Le 9 septembre 1949, un DC-3 de CP Air piloté par le capitaine Pierre Larin explose et s’écrase à Sault-au-Cochon. La tragédie fait vingt-trois morts. La déflagration s’est produite peu de temps après le décollage de l’aéroport de Ste-Foy, près de Québec.

Cette catastrophe aérienne est la première du genre au Canada, c’est le seul cas de sabotage criminel d’un avion de ligne à survenir au pays, comme le démontrera l’enquête qui va suivre.

L’accident du 9 septembre 1949 fait passer à la une des journaux un lieu dit Sault-au-Cochon. Une région boisée et inhabitée, située entre St-Tite-des-Caps et Ste-Anne-de-Beaupré, à une quarantaine de milles de la ville de Québec.

Au Canada, les enquêtes sur les accidents d’aviation étaient menées par des inspecteurs-spécialistes du ministère fédéral des Transports. La police, provinciale et locale, prêtait son concours, à la demande des inspecteurs fédéraux, mais la poursuite de l’enquête relevait exclusivement de l’organisme fédéral.

Pourtant, un homme, N. R. Crump n’entend pas attendre l’arrivée des inspecteurs du gouvernement fédéral, car il sait que le DC-3 est un appareil robuste et fiable, qui a fait ses preuves et dont le dossier sécuritaire est fort impressionnant. M. Crump est le vice-président et membre du comité exécutif du Canadian Pacifique, grande société privée qui exploite alors des chemins de fer, des lignes de paquebots, une flotte de navires marchands, une ligne aérienne et une chaîne d’hôtellerie. Dans le cas précis du CF-CUA de CP Air, il sait pertinemment que l’avion vient tout juste d’être vérifié, mais au point et qu’il se trouve en parfait état de vol. Il y a dans cet accident, pense-t-il, quelque chose d’incompréhensible, d’inexplicable…

Crump appelle Jules Perreault, du Service des enquêtes du Canadien Pacifique, et lui demande de se rendre immédiatement sur les lieux du sinistre, en compagnie de deux autres enquêteurs de la compagnie. Comme précaution supplémentaire, il leur adjoint un avocat de Québec, Me François Gravel, conseiller juridique attitré du Canadien Pacifique dans la Vieille Capitale.

Sur les lieux, nombre d’indices paraissent suspects à Jules Perreault et à ses deux collègues. Lorsque les enquêteurs sentent la drôle d’odeur qui se dégage des décombres de l’appareil, Jules Perreault est catégorique : Ça sent la dynamite ! Impossible de se tromper là-dessus.

Cette première constatation, strictement olfactive, aura des répercussions importantes sur l’enquête qui va suivre.

Mis au courant de ce rapport préliminaire, M. Crump charge un administrateur du Canadien Pacifique de se rendre à Québec et d’aller, en compagnie de Me Gravel, rencontrer le premier ministre d’alors, Maurice Duplessis, et son ministre de la Justice, pour demander l’aide et l’intervention du gouvernement provincial.

Convaincu qu’il s’agit tout bonnement d’une défaillance de l’appareil et que le Canadien Pacifique cherche à se soustraire à sa responsabilité civile pour en faire porter le poids sur le gouvernement provincial, le premier ministre Duplessis oppose une fin de non-recevoir : « Vous avez eu un accident. Il ne vous reste qu’à payer », dit-il, en substance. Cette décision aura, du point de vue historique, un effet pour le moins singulière : la Police provinciale du Québec n’interviendra pas dans une affaire qui intéresse essentiellement une société privée et ses assureurs.

La méprise est totale et elle aura de bizarres conséquences sur le déroulement de ce qui deviendra L’Affaire Guay.

Crump charge son chef-enquêteur Jules Perreault de recruter les meilleurs détectives privés pour mener une enquête approfondie. Une quinzaine d’hommes se mettent donc à la recherche d’informations susceptibles de révéler la cause de l’écrasement du CF-CUA.

En fait, la liste des passagers compte des noms prestigieux : le président de la Kennecott Copper, une grande société multinationale qui domine les marchés d’extraction et de vente du cuivre; un vice-président de la Quebec North Shore Paper Limited, M. Flahiff; et nombre d’hommes d’affaires de renom. En somme, la note à régler sur le plan de l’indemnisation s’avère considérable.

