Version intégrale de l’article publié, avec quelques coupes, dans le numéro hors série de VSD de juillet 2005, découpé en trois parties. Il va être complété par d’autres articles, notamment sur Budd Hopkins, décédé le 21 août 2011 à New York.
Le cinéma et la télévision ont popularisé les histoires d’enlèvements par de mystérieux extraterrestres à bord des ovnis, qui sont depuis une vingtaine d’années un thème important et controversé de l’ufologie. Tout au long de la série X Files, Mulder essaie de retrouver sa sœur enlevée dans son enfance, et de protéger sa partenaire Scully qui l’a été elle aussi. Scully va donner naissance à un enfant hybride et surdoué, que les « aliens » veulent récupérer. La série a exploité sans retenue ces témoignages d’enlèvements – vrais ou faux – et tout cela baigne, comme il se doit, dans une atmosphère glauque et inquiétante. Dans une autre série américaine, Les 4400, ce sont autant de disparus, victimes d’enlèvements depuis une cinquantaine d’années, qui sont soudain ramenés sur Terre, et dont on découvre qu’ils sont doués de divers pouvoirs paranormaux ! C’est aussi le thème central de la série Taken (Disparition). Cette production impressionnante de Steven Spielberg s’inspire étroitement du répertoire ufologique, allant du crash de Roswell en 1947 aux enlèvements par les « petits gris » à partir des années 80. Des enlèvements affectent des familles sur plusieurs générations, avec naissance d’enfants hybrides à la clé. La dernière née, une charmante petite fille, possède des dons extraordinaires et va finir par retourner avec les petits aliens aux grands yeux noirs qui ne lui veulent – et ne nous veulent – que du bien…
Ainsi, les enlèvements extraterrestres font de belles séries télévisées, mais qu’en est-il, au juste, des histoires dont elles s’inspirent ? S’agit-il de rêves et de fabulations, comme en sont convaincus les sceptiques, ou y a-t-il là-dedans des histoires authentiques, quelle qu’en soit la signification ? Ces histoires sont choquantes, et il n’est donc pas surprenant qu’elles rencontrent encore plus de résistance que les ovnis eux mêmes, de la part des sceptiques. Je vais essayer de montrer qu’il y a pourtant de bonnes raisons de les prendre au sérieux.
Un phénomène de contamination médiatique ?
Les histoires d’enlèvement sont restées rares et isolées jusqu’à la fin des années 70, du moins celles qui ont été médiatisées à l’époque, comme l’affaire célèbre de Betty et Barney Hill, divulguée aux Etats-Unis en 1966. Elles ont commencé à se répandre dans les années 80, principalement aux Etat-Unis, surtout après la parution en 1987 du livre Communion de Whitley Strieber, auteur connu de romans fantastiques, mais qui prétendait y raconter son expérience, personnelle et authentique, d’enlèvements multiples. Le livre avait une couverture provocante, montrant la tête d’un « alien » aux grands yeux noirs et un sourire plutôt inquiétant, à l’allure assez diabolique. L’étonnant est qu’il eut un gros succès de librairie, avec un million d’exemplaires vendus. Ainsi, bien que ce livre de Strieber reste controversé, il a contribué fortement à faire que cette tête diabolique devienne un archétype des aliens inquiétants, ou « petits Gris », qui n’ont rien à voir avec les escargots du même nom, bien qu’ils soient mis à toutes les sauces dans les médias !
