

L’histoire tombe dans l’oubli pendant une douzaine d’années, jusqu’à ce qu’un journaliste de Boston, William Klein, publie un récit romancé de l’odyssée de la « Mary Celeste », contenant un essai d’explication. Ce fut comme un signal et on compte maintenant une quinzaine d’hypothèses. Il y a à l’Atlantic Mutual Insurance Company de New York une salle remplie de livres portant sur cette énigme, qui constitue un véritable musée de la « Mary Celeste ».

On a expliqué de toutes les façons imaginables, la disparition du Mary Celeste. Parmi les hypothèses farfelues, on compte: l’enlèvement par des extra-terrestres, l’attaque du bateau par une pieuvre géante et une subite extension géographique du Triangle des Bermudes; selon le « British Journal of Astrology », l’équipage aurait pu être « dématérialisé » pour s’être trouvé au-dessus de la capitale de l’Atlantide, engloutie sous la mer, à un « moment psychologique essentiel ». La « Mary Celeste » aurait eu des relations avec la Grande Pyramide de Giseh, autre lieu astrologiquement signifiant…

On évoque plus prosaïquement les cataclysmes naturels: maladie contagieuse qui tue tout l’équipage (mais on n’a pas retrouvé les corps), cyclone ou éruption volcanique sous-marine qui aurait conduit les marins à s’embarquer sur un canot de sauvetage (mais qui n’a pas détruit la goélette). On peut ranger dans les cataclysmes naturels les pirates qui écument encore les mers à cette époque; ils auraient tué la femme du capitaine et sa fille et enlevé l’équipage pour remplacer leurs propres matelots morts de maladie contagieuse (mais il n’y avait aucune trace de lutte sur la « Mary Celeste »). Certains auteurs ont aussi évoqué la possibilité que la goélette ait heurté une épave ou une « île flottante » (sorte de banc de sable qui se déplace sans cesse) pendant une tempête et que l’eau accumulée dans la cale ait percé un trou dans la coque, ce qui aurait entraîné l’évacuation précipitée du bateau.

La plus romanesque des hypothèses est sans doute une de celles publiée par le « Strand Magazine » qui la présente comme la confession d’un survivant de la « Mary Celeste ». Selon cet homme, le capitaine et son second se seraient livrés à une compétition de natation autour du bateau; Mrs Briggs, sa fille et l’équipage auraient pris place sur une plate-forme construite au-dessus de l’eau pour suivre la course; la plate-forme aurait cédé et tout le monde se serait retrouvé à l’eau. Malheureusement, le nom du vieux marin ne figurait pas sur la liste des engagés de la « Mary Celeste ».

Le « Strand Magazine » avait demandé à des auteurs connus d’imaginer la fin de la « Mary Celeste ». Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, imagina un marin noir qui tue le capitaine, sa famille et l’équipage par haine des Blancs. Le survivant qui raconte l’histoire a été protégé par une amulette africaine. Un certain Keating élabore sa version à partir des confidences du supposé cuisinier de la « Mary Celeste », John Pemberton, qui ne figure même pas sur la liste officielle de l’équipage. Selon cette version, le capitaine Morehouse, du « Dei Gratia », aurait prêté trois hommes d’équipage au capitaine Briggs, qui avait des difficultés de recrutement, pour faire la traversée de l’Atlantique; les deux bateaux devaient se rencontrer aux Açores. Le second du capitaine Briggs aurait pris en aversion la femme de celui-ci et son harmonium. Pendant une tempête, ce dernier se détache et écrase à mort sa propriétaire. Fou de douleur, le capitaine Briggs doit être maîtrisé. L’équipage en profite pour se lancer dans une beuverie qui dégénère en bagarre générale. Le capitaine se suicide en sautant à l’eau. Peu soucieux de rendre des comptes au capitaine du « Dei Gratia », les matelots survivants abandonnent le bateau au large des Açores et gagnent la terre ferme dans les barques des indigènes venus leur proposer du ravitaillement.

Cette hypothèse ne tient pas compte de deux faits: la liste de l’équipage, qui a été rendue publique lors de l’enquête, démontre que les matelots engagés étaient tous des marins expérimentés, au-dessus de tout soupçon. Deuxièmement, il n’y avait pas d’alcool buvable sur le bateau du capitaine Briggs, protestant rigoureux et abstinent. Celui de la cargaison était de nature à rendre aveugle et fou quiconque le consommait.

Elle est cependant assez proche des soupçons émis par Flood, qui penchait pour la mutinerie ou la complicité entre les deux capitaines. Flood avait élaboré plusieurs scénarios, du plus simple au plus complexe. Version numéro un: l’équipage s’est révolté, après avoir bu l’alcool de la cale. Il a tué le capitaine et sa famille et a abandonné le bateau pour une chaloupe de sauvetage qui a coulé dans la tempête. Objections: il n’y avait pas d’alcool comestible à bord et on n’y a trouvé aucune trace de violence.

