Si l’on part du principe qu’une espèce naturelle ne peut vivre – et se reproduire – qu’à la condition expresse qu’il existe au moins 1000 individus, que penser des insaisissables « hommes sauvages » ou « hommes des neiges » ? Bien souvent on croit savoir qu’il s’agit d’un individu isolé… vivant en solitaire dans une zone montagneuse inaccessible… Ou qu’il n’en reste guère – tout au plus – qu’une petite douzaine ça et là… C’est bien sûr pour satisfaire nos esprits rationnels qui n’arrivent pas à comprendre pourquoi on n’a pas déjà attrapé le « yéti » ! Comment une aussi grosse bête arrive-t-elle à échapper si longtemps aux piégeurs et chasseurs professionnels ? En plus, nous vivons à l’époque de la haute technologie, des caméras à infrarouge et des satellites d’observation… Ou bien, autre explication possible, Bigfoot & Cie ne sont-il que pure invention journalistique… ? Non, je peux rassurer le lecteur, les hommes sauvages existent bel et bien ! Il y a sans doute des populations de plusieurs dizaines ou centaines d’individus, réparties en différents points du globe… Ils vivent discrètement, anonymement, ne se laissant approcher qu’à de rares occasions, ils sont plutôt nocturnes et furtifs, mais en tout cas, ils sont bien là !
En effet, on oublie un peu vite que, vues du ciel, les grandes étendues arborées ne sont pas transparentes, et qu’elles recouvrent justement ces vallées d’altitude – ou autres zones boisées, marécageuses ou montagneuses – susceptibles d’abriter des hommes sauvages… De très gros animaux peuvent facilement s’y cacher, et les éléphants de forêt en Malaisie ou en Afrique, sont souvent cités en exemple. On peut découvrir du crottin au détour d’un sentier, mais ne jamais voir d’éléphants… Sinon par un fameux coup de chance ! Alors, si voir un animal connu et peu méfiant est déjà si extraordinaire, que dire d’un animal rare et mystérieux !
– Bref historique –
Les histoires d’hommes sauvages ne datent pas d’hier, loin s’en faut. C’est surtout la publicité faite autour du yéti de l’Himalaya qui l’a fait connaître en Occident : un être mi-homme mi-singe vivant depuis toujours sur les hauteurs himalayennes ! On se souvient de la fameuse empreinte de yéti photographiée par l’alpiniste Eric Shipton en 1951. Quant au bigfoot nord-américain ou sasquatch, il a pris peu à peu les devants de la scène, grâce notamment à la diffusion du film de Patterson ( 1967 ) qui montre une femelle de ce type d’hominidé. Mais même chez nous au cœur de l’Europe, de nombreuses traditions évoquent l’existence d’hommes sauvages et velus, semblables à nous ( pas forcément des géants ! ), mais recouverts de la tête aux pieds d’un abondant pelage… Ce sont les satyres ou faunes des Grecs et des Latins, les hommes-ours du folklore pyrénéen… Des observations récentes ont même été faites en Italie, en Écosse, sans oublier la grande Russie. Nos semblables, les velus, vivent toujours parmi nous !
La première question qui vient inévitablement à l’esprit est : qui sont-ils ? Si l’on se replace dans un contexte évolutif, on pense inévitablement aux hominidés fossiles déjà répertoriés par la science : néandertaliens, pithécanthropes, australopithèques, voire gigantopithèques [ un grand singe, apparenté à l’orang-outan ].
Mais, au fait, s’agit-il d’une seule sorte d’hominidé, ou plutôt de diverses espèces ?
Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Il n’est pas simple également d’assigner aux hommes sauvages une » étiquette » préhistorique précise, même s’il est toujours très tentant de rechercher une concordance géographique entres les hominidés disparus et leurs descendants actuels présumés ( comme au Caucase ). Nous ne possédons en effet que des ossements [ souvent incomplets ] des formes fossiles, et les reconstitutions faites par les paléontologues sont loin de faire l’unanimité…
Mais avant de poser la question de leur identité, voyons d’abord ce que nous savons des créatures sauvages et velues qui ressemblent à l’homme.