Les sceptiques n’ont pas manqué d’imputer à ce succès de librairie, et à quelques autres publications, la multiplication des témoignages d’enlèvements qui s’est produite à l’époque. Ils ont cru d’ailleurs que ce phénomène était une spécialité des États-Unis. Il est vrai qu’on en parle beaucoup plus qu’ailleurs dans ce pays, mais il y a en réalité des cas dans le monde entier. En fait, il est difficile de mesurer un éventuel risque de « contamination » car, on va le voir, l’historique de ces récits est bien plus complexe. D’abord, on connaissait depuis plusieurs années des récits du même type, donc antérieurs à la vague médiatique. En témoignent les enquêtes et les études réalisées au cours des années 70 et 80, notamment par l’artiste new-yorkais Budd Hopkins, avec deux livres remarquables, publiés en 1981 et 1987, et l’étude approfondie d’un spécialiste du folklore, Thomas Bullard, faite dès le début des années 80. Bullard a établi, sur près de 400 cas, que des récits analogues provenaient de gens qui, non seulement vivaient dans des lieux très éloignés et ne se connaissaient pas, mais qui en outre ne savaient rien de la question avant leur enlèvement. D’autre part, s’il est vrai que ce type de récit, avec de petits aliens aux grands yeux noirs, est devenu le plus courant, au point qu’on pourrait l’appeler le « modèle standard » des enlèvements, il y a eu, et il continue d’y avoir des récits différents, d’une assez large diversité, comme nous allons le voir avec quelques exemples. Le risque de contamination ne suffit pas à les expliquer.
La polémique sur les enlèvements se poursuit encore aujourd’hui, avec de nombreux livres, articles et débats, pour ou contre la réalité des ces histoires. L’auteur le plus prestigieux à s’être prononcé en faveur de leur authenticité, et naturellement le plus critiqué, était un professeur de psychiatrie de l’école de médecine de Harvard, le Dr John Mack, décédé malheureusement dans un stupide accident de la circulation à Londres en septembre 2004. Cette mort subite a été ressentie comme une grosse perte dans le monde de l’ufologie. John Mack avait beaucoup contribué à élever le niveau du débat, notamment lors d’un colloque qu’il avait présidé en 1992 avec le physicien David Pritchard au prestigieux M.I.T., suivi de la publication d’un gros livre de référence, Alien Discussions.
Où en est-on aujourd’hui, alors que ces histoires sont largement exploitées, mais en tant que pure fiction ? Il y a des témoignages impressionnants, et des indices physiques de leur réalité – je vais y revenir plus loin – mais pas de preuves décisives, si bien que la question de la réalité des enlèvements ne peut être tranchée. De plus, même les spécialistes qui admettent la réalité de ces histoires sont loin d’être d’accord sur leur interprétation. Il y a d’abord ceux pour qui ces enlèvement sont le fait de véritables extraterrestres, à bord d’ovnis bien réels, que les sceptiques caricaturent en ironisant sur les ovnis en « tôles et boulons ». En réalité, on peut envisager des hypothèses plus vastes, même en restant dans une optique rationaliste, par exemple l’idée que ces êtres mystérieux seraient capables de se déplacer dans d’autres dimensions spatio-temporelles. Il existe déjà des théories de physique fondamentale, telles que les « supercordes », qui semblent ouvrir de telles perspectives. D’autres chercheurs, tel le Dr Mack, penchent vers une interprétation plus « ésotérique », voire religieuse, évoquant la longue histoire des contacts supposés avec des créatures spirituelles. Cependant, il n’écartait pas l’hypothèse extraterrestre, et avait donc une approche ouverte et complexe du phénomène. J’ai assisté à un entretien passionné qu’il avait eu, lors d’un colloque à Saint-Marin, avec le théologien italien Corrado Balducci.
Un autre aspect, tout aussi important, du débat, est la question des intentions de ces mystérieux « visiteurs » : que nous veulent-ils, et que signifient ces intrusions ? La question se pose tout autant s’il s’agit d’extraterrestres bien physiques ou d’êtres « surnaturels » car, dans toute l’histoire des religions, il y a des anges et des démons ! De toutes ces histoires d’enlèvements qui se sont accumulées, certaines donnent à croire à des êtres bienveillants, mais d’autres sont moins rassurantes. Pour l’historien David Jacobs, l’affaire est grave et l’humanité est menacée. Mais son ami Budd Hopkins est beaucoup plus nuancé. Pour lui, les aliens ne sont ni bienveillants, ni hostiles : ils poursuivent leur propre « agenda ». Qui croire ? Commençons par rappeler quelques « classiques », qui vont peut-être nous éclairer sur la crédibilité de ces histoires, et sur leur signification. Le plus connu est celui de Betty et Barney Hill, sur lequel il est important de revenir brièvement.