Version numéro deux: les deux capitaines se sont mis d’accord à New York pour toucher la prime de sauvetage. Leurs deux bateaux se sont rencontrés aux Açores, le capitaine et l’équipage de la « Mary Celeste » ont touché terre en sécurité et attendu que la prime soit versée pour la partager avec le capitaine Morehouse et l’équipage du « Dei Gratia ». Objection: le capitaine Briggs était en partie propriétaire de la « Mary Celeste » et cette partie valait plus que la fraction de la prime qui lui serait revenue… Version numéro trois: le capitaine Morehouse avait prêté trois matelots au capitaine Briggs, qui devait les lui rendre aux Açores; mais ces marins avaient pour mission d’exterminer le reste de l’équipage et ses chefs, et de livrer le bateau à Morehouse pour la prime de sauvetage, ce qui fut fait. Objections: les capitaines Morehouse et Briggs étaient collègues et s’estimaient; la « Mary Celeste » ne ressemblait pas à un bateau sur lequel on a plus ou moins égorgé sept personnes…

Solutions?

Le premier homme à poser le pied sur le navire en perdition, le second Daveau, a toujours été convaincu que le bateau a été abandonné parce qu’on croyait qu’il prenait l’eau; il y avait un mètre d’eau dans la cale… Si la « Mary Celeste » avait essuyé une tempête avant le 25 novembre, ce jour-là a été calme, d’après la météo des Açores, et ce n’est que quelques jours plus tard que la mer et le vent ont forci, permettant au bateau déserté de poursuivre sa route. Les hublots condamnés démontrent que le bateau était paré à lutter contre la première tempête, et que l’eau embarquée venait des vagues essuyées alors qu’il voguait à la dérive. De toute façon, Briggs n’était pas homme à s’énerver pour un peu d’eau dans la cale, surtout avec deux pompes en état de marche…

Une autre hypothèse se rapporte à l’alimentation des marins de l’époque. L’humidité développe parfois dans les grains de certaines céréales un champignon parasite qui, lorsque la farine de ces grains est consommée, provoque des hallucinations comparables à celle du LSD. Il est possible que la farine embarquée sur la « Mary Celeste » ait été avariée de la sorte. Ses occupants se seraient alors retrouvés en plein « bad trip » et, pour échapper à des visions dont ils ne comprenaient pas la source, auraient plongé en bas du navire. On peut cependant se demander pourquoi cette intoxication alimentaire n’a pas eu lieu avant le 25 novembre…

Ceci nous ramène à l’hypothèse la plus scientifique. Elle fut émise pour la première fois par Winchester, un des propriétaires de la « Mary Celeste », et reprise par bien d’autres auteurs; elle concerne la nature même de la cargaison. L’alcool commercial avait été embarqué à New York en novembre (mois froid) dans des tonneaux cerclés d’acier bien arrimés dans la cale. Sous l’effet de la chaleur (nous sommes maintenant aux Açores), l’alcool liquide se transforme en gaz qui s’échappe des fûts. A cause de la tempête, la cale est hermétiquement fermée, donc non ventilée, et le gaz s’y concentre.

Il est possible que, dans le remue-ménage de la tempête, les cercles de métal des tonneaux frottent les uns contre les autres, provoquant des étincelles. A leur contact, le gaz s’enflamme, provoquant des détonations qui font penser que le bateau va exploser. Au premier jour de beau temps, on ouvre la cale et une épaisse vapeur s’en échappe, qui ressemble à de la fumée (alors que le gaz brûle dans l’air sans endommager les parois du bateau). Pris de panique, l’équipage et son chef montent dans le canot de sauvetage pour attendre la fin des hostilités. Un brusque coup de vent (confirmée par la météo) éloigne les deux embarcations, dont la plus petite coulera dans la tempête.

On connaissait mal à l’époque le comportement des produits volatils, comme le pétrole et l’alcool (le premier forage pétrolier datait de 1859). Le capitaine Briggs n’était certes pas homme à abandonner son bateau, mais la présence de sa femme et de sa fille l’incitait peut-être à de plus grandes précautions puisqu’il avait pris, à tout hasard, ses instruments de navigation. Une variante de cette hypothèse veut que, le capitaine étant malade ou décédé d’une crise cardiaque, la personne qui assumait le commandement n’avait peut-être pas son sang-froid…

En l’absence de tout survivant, la « Mary Celeste » continuera longtemps de faire travailler l’imagination des chercheurs et, à New-York, le musée de la « Mary Celeste », continuera de s’enrichir.

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Author: Reynald

J'ai crée ce site en 2004 car j'étais un passionné de paranormal et je voulais partager ma passion avec les gens qui ont la même passion. Bonne lecture.

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