Pour la deuxième fois en un demi-siècle, le sarcophage d’Arles-sur-Tech a livré son secret. Une étude menée sur plusieurs années vient en effet d’être rendue publique, confirmant ce que l’on savait déjà sur l’origine de l’eau recueillie (essentiellement de l’eau de pluie) et précisant en particulier la part que tient la condensation dans le phénomène.
Un phénomène expliqué depuis 1961
Étonnamment ignorée depuis sa publication (dans La Houille Blanche – décembre 1961), l’enquête de trois hydrologues [1], suite à des expériences et relevés effectués avec l’accord des autorités paroissiales, fournissait pourtant des conclusions claires et précises. Le fond du sarcophage est quasi-imperméable (dépôt de poussières et calcaire). Le couvercle du sarcophage est perméable. L’eau met en moyenne 5 jours pour le traverser (2 à 20 jours). 30 % de l’eau de pluie est récupérée. Il y a peu de circulation d’air entre intérieur et extérieur, donc peu d’évaporation. Il était également dit que l’eau « ruisselle sur le couvercle et pénètre entre couvercle et corps… ». Le travail était sérieux, ses résultats probants. Pourtant…
Le « mystère » a survécu
Malgré les faits, on continua à afficher un peu partout que la « Sainte Tombe n’a pas livré son secret » [2]. Nombre de médias reprirent cette thèse du mystère, si bien que plus grand monde n’évoquait le travail des hydrologues. Et quand ils l’évoquaient, à l’image de l’émission Mystères de TF1 (1992), c’était pour prétendre que « les études menées jusqu’à présent laissent un petit peu à désirer ». Sans préciser en quoi, évidemment. Comme il fallait cependant expliquer la présence de l’eau, une hypothèse revint souvent à la surface…
Un vieux « Serpent de Mer » : l’hypothèse de la condensation
Cette hypothèse a été évoquée comme la solution à maintes reprises, et ce depuis fort longtemps. Dans un article de 1975-1976 [3] consacré aux puits aériens, C. R. Cheveneau recensait quelques auteurs ayant proposé cette théorie pour expliquer l’eau du sarcophage. « C’est un capteur d’humidité atmosphérique à rendement élevé » (P. Basiaux, 1933) ; « L’opinion des autorités de l’abbaye est qu’il s’agit là d’un phénomène naturel, d’une condensation spontanée, qui s’expliquera tôt ou tard par la physique […] le phénomène considéré comme miraculeux s’explique fort bien par la physique » (H. de Varigny, 1934) ; « On se trouve là en présence de circonstances exceptionnelles : exposition au Nord dans une cour profonde où ne pénètre pas le soleil, ensemble architectural environnant comportant des constructions massives formant probablement volant thermique et surtout bonne circulation de l’air chaud et humide déversé par-dessus la paroi Sud, se refroidissant au niveau du sol, dont l’humidité se condense dans la cuve du sarcophage » (René Colas, 1957) ; « Il admet la production d’eau par condensation de l’air mais reste quand même dubitatif ici » (Nicolas Chtechapov, 1960).
Un mystère dans le mystère : l’auvent fantôme
Le 27 juillet 1998, sous la plume de J. Vilaceque, le quotidien régional Midi Libre amenait une « information » étonnante dans le dossier du sarcophage : celui-ci était censé se trouver sous un auvent : « Il est là sous son auvent dans une courette à gauche de l’église, posé sur deux socles de pierre de 20 cm de haut ». Il était également précisé que le sarcophage se remplissait d’eau « tout seul. Sans que la pluie ne l’effleure… » ! Mieux, dans son livre Les dossiers scientifiques de l’étrange (Michel Lafon 1999, page 148), Yves Lignon reprenait l’information et ajoutait : « Le sarcophage est bien un sarcophage, pas une citerne ouverte à l’air libre : quand il pleut le monument est à l’abri ».
Un nouveau mystère dans le mystère ? Une visite déjà ancienne de l’un d’entre nous (H.B.) au site nous avait pourtant clairement montré un sarcophage… à l’air libre. Mais un auvent aurait pu être ajouté récemment et MM. Vilaceque et Lignon faire ainsi référence à… ce nouvel état des lieux. Afin de juger précisément de la crédibilité de ces deux messieurs, il nous fallait une information complémentaire. Suite à un fax à la paroisse Ste Marie d’Arles-sur-Tech le 16 mai 2001, le curé a eu la gentillesse de nous répondre rapidement puisque son fax nous parvint le 18 mai. Il y est dit : « Il n’y a jamais eu d’auvent placé au-dessus du sarcophage d’Arles ni avant ni après 1998 ». L’affaire est donc classée. Elle montre cependant comment peut se créer un mythe : le couple souvenir inexact et absence de vérification (pour le formuler gentiment) par un tenant du mystère est redoutablement efficace, et l’on peut parier que dans le futur, d’autres auteurs reprendront l’histoire de l’auvent fantôme.
La piste de la « paroi froide » n’est donc pas nouvelle. Elle fut privilégiée une dernière ( ?) fois – et présentée encore comme nouvelle – par M. Pomarede [4] en 1998 et Y. Lignon [5] en 1999.
Or, les auteurs de l’étude de 1961 n’excluaient évidemment pas cette hypothèse, mais avaient conclu qu’elle ne permettait pas la production d’une quantité d’eau suffisante pour expliquer le phénomène.