Betty et Barney Hill : mythomanes ou vrais “abductés” ?
Alors qu’ils roulaient sur une route peu fréquentée du New Hampshire, le soir du 19 septembre 1961, les époux Betty et Barney Hill remarquèrent une étoile brillante qui se rapprochait d’eux rapidement. Ils s’arrêtèrent pour l’observer avec des jumelles : c’était un objet structuré avec des lumières colorées et clignotantes. Plus loin, ils stoppèrent de nouveau car l’objet s’était rapproché, et apparaissait maintenant comme une grande soucoupe volante, en vol stationnaire à peu de distance au-dessus de la route. Barney sortit de sa voiture et commença à avancer, mais il prit peur et revint en arrière, croyant discerner des silhouettes qui l’examinaient. Puis ils se retrouvèrent en train de rouler dans leur voiture, avec un trou de deux heures dans leur horaire.
Ce n’est que deux ans plus tard que les Hill, toujours affectés par cette histoire insolite, furent soumis à des régressions sous hypnose par un psychiatre réputé de Boston, le Dr Benjamin Simon : ils racontèrent alors, séparément, la même histoire d’enlèvement par de petits êtres à bord de l’ovni, qui deviendra plus tard classique : description des « ET » à grosse tête, grands yeux allongés, corps mince et peau grise, examen médical, etc. L’histoire fut révélée en 1966 par le journaliste John Fuller dans son livre Le Voyage interrompu (The Interrupted Journey), cosigné avec les Hill et le Dr Simon. Un résumé, publié par le magazine Look la même année, suscita énormément d’intérêt et fut même suivi d’un film.
Bien entendu, l’affaire fut bombardée de critiques. Le Dr Simon ne croyait pas à un enlèvement extraterrestre, pour lui totalement inconcevable, mais il dut admettre la sincérité des témoins : ils croyaient vraiment à leur histoire, qui les avait fortement traumatisés. Pendant les six mois que dura le traitement, Simon, excellent hypnotiseur, essaya de leur faire admettre qu’ils avaient rêvé, mais ils restèrent convaincus que leur aventure était réelle. Incidemment, ceci contredit une critique courante des histoires d’enlèvements, qui accuse les hypnothérapeutes d’influencer les témoins. C’était raté, dans le cas du Dr Simon !
Une autre critique porte sur l’examen médical qu’aurait subi Betty Hill. Selon elle, on enfonça une longue et fine aiguille au niveau de son nombril, pour lui faire un » test de grossesse », lui dit-on (précisons qu’il y avait selon elle une communication télépathique avec ses ravisseurs). Betty avait-elle connaissance de ce genre de procédure médicale ? Cette opération ressemble à une amniocentèse, qui était encore expérimentale à l’époque et n’est devenue une pratique courante que des années plus tard. Il y a aussi le cas de Barney, qui avait été omis dans le livre The Interrupted Journey, pour ne pas scandaliser. Il s’agissait d’une opération de prélèvement de sperme, réalisée au moyen d’un appareil de forme ronde, appliqué sur ses parties génitales, qui laissa d’ailleurs des traces : un cercle presque parfait de verrues à l’aine dont il fallut pratiquer l’ablation chirurgicalement. Selon le Dr Richard Neal, gynécologue qui a lui aussi enquêté sur ces affaires d’enlèvements, cette procédure est souvent révélée sous hypnose ; elle peut être douloureuse ou du moins inconfortable ! Une chose est certaine : Betty et Barney Hill n’ont pas du tout cherché à attirer l’attention sur eux ou à gagner de l’argent, contrairement à ce qu’a insinué le sceptique Philip Klass dans son livre UFO Abductions. A Dangerous Game (“Enlèvements. Un jeu dangereux »). En fait, leur histoire n’a été rendue publique que cinq ans plus tard, à la suite de fuites maladroites d’un journaliste local. On a souligné que les Hill étaient un couple interracial, ce qui aurait pu être une cause de perturbation, mais le Dr Simon avait lui-même écarté cette hypothèse.