Les hommes sauvages répartis par continents
Avec l’Asie, nous faisons la connaissance du yéti, bien connu de tous. Sans doute n’est-il d’ailleurs pas un homme au sens propre du terme, malgré son surnom habituel d’homme-des-neiges. Il ne vit d’ailleurs pas dans la neige, mais plutôt dans les forêts d’altitude du Népal et de l’Inde du nord. Sa taille indiquée par Bernard Heuvelmans est « celle d’un adolescent ». Évidemment, Hergé a dessiné son yéti bien trop grand pour les besoins de l’album Tintin au Tibet… Ce qui paraît typique de cette espèce ( plus népalaise que tibétaine ) est la forme en « pain de sucre » de sa tête. Pour beaucoup, le yéti « classique » ou migö est un proche parent de l’orang-outan. Des fossiles ou sub-fossiles ont été trouvés en Chine et en Thaïlande. Dans ce cas, il s’agirait d’un singe. Mais l’hypothèse d’un Homo erectus de petite taille, formulée par le chercheur russe Michael Trachtengerts, a aussi de quoi séduire ! A moins que les 2 espèces ne co-habitent… ?
Une forme plus grande, géante [ 2 m 50 ], existerait également dans l’Himalaya, voire en Birmanie, et jusqu’en Malaisie. On l’a souvent assimilée au gigantopithèque, grand singe du Tertiaire.
De l’autre côté de la chaîne himalayenne, au Pakistan, le barmanu a été étudié par le zoologue espagnol Jordi Magraner avant sa tragique disparition en 2002. C’est dans cet hominidé que Bernard Heuvelmans pensait retrouver son Homo pongoides [ voir encadré plus bas ] qu’il situait en Indochine, où on l’appelle nguoi-rung.
La Chine serait le terrain de prédilection du yeren. La littérature chinoise a souvent mentionné la présence de grands singes ou d’hommes sauvages dans la région de la Shennongjia. Une expédition y fut d’ailleurs menée en 1989 sous l’égide de l’International Society of Cryptozoology, avec Richard Greenwell et l’anthropologue Franck Poirier. A partir des indices recueillis, ils ont proposé l’hypothèse d’un hominidé inconnu. Le professeur Zhou Guoxin, un spécialiste reconnu des hommes sauvages chinois, est enclin à y voir des orangs-outans continentaux.
Plus au nord et au Caucase, ce sont les almas, kaptars et almastys qui font parler d’eux. Ces derniers furent étudiés par une chercheuse française, Marie-Jeanne Koffmann, qui rassembla plusieurs centaines de témoignages sur eux. L’almasty est de belle stature ( 1,75 m, parfois beaucoup plus ), naturellement bipède, velu et chevelu ; les bras sont longs, la tête est aplatie et de petite taille, certains témoins parlent de canines saillantes ; est-ce un singe ou un homme ? Il a en tout cas un air de famille avec l’Homo georgicus, fossile connu depuis peu de la Géorgie… Apparemment l’almasty n’utilise pas d’outils, ni ne fait du feu, mais se pare parfois des vêtements qu’il a trouvés.
En Afrique, de petites formes ( agogwe, kakundakari ) coexistent avec des spécimens plus grands, hirsutes et massifs ( kikomba ). Bernard Heuvelmans pensait qu’à côté de ‘proto’-pygmées ( Homo sapiens ), des pithécanthropes ( Homo erectus ) avaient pu survivre au Kenya, Congo ou Cameroun, sans toutefois exclure la possibilité qu’il y eût aussi de grands singes anthropomorphes inconnus, voisins des australopithèques ou des chimpanzés.
