Ecoutez son histoire et sachez qu’elle est véridique et vérifiée !
Fils d’un maître de forges de Luxeuil en Haute Saône, il fut traumatisé dès l’âge de 6 ans par des rêves quotidiens dans lesquels un vieux personnage lui apparaissait et lui enseignait la physique et une langue inconnue, un idiome qu’il parlera couramment mais dont il ignorait l’origine. Surdoué, il souffrira toute son adolescence durant de cette différence que n’acceptent pas les sociétés européennes, surtout les enfants si cruels dans leur conformisme inculqué. Pratiquement personne à Tahiti ne le connaît, il n’a jamais été à une réception, un cocktail, et pour cause : il vivait depuis 16 ans sur l’île la plus isolée de Polynésie, Rapa Iti où il n’y a pas de piste d’aviation et que la goélette Tuhaa Pae ne visite qu’une fois tous les trois mois.Et pourtant, intellectuels, élite, dirigeants et courtisants de Tahiti, vous devriez pleurer car vous ne pourrez malheureusement plus rencontrer Marc Liblin, certainement un des personnages les plus exceptionnels qui ait vécu dans nos îles ces dernières décennies. En effet, il est décédé le soir du 26 mai à l’hôpital Jean Prince de Papeete, à l’âge de 50 ans. ‘désespoir ‘ grande perte pour Rapa et la Polynésie !
Langue inconnue
Ecoutez son histoire et sachez qu’elle est véridique et vérifiée ! Fils d’un maître de forges de Luxeuil en Haute Saône, il fut traumatisé dès l’âge de 6 ans par des rêves quotidiens dans lesquels un vieux personnage lui apparaissait et lui enseignait la physique et une langue inconnue, un idiome qu’il parlera couramment mais dont il ignorait l’origine. Surdoué, il souffrira toute son adolescence durant de cette différence que n’acceptent pas les sociétés européennes, surtout les enfants si cruels dans leur conformisme inculqué. Devenu solitaire, omni savant, ayant subi les succès et les échecs qu’offre la vie « civilisée », curieux pour tout au point de se nourrir plus de lecture que de denrées alimentaires, il échouera à l’âge de 33 ans, marginal, en Bretagne. Là, le « hasard » fit qu’il sera découvert et pris en main par le Dr Collin et le professeur Leruz. Ainsi un groupe de chercheurs de l’Université de Rennes étudiera ses rêves et « sa langue », essaiera de la décoder, de la traduire grâce aux ordinateurs naissants. En vain. Après deux ans de recherches, on eut donc l’idée de « faire les bars » des villes portuaires de la Bretagne afin d’y demander aux marins de passage s’ils ne connaissaient pas cette langue.La fréquentation des bars n’étant pas l’ennemie du chercheur, ce fut dans un estaminet de Rennes, alors qu’il fit encore un solo de son langage personnel non identifié devant un aréopage de Tunisiens qui ne buvaient pas que du café, que le barman, un ancien de la Marine nationale déclara avoir déjà entendu parler de telle façon sur une île polynésienne du Pacifique. En plus, ?? miracle du hasard ou des Dieux, il connaissait une dame provenant de cette île, divorcée d’un militaire, qui habitait dans un HLM de la banlieue.
30 ans après
La rencontre de Marc avec cette dame polynésienne, Meretuini Make, bouleversa sa vie : il l’aborda en parlant « sa langue » et elle lui répondit immédiatement sans hésiter, lui apprenant par là même que depuis 30 ans, lui qui n’avait jamais quitté l’Europe, parlait couramment la vieille langue de Rapa, celle de l’ancienne génération d’une île de 400 Polynésiens perdue dans le Pacifique Sud et pratiquement inconnue du reste du monde. Meretuini, elle, avait grandi en parlant ce « vieux Rapa » appris de son grand-père Teraimaeva Make, le patriarche de l’île, alors toujours en vie.Jubilation des universitaires, décodage de la langue grâce à Meretuini, et bien sûr Marc épousera la seule qui sut le comprendre pour ensuite partir continuer les recherches sur l’île. Après une année initiatique où il vivra dans les montagnes de l’île comme on le fit dans les temps pré-européens et où sa connaissance extraordinaire créa des tensions, il revint sur l’île un an plus tard, exerçant depuis 1983 en tant que secrétaire de mairie puis instituteur à Rapa. Durant ces 15 années vécues presqu’en ermite et plongé dans la culture Rapa, il étudia et collecta toutes les informations possibles sur « son » île et élabora des théories qui, certainement, un jour deviendront la référence. Trois mètres cubes de documents et des milliers de diapos témoignent de ce travail hélas inachevé.Comme pour ses recherches, Marc s’impliqua tout à fait dans son travail d’instituteur. Souffrant depuis de longs mois, il refusa toujours d’« abandonner mes élèves » et remis son départ pour l’hôpital toujours à plus tard, ce qui fit que son cancer devint général, d’où sa perte.
Les enfants polynésiens du petit village d’Area eurent ainsi la chance d’être initiés à la vie pendant huit ans par un véritable génie, chantre d’une culture générale inouïe, incollable en physique comme en métaphysique, qui leur dispensait sa connaissance bien au-delà des curriculum imposés.Marc eut aussi la gentillesse de publier différents articles pour notre magazine dans lesquels il exprimait et, face à tant d’érudition, de courtoisie et d’originalité, nous eûmes la chance de devenir un de ses amis.Mais les responsables de l’enseignement surent-ils seulement apprécier cet « Einstein » exilé à Rapa qui était l’interlocuteur obligé de tous les chercheurs de passage ? Apparemment pas trop, comme tous les génies et désintéressés. En effet, suite à des pressions politiques de l’ancien maire, on vint lui chercher des noises avec un diplôme (un bac passé lors du « bordel de mai 68 »). « Reclassé instituteur auxiliaire » il dut rembourser des parties de son salaire ce qui, avec quatre enfants à charge, le fit vivre ses dernières années dans une détresse matérielle certaine qui frisait le dénuement.Toute la rédaction de Tahiti-Pacifique magazine a été atterrée en apprenant sa disparition.A sa veuve l’admirable Meretuini, à ses enfants, à ses nombreux amis dans les îles et dans le monde, nous présentons nos plus vives et plus sincères condoléances.
Alex W. du PREL
Publications de Marc Liblin dans Tahiti-Pacifique magazine : »L’apprenti », (N° 45, janvier 1995), « L’indigène » (N° 47, mars 95), « Le matriarcat polynésien », (N° 66,octobre 96).