Une belle demeure anglaise couverte d’un toit de chaume…Des fenêtres gaies laquées d’un blanc pur et ornées de fleurs. Des oiseaus piaillant dans les ramages. D’où vient alors, qu’immédiatement, en pénétrant dans la maison, Kay Newton a peur ? C’est une femme âgée de 59 ans, blonde grande, bien charpentée. Elle a servi dans la Royal Navy comme infirmière pendant 30 ans et elle vient de prendre sa retraite dans le Sommerset anglais, près du merveilleux village de Sherborne. Elle visite la maison appelée « Cornfield Cottage » en plein mois de juillet 1985, et le soleil qui pénètre à travers les minuscules carreaux ajoute au charme de la demeure. Elle traverse les pièces. Un vestibule avec, à droite, une petite salle à manger donnant sur la cuisine, à gauche, un salon vaste, bien éclairé, faisant l’angle. Dans le fond, une porte basse.
« Où mène cette ouverture ? » demande Kay Newton à la propriétaire.
« C’est une ancienne chambre à coucher. Elle sert de débarras. »
La porte est bien verrouillée et il faut toute l’insistance de Kay pour que Miss Hampton daigne aller chercher la clef. Quand elle pénètre enfin dans la chambre, l’ancienne infirmière constate avec surprise que c’est une grande pièce très agréable.
« C’est magnifique ! s’exclame-t-elle. Pourquoi ne pas l’avoir aménagée en chambre à coucher..? ».
La propriétaire répond :
« Je suis assez froussarde, je n’aime pas dormir au rez-de-chaussée ».
Kay l’examine attentivement.
« Pourquoi vendez-vous la maison au fait..? »
Vera Hampton ne répond pas. Longtemps, par la suite, Kay reverra cette image : les yeux sombres, un peu globuleux, de la vieille demoiselle, qui se détournent, ses traits qui se figent avec, est-ce un effet de l’imagination de l’infirmière, une expression d’effroi? Cependant , Kay finit par se décider à acheter poussée par sa vieille amie, Madline Samers, 61 ans, qui habite une villa jouxtant le cottage.
Tout au long de l’été, elle procède aux aménagements. Elle fait refaire les peintures et les tapisseries. Tout est neuf, clair et beau. Excepté la grande chambre du fond qu’elle a conservé telle qu’elle était. Elle déteste y pénétrer. Quand elle y entre pour y entreposer quelque objet, elle n’a pas trop peur. Mais c’est quand elle se retourne pour regagner la sortie qu’elle éprouve l’horrible sensation que quelqu’un, derrière; guette son départ pour se livrer à quelque action monstrueuse, épouvantable. Et même quand elle se trouve douillettement au fond de son lit dans sa chambre du premier étage, elle croit entendre parfois, venant de cette pièce, comme un piétinement, puis, le bruit très net d’un meuble que l’on pousse et, plus furtif, un grincement de sommier. Mais cela ne peut être que l’effet de son imagination. Kay en est certaine. Et sans doute suffirait-elle qu’elle ait le courage, une bonne fois pour toutes, de se retourner quand elle se trouve dans la pièce du rez-de-chaussée, pour que se calment définitivement ses frayeurs. Oui, mais seulement voilà, elle n’ose pas. Jusqu’à un certain soir du mois de septembre.
Il est 18 heures. La pluie n’a pas cessé de tomber depuis le matin. Miss Newton pénètre avec assurance dans la chambre-débarras pour y prendre ses bottes en caoutchouc. Est-ce le verre de « Banyuls » qu’elle vient de boire avec sa voisine Madline qui donne cette détermination ? Elle se sent particulièrement remontée en ouvrant l’endroit « maudit ». Ses bottes de jardin se trouvent au fond, rangées dans un casier. Elle traverse les lieux d’une démarche de grenadier avec pour seul éclairage la lumière du vestibule. Elle se retourne et se dirige vers la porte. C’est alors qu’elle éprouve cette même sensation désagréable qu’il y a « quelqu’un » derrière son dos. Alors irritée, elle fait volte-face et reste figée d’horreur….Il y a deux personnes dans la pièce..! D’abord une femme d’environ 40 ans, petite, assez jolie. Elle recule contre le casier du fond et fait racler les pieds d’une chaise sur le sol en butant contre le meuble. Face à elle se trouve un homme beaucoup plus âgé, grand, maigre, le visage émacié, il semble fou de rage. Il tient quelque chose à la main. La femme est terrifiée et ne cesse de reculer. Brusquement, Kay Newton voit ce qu’il tient à la main : c’est un couteau ! La femme ouvre la bouche pour crier mais aucun son ne sort de sa bouche quand son compagnon lui plonge la lame en plein coeur…Elle s’écroule sur le divan dont le sommier grince. Paralysée par l’horreur, l’ancienne infirmière regarde le meurtrier se pencher au-dessus de sa victime, l’enveloppant dans une couverture. Kay a juste le temps de se dissimuler dans l’ombre quand il avance vers elle, traînant son macabre fardeau. Elle retient son souffle, craignant, s’il la remarque, d’être la seconde victime ! Il passe devant elle : complet gris moyen, cravate fine, chemise colorée. Miss Newton remarque les moindres détails de ces vêtements qui lui semblent un peu bizarres, sans qu’elle ne puisse expliquer en quoi.