A Sumatra, il faut s’arrêter sur le cas de l’orang-pendek ou sedapa, car ce « cryptide » pourrait prochainement être découvert, tant les expéditions scientifiques se multiplient dans le parc national de Kerinci Slebat ( sud de l’île de Sumatra ). Le cryptozoologiste français bien connu Michel Raynal pense même que sa découverte est imminente ! Il semblerait s’agir d’un singe bipède, peut-être d’un grand siamang ; personnellement j’avais émis en 1998 l’hypothèse de descendants asiatiques de l’Oréopithèque, singe bipède connu du Miocène de l’Italie.
En octobre 2004, l’annonce d’une découverte stupéfiante, sur l’île voisine de Flores, celle d’un homme nain ( 1 m ) au cerveau pas plus gros qu’un pamplemousse, vint secouer le landerneau des paléoanthropologues. Homo floresensis aurait vécu en Indonésie jusqu’à un passé fort récent ( 12.000 ans ) et ne se serait éteint que suite à une catastrophe volcanique. La question que l’on pose tout naturellement est celle de sa survivance. Le folklore local évoque de petites créatures bipèdes, les ebu gogo… Quant à l’orang-pendek dont nous parlions plus haut, il pourrait être un proche parent, quoique l’empreinte moulée par Adam Davies à Sumatra fasse plutôt penser à un singe, avec un gros orteil long et écarté des autres orteils. Mais il est vrai que nous ne savons encore rien des pieds de l’Homo floresiensis, affaire à suivre donc !
En passant par l’Australie ( yowie ou yahoo, formes plutôt géantes ! ) et les îles du Pacifique [ des rapports troublants nous parviennent en ce moment des îles Salomon ], nous arrivons aux Amériques… La vedette incontestée est ici le sasquatch ou bigfoot, surtout au nord-ouest du continent [ mais il a été vu sur l’ensemble du territoire nord-américain ]. Ces hominidés velus, très costauds d’allure, mesurent entre 2 et 3 m, et sont bien connus pour leurs empreintes géantes [ 40 cm et plus ], d’où leur nom de bigfoot, ou sasquatch ( mot indien signifiant « géant velu » ), ainsi que par le film de Patterson ( 1967 ), souvent vu à la télévision. Bernard Heuvelmans, puis le professeur d’anthropologie Grover S. Krantz, ont rapproché ces formes des gigantopithèques fossiles d’Asie. Actuellement, la tendance des hominologistes est de voir dans le sasquatch plutôt une sorte d’Homo erectus géant. En ce qui me concerne, j’ai présenté en 2003 devant l’International Bigfoot Society, à la Convention d’Hillsboro, Orégon, une thèse sur les possibles habitudes migratrices du bigfoot dans les régions côtières du Pacific Northwest, en assimilant cet hominidé au Meganthropus, pithécanthrope géant exhumé à Java par l’anthropologue allemand Ralph von Koenigswald. Dans mon hypothèse, bigfoot n’a pas franchi à pied la Béringie [ province du détroit de Béring, actuellement sous les eaux ], mais est venu directement par la mer, en longeant les côtes ou les chapelets d’îles, puis en prolongeant vers le sud. Ce serait ainsi une sorte d’homme-marin !
Quel type d’investigation peut-on mener sur les hommes sauvages, à part bien sûr la recherche active ? Que peut faire un hominologiste quand il n’est pas sur le terrain ? Tout simplement, prospecter les fonds de légendes, les récits de voyageurs, les articles de presse…
Prenons comme exemple l’Europe occidentale. Ce n’est pas une contrée où l’on parle beaucoup d’hommes sauvages [ quoiqu’il y ait des observations récentes… ], mais en levant les yeux vers les façades des cathédrales ou des beffrois [ Grand-Place de Bruxelles… ], on peut trouver des représentations d’hommes sauvages et velus qui datent de l’époque de construction de ces édifices. Bien sûr, on a sculpté ces hommes barbus et velus, armés de grosses massues… en tant que gardiens symboliques des lieux. Mais là où cela devient franchement intéressant, c’est quand les artistes d’antan ont représenté certains de ces velus avec des caractéristiques physiques qui sortent de l’ordinaire : front bas, nez retroussé aux narines béantes, importante pilosité du corps mais pas du visage, bras longs… Car c’est justement ainsi que l’on imagine l’aspect des néandertaliens de la Préhistoire !