Patiemment, les limiers poursuivent leur enquête. Un chauffeur de taxi du nom de Chassé rapporte qu’il est allé conduire à l’aéroport une dame corpulente, qui allait y livrer une petite caisse de bois. Les détectives trouvent finalement un filon qui crée des présomptions assez fortes pour justifier l’intervention immédiate de la Sûreté du Québec. Celle-ci a été initialement écartée de l’enquête, pour les raisons que l’on déjà sait, mais elle rattrapera le temps perdu.

Finalement, ce seront 93 pièces à conviction et 82 témoins qu’on pourra présenter au procès pour meurtre de vingt-trois citoyens.

Les accusés sont : Joseph-Albert Guay, 32 ans, voyageur de commerce en bijouterie; Généreux Ruest, 51 ans, horloger, métier qu’il exerce au 10, rue St-François, à Québec, et dame Arthur Pitre, née Marguerite Ruest, sœur du précédent. Les trois sont accusés d’avoir criminellement provoqué l’explosion du CF-CUA.

À tout crime, il faut un mobile. Ce mobile, quel est-il ? Voici la réponse :

Albert Guay a déjà été propriétaire d’une bijouterie à Québec, commerce qu’il a vendu pour devenir représentant en bijouterie sur la Côte-Nord. C’est là qu’il a connu et séduit une jeune fille de seize ans et demi, Mari-Ange Robitaille. Guay est marié à une femme de 28 ans, Rita Morel, qui lui a déjà donné une petite fille. Une liaison durable suivra. Les amants se retrouvent à la faveur des voyages qu’Albert fait à Sept-Îles pour vaquer à ses affaires.

Albert Guay finit par convaincre Marie-Ange de venir habiter à Québec. En 1949, elle est serveuse dans un restaurant du boulevard Charest. Elle ne se doute aucunement que c’est elle, le mobile du crime qui va se commettre. Car Guay veut à tout prix se séparer de son épouse légitime.

Or, au Québec de 1949, un divorce est chose très difficile à obtenir. L’adultère demeure le seul motif à invoquer, mais Rita Guay est une épouse d’une fidélité désarçonnant. En outre, les frais d’un divorce sont énormes à cette époque. Albert Guay doit donc chercher ailleurs.

C’est pourquoi il retient la solution de se débarrasser de cette femme qui le gêne en la faisant périr dans un avion qui s’écrasera dans le fleuve, sans laisser de traces.

Guay n’a pas lui-même la compétence technique pour fabriquer une bombe à minuterie, mais il connaît bien un horloger, Généreux Ruest, dont il est le client chaque fois qu’une montre, une pendue ou une horloge a besoin d’être réparée. Pourquoi et comment Généreau Ruest, un homme souffreteux et claudiquant, en est-il venu à accepter de fabriquer l’engin de la mort ?

Le procès à venir établira le comment : avec un mécanisme d’horlogerie, de la dynamite, des détonateurs et des fils gainés… Quant au pourquoi… Ruest a touché sa part de la police d’assurance que Guay avait signé sur la vie de sa femme lorsqu’elle prenait l’avion pour Baie-Comeau : 10 mille dollars… en 1949, c’est une très belle somme qui a coûté la faramineuse mise de fonds de 50 cents…

En effet, le scénario prévoit que Mme Guay ira à Baie-Comeau récupérer une valise remplie d’articles de bijouterie que son mari a oubliée dans un hôtel de cette localité. La valise n’est pas perdue, Guay a vérifié au téléphone, mais l’hôtel ne veut pas en assurer la garde plus longtemps qu’il ne faut. Mme Guay hésite, mais elle se laisse convaincre d’aller chercher la valise, puisque son cher Albert en est empêché.

Marguerite Pitre ira porter la bombe à la dernière minute en disant à Mme Guay qu’il s’agit d’une livraison à faire à un client de Baie-Comeau.

À l’heure de décollage, Joseph-Albert Guay, donnant le bras à sa jeune maîtresse, s’est installé à la terrasse Dufferin pour voir le CF-CUA piquer du nez dans le Saint-Laurent. Cela lui fournira un alibi et confirmera que sa solution peu banale à ses problèmes maritaux a pleinement réussi.