Pendant 5 longues minutes, elle reste tapie. Puis, n’entendant plus rien, elle glisse sur la pointe des pieds dans le vestibule où se trouve le téléphone. Le coeur battant, elle hésite avant de saisir le combiné, craignant que le bruit de la sonnerie ne révèle à l’assassin sa présence. Mais elle n’ose pas davantage s’aventurer dans le jardin pour se rendre chez son amie. Alors, plus morte que vive, elle se résoud enfin à téléphoner. Son doigt compose un premier chiffre, un deuxième. A chaque fois qu’elle remonte le cadran, il se fait un léger tintement et, Kay s’attend à chaque instant à voir surgir le meurtrier. L’impression des policiers qui arrivent une demi-heure plus tard est que l’assassin a disparu, non pas dans la nuit, mais dans l’imagination de Miss Newton d’où il était tout droiit sorti. En effet, ils ont beau examiner avec soin la pièce, ils ne découvrent aucune empreinte. Confuse, Kay insiste :
« Je vous assure, une femme se trouvait là, en sang, tout près du casier ! Elle a reculé et s’est écroulée sur le lit ! ». Le policier sceptique lui répond :
« Le lit ? Quel lit, Miss Newton ? »
L’ancienne infirmière, interloquée, doit admettre qu’il n’y a pas de divan ! Cette scène est donc sortie tout droit de son imagination. Il ne lui reste plus qu’à s’excuser. Cependant, elle préfère s’installer pour la nuit chez son amie Madline. Le lendemain elle réintègre, sans beaucoup d’enthousiasme, sa maison. Mais elle refuse, définitivement, de pénétrer dans la chambre « maudite ». Elle en sort ses objets utiles et la verrouille.
Un mois se passe. Kay se lance dans des travaux de jardinage. Au fond du jardin elle creuse des trous destinés à recevoir les arbustes qu’elle a l’intention de planter en novembre. Mais la pelle heurte quelque chose de dur et de blanc : c’est un crane humain…Cette fois,c ‘en est trop ! Ses nerfs la lâchent, elle se met à hurler, en proie à une violente crise. Madline qui travaille, elle aussi, dans son jardin, l’entend et se précipite. C’est elle qui prévient la police. En l’espace de peu de temps, des enquêteurs, accompagnés d’un médecin-légiste et d’experts médicaux légaux, découvrent un squelette tout entier dissimulé sous 80 centimètres de terre. Les experts évaluent à 8 ou 10 années le temps où le cadavre est resté enterré là. Un cadavre de femme dont il est absolument impossible de déterminer l’âge. Les enquêteurs tentent donc de remonter le fil de l’histoire de la maison. Mais Kay ne peut les aider. Elle a simplement connu la précédente propriétaire, l’étrange Miss Hampton. Cette dernière, qui s’est installée à Londres ne fait aucune difficulté pour expliquer aux policiers qu’elle a acheté la maison 8 ans auparavant à un dénommé Thomas Weaver. Elle avoue même qu’elle s’est décidée à vendre parce qu’elle entendait de drôles de bruits dans la fameuse pièce.
« Ce Thomas Weaver était-il marié ? » demande un policier…
« Apparement non, il était seul » répondit Miss Hampton.
Renseignements pris, il s’avère que Vera Hampton se trompe : Thomas Weaver avait épousé en 1960, Edna Marlow. Et, à propos, les dossiers du poste de police de Sherborne font état d’un élément étrange : à plusieurs reprises, Hilda Marlow, soeur de la précédente, a fait des démarches auprès des autorités parce que celle-ci ne répondait plus à ses lettres et avait « disparu ».
L’enquête effectuée auprès du mari avait conclu, à l’époque, que Edna avait quitté le domicile conjugal en mars 1973. Il n’y avait aucune raison d’en douter à l’époque. Les effets personnels d’Edna n’étaient plus dans la maison. C’est ainsi que le dossier avait été classé. Mais après la déocuverte du cadavre dans le jardin, une chose tracasse les policiers : les mensurations du squelette sont exactement les mêmes à celles d’Edna Marlow. Chez sa soeur Hilda, les policiers mettent la main sur une photo du couple, le jour de leur mariage en 1960. Ils la montrent à Kay Newton qui tréssaille : en effet, elle reconnait immédiatement le visage émacié, les cheveux bruns. Elle reconnaît aussi la femme…Elle comprend, du même coup, ce qui l’a étonnée dans les vêtements de l’assassin : le crime remonte de 1973 et ceux-ci sont démodés, tout simplement. L’infirmière décrit au policier le crime comme il s’est déroulé, dix ans auparavant !
« Il faut absolument que vous retrouviez l’assassin, dit-elle, sinon il va revenir. »
Madline Somers, elle, a son avis sur la question. la vieille dame, passionnée de parapsychologie, est convaincue que jamais les policiers ne trouveront Thomas Weaver, pour la bonne raison qu’il est mort. Comemnt expliquer autrement que son fantôme vienne persécuter les vivants ? C’est pourquoi Miss Kay Newton a jugé plus prudent de s’installer, pour l’instant, chez son amie.
Un écriteau « A vendre » est cloué à l’entrée du joli cottage.