Parallèlement, le portrait-robot d’hommes sauvages actuels, rapporté du Caucase ou du Pakistan, coïncide assez bien avec les reconstitutions contemporaines que l’on a pu faire des néandertaliens ou des pithécanthropes…
On se demande où les artistes du Moyen-Age sont allés chercher leurs modèles… sinon dans leur environnement immédiat ! D’où la conclusion que ces êtres sauvages existaient encore communément en Europe, voici 5-6 siècles… Rappelons que de vastes forêts recouvraient alors nos régions, et que la densité humaine était à cette époque relativement faible, en dehors des villes et des grands axes de circulation !
L‘inconnu était à nos portes !
Pour le cryptozoologue et naturaliste français Christian Le Noël, ces hommes sauvages et velus ont été des néandertaliens… lesquels furent persécutés, exploités ou domestiqués pour les travaux des champs, puis exterminés au XIX° siècle !
Quant aux hommes sauvages que l’on rencontre sporadiquement encore en Europe, notamment à proximité des côtes, ils n’appartiennent, à mon avis, déjà plus à cette catégorie.
Y a-t-il 2 sortes d’hommes sauvages ?
Ou plus précisément 3, si l’on inclut les groupements toujours possibles d’Homo sapiens ‘féraux’, ainsi que les individus isolés appartenant à notre espèce, véritables hommes ensauvagés, tant dans les forêts reculées qu’en certaines zones montagneuses !
L‘espèce « marine » que nous évoquions quelques lignes plus haut a, par définition, le don d’ubiquité… car elle peut surgir des flots en n’importe quel endroit ! En Australie, comme en Europe occidentale ou sur une île du Pacifique…
L espèce « terrestre » qui vit aussi dans les marécages est logiquement plus sédentaire. L’un de ces êtres semble être décrit dans l’épopée anglo-saxonne Beowulf ( rédigée entre le VIIIème et le Xème siècle ) en ces termes : « …ruisselant de bave, puant et velu, d’une force prodigieuse, il hante les marais et les forêts où ni hommes, ni bêtes ne s’aventurent« . En France, Chrétien de Troyes relate vers 1170 l’aventure du chevalier Calogrenant qui rencontre dans la forêt de Brocéliande une créature assez semblable.
En 1551, l’encyclopédiste suisse Conrad Gesner dans le tome I de son Histoire des Animaux se fait l’écho de rapports selon lesquels « …deux monstres sauvages et velus avaient été capturés qui avaient tout à fait figure humaine » dans les forêts de Saxonie.
L‘anthropologue suédois Gunnar Olof Hylén-Cavallius a été le premier, en 1864, à suggérer que les trolls des légendes scandinaves étaient les survivants d’une race préhistorique d’hommes velus et à peau sombre. L’érudit germanique Gottlob Schober avait déjà signalé en 1712 en Estonie et sur l’île suédoise d’Öland l’existence de ce qu’il nommait des satyres.
A Barcelone, en 1760, on aurait exhibé l’un de ces sauvages velus. Dans les forêts de l’Ariège, on les appelle iretge, et basa-jaun au Pays Basque.
Dans son Histoire primitive des Euskariens-Basques ( 1947 ), Augustin Chaho décrit le basa-jaun comme une « sorte de monstre à face humaine que le Basque place au fond des noirs abîmes, ou dans la profondeur des forêts ; la taille du basa-jaun est haute, sa force prodigieuse ; tout son corps est couvert d’un long poil lisse qui ressemble à une chevelure ; il marche debout comme l’homme, un bâton à la main, et surpasse les cerfs en agilité« .