Un petit incident va faire échouer ce plan supposément à l’abri de toute anicroche. L’avion décolle avec une bonne dizaine de minutes de retard. Au lieu de s’écraser dans le fleuve et de ne rien laisser aux enquêteurs, l’appareil va étaler ses débris et ses cadavres dans les bois de Sault-au-Cochon.

Enfin, c’est la police d’assurance et le transport à la fois singulier et un peu trop visible de l’engin meurtrier à l’aéroport de Ste-Foy ont mis les enquêteurs sur les traces des trois auteurs du crime.

Le reste fait partie des annales judiciaires de la province de Québec. Conscient, cette fois, de sa méprise initiale, le ministre de Justice fait appel aux gros canons : il désigne comme procureurs de la Couronne Me Noël Dorion, avocat prestigieux et plaideur redoutable et Me Paul Miquelon, qui sera plus tard nommé à la magistrature. Les avocats de la défense son Mes Gérard Lévesque et Bertrand Marcotte.

Le premier de trois procès s’instruit le 23 février 1950. À la barre : Joseph-Albert Guay. Le procès est présidé par le juge Sévigny (c’est le père de Pierre Sévigny, futur ministre dans le cabinet Diefenbaker). Une des victimes de l’attentat criminel contre le CF-CUA était son gendre.

Les témoignages et les pièces à conviction réunis par les enquêteurs privés et les détectives de la Sûreté du Québec sont accablants. Le 14 mars, à 13 heures 26, un jury de douze membres rend un verdict unanime de culpabilité contre Albert Guay.

Les deux procès qui vont suivre établiront la participation active de Généreux Ruest et de sa sœur.

L’accusation démontre que Marguerite Pitre, sous le nom de Mme Côté, a acheté, le 18 aoput 1949m dix livres de dynamite, des détonateurs et du cordon de détonation chez Samson et Filion de Québec. Détail ironique, la facture pour tout ce matériel qui va entraîner la destruction d’un avion et vingt-trois pertes de vies n’est que de $6.09.

Le 20 septembre 1949, soit onze jours après l’explosion à bord du DC-3 de Canadian Pacific Air, Marguerite Pitre a attenté à sa vie, et ce, sur les instances de Joseph-Albert Guay, qui lui a demandé d’écrire une lettre dans laquelle elle se déclarait la seule coupable de la machination, et d’absorber ensuite une forte dose de somnifères ou d’ouvrir le gaz.

Le ministère public porte contre elle une accusation de tentative de suicide en conformité des dispositions du Code pénal, mais aucun tribunal ne sera jamais sais de cette cause puisque Marguerite Pitre est, comme Albert Guay et Généreux Ruest, condamnée à mort pour meurtre.

En 1949, le mode d’exécution au Canada est la pendaison. Le juge en chef Albert Sévigny prononce une première sentence de condamnation à mort, contre Joseph-Albert Guay, le 23 juin 1950. Il est pendu le 12 janvier 1951.

Joseph-Albert Guay au moment de son exécution.

Détail à la fois macabre et pitoyable : Généreux Ruest est cruellement ravagé par la tuberculose des os. Lors de sa pendaison, sa tête se détache complètement du corps lorsque la trappe s’ouvre sous ses pieds.

Généreux Ruest

Quant à Marguerite Pitre, une femme pesant plus de cent kilos, il faut quatre hommes pour la hisser sur l’échafaud.

Marguerite Pitre

Par sa part, Marie-Ange Robitaille est estimée ignorante et innocent du complot et n’est pas inquiétée par la justice.

Le crime n’est pas resté impuni, mais une énigme demeure : que serait-il arrivé si l’avion avait décollé à l’heure prévue et s’il s’était abattu dans les eaux du Saint-Laurent ? Le destin a parfois de ces détours imprévisibles. Cette fois, il a fait en sorte de confirmer l’axiome voulant que le crime parfait n’existe pas.

(D’après Le Mémorial du Québec, tome VII, 1953-1965 p.212-221)

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J'ai crée ce site en 2004 car j'étais un passionné de paranormal et je voulais partager ma passion avec les gens qui ont la même passion. Bonne lecture.

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