La carte des étoiles de Betty Hill
Un aspect remarquable de cette histoire est la carte des étoiles, figurant les voies fréquentées par les extraterrestres, que le « leader » aurait montrée à Betty et qu’elle reproduisit sous hypnose. Une institutrice passionnée d’astronomie, Marjorie Fish, construisit un modèle à trois dimensions des étoiles proches, suspendues avec des fils, en sélectionnant celles d’un type proche de notre Soleil. Il y en a 46, dans un rayon de 54 années-lumière autour du Soleil, sur un total d’un millier. Elle crut alors y repérer, en l’observant sous un certain angle, la carte esquissée par Betty Hill. Les deux étoiles principales du réseau, proches l’une de l’autre, appartiendraient à la constellation du Réticule, visible dans l’hémisphère Sud, où elles sont connues sous le nom de « Zeta Reticuli » 1 et 2. Cette interprétation a reçu le soutien d’un certain nombre d’astronomes et d’ufologues, dont Terence Dickinson, auteur d’une plaquette, The Zeta Reticuli Incident.
C’était un remarquable travail, mais les sceptiques n’ont pas tardé à le mettre en doute, notamment Jacques Vallée et l’astrophysicien Carl Sagan, au moyen d’un test statistique sur ordinateur. Cependant, leur argumentation a été réfutée grâce à une mesure plus précise des distances des étoiles. On a dit aussi qu’il s’agissait d’une étoile double, inadéquate pour être entourée d’une planète habitable. Mais c’était une erreur d’observation astronomique, a fait observer le physicien et ufologue Stanton Friedman, qui soutient ce modèle. Cette localisation de Zeta Reticuli 1 et 2, à 37 années-lumière de nous, est passionnante pour deux raisons. D’abord, elles sont effectivement proches, à seulement 1/8ème d’année-lumière l’une de l’autre (pour comparaison, l’étoile la plus proche du Soleil, Alpha du Centaure, est à 4,2 années-lumière de nous). On imagine combien il a pu être tentant pour une civilisation émergente d’aller visiter l’autre étoile. Or ces deux étoiles ont un milliard d’années de plus que le Soleil, ce qui laisse de la marge pour l’apparition d’une civilisation plus ancienne que la nôtre ! Pour mémoire, mentionnons un curieux contre-modèle, selon lequel la carte serait celle de notre système solaire. Pour sa démonstration, l’auteur à dû y incorporer de très petits et insignifiants corps céleste de notre système : c’est bien peu crédible !
L’influence de la science-fiction ?
Un autre argument sceptique, souvent avancé contre les Hill, et d’ailleurs contre tous les récits d’enlèvements, est l’influence de la science-fiction. Il est clair que c’est possible aujourd’hui, rien qu’avec les nombreuses séries télévisées, mais était-ce plausible à l’époque des Hill ? Martin Kottmeyer a proposé une liste de films des années 50 à l’appui de cette hypothèse. Il y a eu, en effet, quelques histoires d’enlèvements portées à l’écran, mais dès que l’on y regarde de plus près, l’argument devient très douteux, car ces films étaient des « séries B » plus aptes à faire rire qu’à faire peur. Pour ne prendre qu’un exemple, le film Invasion of the Saucer-men , diffusé en 1957, mettait en scène de petits monstres plus ridicules qu’effrayants.
Dans le cas des Hill, il y a un argument plus simple : ils ne s’intéressaient pas à la science-fiction, ne regardaient jamais ce genre de film à la télévision. Ils avaient une vie sociale et professionnelle bien remplie. C’était un couple racial mixte, engagé dans le Mouvement des droits civils, et ils avaient mieux à faire, surtout à cette époque, que d’inventer une histoire d’enlèvement en soucoupe volante. En fait, leur témoignage a très bien résisté à l’épreuve du temps. Ce n’est pas le seul : en voici d’autres qui ont bien résisté eux aussi.
Suite de l’article. Voir :
Deuxième partie « Quelques cas classiques »
Troisième partie « Nouvelles perspectives »
Source: « Le blog Ufologique de Gildas Bourdais (http://bourdais.blogspot.com) »
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