On connaît un cas rapporté en 1776 d’un homme sauvage qui habitait les rochers de la forêt d’Iraty, proche de Saint-Jean-Pied-de-Port. Vers la fin du XIX° siècle, si l’on en croit l’anthropologue espagnol José Manuel Gomez Tabanera, une femme sauvage à chevelure rousse et aux membres couverts d’une toison semblable à celle d’une ourse, se serait illustrée dans les monts de Cantabrie sous le nom de la Osa de Andara ( l’ourse d’Andara ). Le lecteur intéressé par le sujet peut consulter l’étude très complète de Michel Raynal dans la revue Bipedia ( 3, 1989 ), ou sur l’Internet : http://cerbi.ldi5.net/article.php3?id_article=35.
Qui sont-ils ?
Globalement dans les cas énumérés, il s’agit d’hommes sauvages qui n’appartiennent pas à notre espèce Homo sapiens. On peut penser à l’homme de Néanderthal ( Homo neanderthalensis ), ou à l’homme sauvage que Bernard Heuvelmans avait appelé du nom d’Homo pongoïdes ( voir plus bas l’encadré ). Dans l’esprit du zoologue franco-belge, il s’agissait sans doute de la même espèce biologique. L’Homme de Néanderthal serait ainsi toujours vivant ( même s’il a disparu d’Europe occidentale ), il survivrait notamment en Asie du Sud-Est, sous les traits de l’homme pongoïde…
Nous allons maintenant voir le cas du bigfoot et des hommes-marins.
Les indices matériels
Comme en police criminelle, les cryptozoologues distinguent 3 sortes de preuves :
- les preuves testimoniales – fondées sur des témoignages,
- les preuves circonstancielles – qui caractérisent les situations,
- les preuves autoscopiques – que chacun peut voir.
La cryptozoologie, selon la définition même de Bernard Heuvelmans, est l’étude scientifique des animaux dont l’existence n’est connue que par des preuves testimoniales ou circonstancielles, voire par des preuves matérielles mais jugées insuffisantes, non convaincantes.
Un bon exemple de preuve circonstancielle est l’observation d’un sasquatch blanc aux yeux bleus et qui plus est, boitait… Le zoologue de l’Orégon, Henner Fahrenbach, rapporte que ce spécimen remarquable a été décrit à 3 reprises en des lieux distants et à plusieurs années d’intervalle. Donc, à moins de supposer une bien improbable connivence entre les témoins oculaires…
Si l’on excepte les films et photos, souvent sujets à caution ( surtout à notre époque « numérique » ), les indices matériels ou preuves autoscopiques sont constitués par :
- les empreintes de pas ( Caucase, Pakistan, Amérique ) et moulages; on a pu y déceler des dermatoglyphes, plis épidermiques ou sillons cutanés ;
- les restes de litières ( Caucase, Népal, Amérique ) ;
- des poils et excréments ( Caucase, Himalaya, Amérique ).
Spécifiques du bigfoot sont des branchages ‘twistés’ ( tordus ) avec une force incroyable, peut-être des os de cervidés brisés, et aussi les dépouilles de cerfs éventrés du Middle West, dont on aurait extrait le foie. Pourquoi le foie ? Comme l’explique Jean Roche, en raison de son apport en vitamine D, glucides et lipides, particulièrement bénéfiques au début de la saison hivernale [ cf. Bipedia n°16, 1998, ou http://cerbi.ldi5.net/article.php3?id_article=76 ].
– Petite histoire de l’Ice Man –
En décembre 1968, dans la roulotte d’un forain du Minnesota, les 2 zoologues Bernard Heuvelmans et Ivan Sanderson se sont retrouvés face au cadavre congelé d’un homme poilu de constitution robuste. Bernard Heuvelmans prit de nombreuses photos de la dépouille dans son cercueil de verre et de glace, puis le décrivit sous le nom d’Homo pongoïdes à l’occasion d’une parution dans le Bulletin de l’Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique.