L’hypothèse de la condensation : incompatible avec les résultats d’expériences sur les puits aériens
Les puits aériens ont fait l’objet de plusieurs expériences et études. Le plus célèbre est sans doute celui de Trans-en-Provence, conçu en 1928 et terminé en 1931, grâce aux travaux de l’ingénieur belge Achille Knapen, lauréat de la Société des Ingénieurs Civils de France. L’ouvrage, aux dimensions imposantes (12 m de diamètre à la base, près de 13 m de haut, paroi de 2, 5 m d’épaisseur percée d’orifices permettant la circulation d’air, 3000 plaques d’ardoises afin d’augmenter la surface de condensation) ne put jamais concrétiser les espoirs de son créateur. La production espérée de 30 à 40 mètres-cube par jour ne vint jamais, les résultats des meilleures nuits s’arrêtant à quelques litres…
À la même période (1929), un essai fut réalisé à Montpellier-Bel-Air (Hérault) avec un autre type de récupérateur par condensation. C’est Léon Chaptal, directeur de la station de bioclimatologie agricole de Montpellier, qui mena ces travaux. L’ouvrage, une pyramide de pierres calcaires d’environ 13 mètres-cube érigée sur une base bétonnée, ne fournit que 0, 2 à 0, 5 litre par jour…
À partir de ces travaux, on pouvait « calculer » que le Sarcophage d’Arles-sur-Tech, avec son volume « global » inférieur à un mètre-cube ne pouvait se remplir uniquement ni même essentiellement par le phénomène de condensation.
La confirmation
Un article vient de paraître dans la revue scientifique internationale Atmospheric Research [Vol. 57 (3) (2001) pp. 201-212]. C’est le résultat des recherches d’une équipe menée par D. Beysens, du Commissariat à l’Energie Atomique.
Après trois années de relevés, le résultat est sans ambiguïté ; la production d’eau est due au bilan global de trois phénomènes : eau de pluie, condensation et évaporation. La quantité d’eau issue de la condensation est six fois plus élevée que celle qui s’évapore, et la condensation produit en moyenne 10 % de l’eau présente dans le sarcophage : l’eau de pluie représente ainsi 90 % du phénomène.
Les trois hydrologues de 1961 n’étaient pas aussi « nuls » que certains voulaient le faire croire… Pour la science, le « mystère » est une nouvelle fois éclairci. Mais pour ceux qui ont la Foi, et quelques autres de mauvaise foi, nul doute que cette nouvelle étude ne suffira pas…
Cependant, les auteurs de cette nouvelle recherche portent une appréciation critique envers les résultats des trois hydrologues sur deux points :
ils supposent qu’au début des mesures du niveau d’eau dans le sarcophage effectuées en 1961, celui-ci était vide… Or, une lecture attentive du Rapport technique de 1961 permet de démontrer que ce n’était pas le cas. À partir de cette opinion (fausse), Beysens et al. remettent en question l’explication de la durée moyenne du décalage observé entre pluie et montée du niveau d’eau.
ils contestent le degré de porosité du couvercle (« nous pensons que le marbre peut être poreux sur une épaisseur de quelques millimètres […] mais pas en son cœur »), oubliant que des expériences sur le sarcophage lui-même avaient permis d’attester cette porosité.
Suite à plusieurs courriers, les réponses de D. Beysens n’ont pas permis d’obtenir des arguments qui puissent étayer sérieusement les opinions des auteurs. Un dossier plus complet sur cet aspect de l’affaire sera bientôt disponible sur le serveur du Laboratoire de zététique.
Des travaux défendus depuis longtemps par le Laboratoire de Zététique et le Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon
Le dossier du sarcophage d’Arles-sur-Tech et la solution datant de 1961 sont disponibles depuis longtemps. En effet, en réponse à l’émission Mystères de TF1 en 1992, un dossier explicitant la solution était publiquement accessible dès cette date sur le serveur universitaire Minitel 3615 ZET de l’université de Nice.
En 1996, avec l’ouverture de son site internet, le Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon mettait en ligne une synthèse de ces éléments sur la base du dossier Minitel.
Début 2001, le site du Laboratoire universitaire de Zététique, Centre J. Theodor d’étude des phénomènes « paranormaux », reprenait et complétait le dossier, répondant notamment aux arguments critiques (et ridicules…) contre l’étude de 1961 et la nouvelle résurgence de l’hypothèse « paroi froide » comme explication du phénomène.
Nous sommes en droit d’espérer que, suite à cette claire confirmation de l’origine de l’eau qui remplit le sarcophage d’Arles-sur-Tech, nous puissions enfin voir une plaque (et entendre des médias) annonçant : « La sainte Tombe a livré son secret. Pluie et condensation ».
[1] Messieurs Pérard, Honoré et Leborgne. Le rapport technique est signé de G. Pérard.
[2] Inscription figurant sur la plaque placée sur la grille à l’entrée de la courette où se trouve le Sarcophage.
[3] Cheneveau C.R. (1975-76), « L’eau dans les castellaras de la Ligurie Marinalpine (Puits aériens) », Mémoires de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes, tome XIX, p. 3-16.
[4] Midi Libre, 3 août 1998
[5] Les dossiers scientifiques de l’étrange, Michel Lafon, 1999.