Pour Heuvelmans, il s’agissait d’un homme de Néanderthal attardé, transporté illégalement depuis le Sud-est asiatique, puis congelé à des fins d’exhibition aux USA.
Avant de pouvoir être sérieusement étudié, le spécimen disparut de la circulation ; mais pendant trois jours, Heuvelmans et Sanderson purent analyser l’homme congelé. De longs poils de 7 à 15 cm d’un brun noirâtre lui recouvraient le corps, un peu comme chez un chimpanzé. La pilosité est faible sur la face, pas de moustache, seul un collier de longs poils sur le menton et les mâchoires. Le nez est retroussé, avec les narines largement ouvertes vers l’avant. Le cou est réduit, le thorax est puissant, les bras et mains sont très longs, les pieds sont très larges et couverts d’un pelage jusqu’aux orteils. Pour Heuvelmans, ces caractères ( et d’autres moins visibles ) étaient ceux d’un néandertalien, présumé disparu depuis 25.000 à 30.000 ans…
On a prétendu que Bernard Heuvemans avait été abusé par un mannequin hollywoodien (c’était l’époque de la Planète des Singes…) ou un habile montage ( peau de chimpanzé tendue sur un squelette humain ? ). J’ai entendu plusieurs fois le récit de la bouche même d’Heuvelmans, et je pense qu’on ne peut pas tromper un zoologue sur la nature biologique d’un spécimen, fût-ce à travers une épaisseur de glace opaque ! Moi-même qui suis ichtyologiste, je mets quiconque au défi de me faire prendre des leurres en plastiques pour de véritables poissons, même dans un bocal d’alcool troublé par des impuretés ( comme c’est souvent le cas des échantillons conservés dans les musées )…
Le seul point critique que l’on peut opposer à Heuvelmans concernera plutôt la provenance de l’Ice Man ; comme mon ami Jean Roche le suppose, l’Homo pongoïdes a très bien pu être abattu sur placeen 1967, dans le Middle West américain, puis exposé par Frank Hansen, le forain. Néanmoins, il ne semble pas s’agir ici d’un bigfoot au sens « habituel » du terme… mais d’une forme à la stature moindre : néanderthalienne ( comme le pensait Heuvelmans en décrivant le spécimen ), ou encore pithécanthropoïde ?
» Bigfoot « , alias homme-marin ?
Le professeur Jean Piveteau était déjà partisan de l’idée d’une spécialisation régressive dans le cas des néanderthaliens classiques. On peut en dire autant des HSV ( Hommes Sauvages et Velus ) qui auraient progressé anatomiquement au-delà d’un stade humain, proche ou déjà semblable à l’Homo sapiens.
L‘homme sauvage serait une créature primate correspondant à l’Ours par son comportement, mais d’allure bipède et plutôt nocturne; il n’utilise pas les outils, ni ne domestique le feu… Pour les variétés aquatiques, on peut faire un parallèle intéressant avec l’Ours blanc, qui ne craint pas de s’immerger dans l’eau glacée, et nage avec aisance sur des dizaines de km en haute mer !
On irait même jusqu’à se demander si l’Homo erectus des paléontologues, notamment celui de Java, n’était pas déjà un homme-marin…
Depuis le découvreur Eugène Dubois ( 1892 ), les savants qui ont étudié les calottes crâniennes du pithécanthrope ont toujours été intrigués par l’aspect de celles-ci. Si on la tient de profil, une telle calotte ressemble étrangement au… casque d’un cycliste ! En outre, les yeux sont protégés par de fortes arcades et une robuste visière osseuse. Si Homo erectus ne faisait pas du vélo… pourquoi alors cette configuration crânienne ? La réponse est simple : le crâne du pithécanthrope résulte d’une adaptation à la nage et à la plongée !
Celui que beaucoup considèrent encore comme notre ancêtre était en réalité… un homme-marin ! Tout dans la constitution robuste du pithécanthrope laisse deviner cette stratégie évolutive. Le squelette est hyperossifié et très massif, les parois latérales du crâne convergent vers le haut pour former une carène, le front est très fuyant, le crâne est déprimé antéro-postérieurement, le corps est longiligne, et pourtant très solide d’aspect, hydrodynamique…
En ce qui concerne le pied, même si Pascal Picq dans son dernier livre ( 2003 ) écrit que le pied d’Homo erectus présentait une « double voûte plantaire », cela reste encore à démontrer… Une étude détaillée de la littérature spécialisée montre qu’on ne connaît que très peu de métarsiens d’Homo erectus, tous qualifiés d’atypiques. Si l’hypothèse aquatique est juste, on doit d’ailleurs s’attendre à une structure très souple du pied ( plat, avec une plante non voûtée ).
Or c’est justement l’état anatomique du pied de sasquatch, visible d’après les moulages et sur certains clichés [ voir la photo en début d’article ] ! Les hominologistes pensent que ce pied, quand il quitte le sol, à partir de sa position initiale à plat, ne se soulève pas d’un seul tenant comme chez Homo sapiens ( grâce à la fameuse voûte plantaire ). Chez ‘bigfoot’, le talon se lève d’abord, puis peu à peu le reste du pied, comme s’il était caoutchouteux… C’est pourquoi de la terre ou de petits cailloux peuvent être poussés vers le milieu de l’empreinte par la partie avant du pied ( phalanges et métarsiens ) en train de se soulever ! C’est là d’ailleurs une bonne preuve de l’authenticité des traces.
Et dans l’hypothèse d’un sasquatch marin, le ‘grand’ pied serait vraiment à la (dé)mesure du personnage : à la fois long et souple pour être fonctionnel dans l’eau et sur la terre ( où il lui faut supporter le poids d’un bipède de 250 kg ou plus… ) ! La carte ci-contre montre les possibles voies migratrices de ‘bigfoot’ à travers le Pacifique ( et l’Atlantique où des individus isolés seraient possiblement à l’origine d’observations en Écosse et en Mer du Nord… ). On imagine volontiers ce pied avec une petite palmure entre les orteils… comme c’est le cas chez l’ours blanc, l’alter ego du sasquatch chez les Ursidés ! Certes, on ne remarque pas cette palmure sur les moulages, mais quand je l’ai recherchée sur les empreintes de pieds d’ours blanc au zoo de Portland, je ne l’ai pas trouvée non plus, dans des traces pourtant bien dessinées.
– Parallèles avec le monde animal –
Le sasquatch ou bigfoot constituerait une forme sauvage d’homme, différente de notre espèce Homo sapiens, mais néanmoins biologiquement « plausible », surtout si nous présupposons un mode de vie marin, ou du moins amphibie, de ces créatures.
En quelque sorte, le sasquatch serait au sapiens ce que l’ours blanc est à l’ours brun… D’un côté on a une espèce plutôt maritime, qui supporte bien l’eau glaciale et migre tout autour du pôle ; de l’autre une espèce plutôt terrestre, préférant les zones forestières dites ‘tempérées froides’… Et pourtant d’un point de vue génétique, il y a fort peu de différences entre Ursus maritimus et Ursus arctos. Ce pourrait être la même chose entre le sasquatch et nous ( = hommes de type sapiens ) !
Il est difficile de se débarrasser de préjugés, notamment en ce qui concerne notre image… Étant les plus intelligents des animaux, nous nous devions aussi d’être uniques ! Nous avons ce beau front haut et bombé ; les « autres », s’ils existent, n’ont qu’une boîte crânienne réduite et le front fuyant, et de plus ils sont velus : « ils ne valent rien » évolutivement parlant, pourrait-on penser !
Une anecdote récente montre comment raisonner autrement : à l’été 2004 je me trouvais au Parc Zoologique de Berlin, discutant avec un ami zoologiste. Nous étions devant l’enclos des éléphants d’Asie, mais celui des éléphants d’Afrique était juste dans le prolongement. Ainsi, je voyais les 2 types d’éléphants dans une même perspective. Je dis à mon ami : « Voici l’asiatique au front bombé, le sapiens des éléphants, et un peu plus loin, l’africain au front fuyant, l’erectus des éléphants… ». Conscient de l’effet suscité, j’ajoutais en souriant : « Et pourtant, je ne saurais dire lequel des deux est le plus intelligent… On prétend que l’asiatique est plus facile à domestiquer, mais il y a eu Hannibal et ses éléphants dressés… Quant à la trompe, elle a 2 lèvres ( ou ‘doigts’ ) chez l’africain, donc est-elle plus préhensile que celle de l’asiatique qui n’ en a qu’un… Or on pense généralement que c’est ce dernier qui est le plus doué ! ».
En irait-il de même avec les Hominidés ( fossiles ou contemporains ) ?
En fait, l’Homo sapiens n’est pas forcément plus intelligent ou plus » apte » que son congénère sauvage et velu, même si ce dernier a le front fuyant et n’a pas l’aspect physique du penseur de Rodin !
Pour en terminer, juste avec le pelage, mais toujours chez les éléphants : le fameux mammouth du Paléolithique supérieur, couvert d’une épaisse toison laineuse, a longtemps été considéré comme un éléphant « primitif », d’où aussi son nom scientifique d’Elephas primigenius ; or il s’avère maintenant qu’il est, au contraire, le plus récent et le plus spécialisé des éléphants…
De quoi nous faire réfléchir sur certains clichés en paléontologie. Et l’Homo erectus, déclaré « ancêtre » de l’homme, fait encore partie de ces clichés !
Épilogue
Un deuxième primate bipède partage la planète Terre avec nous… Une espèce distincte et assez largement distribuée : nous le constatons à la multitude des rapports indépendants provenant de nombreux pays.
Si l’on excepte les Homo sapiens féraux, et peut-être quelques îlots de survivance des néandertaliens, il s’agit de l’Homo erectus ou pithécanthrope* ) présent en diverses variétés : depuis l’homme-marin du grand large aux petits êtres velus des montagnes…
C‘est en fait le même éventail de formes que révèle la Paléontologie depuis plus d’un siècle : du Méganthrope javanais géant aux petits Homo erectus de Géorgie ainsi qu’aux nains de l’île de Flores… Rien n’a changé depuis des millénaires, sinon la profusion actuelle des Homo sapiens…
Oui, l’homme sauvage existe, il est toujours parmi nous, et il survivra très probablement à notre propre civilisation !
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*) plutôt que pithécanthrope ( « homme-singe » ), on peut choisir la désignation de thérianthrope ( « homme-animal », du grec , animal sauvage, et homme ), car si les hommes sauvages sont simiesques, ils n’en sont pas simiens pour autant !
Source:http://perso.orange.fr/initial.bipedalism/23.htm#5
Quelques liens sur le sujet, ils semble que le fait que des « hommes sauvages » vivaient même en france dans les forets était connu et pas caché il n’y a pas si longtemps en fait, mais ils ont peut être disparus depuis:
http://marie.roca.over-blog.com/article-les-autres-humanites-hommes-sauvages-velus-des-alpes-119897766.html
http://marie.roca.over-blog.com/article-homme-sauvage-dans-les-pyrenees–41927031.html
Emission avec marie roca sur ces faits oubliés et attesté à ‘lépoque:
http://abonnement.bob-toutelaverite.net/emission-07-10-2013-xml-352-835.html