Une petite maison basse à Serres, près du village de Moirax, à dix kilomètres d’Agen, au bord de la route et sur le coteau. La vue s’étend, splendide, sur la rive gauche de la Garonne au loin, la plaine, des prés, des vignes. Une demeure calme, en pierres grises qu’a brûlées le soleil du Midi , un toit de tuiles rouges, sur le devant, un jardinet avec quelques arbres. Derrière, une petite grange avec une écurie pour le cheval.
C’est la maison de la famille Delafet. II y a là sept personnes.
Pierre Delafet, qui, ayant eu jadis, à Tarbes, son brevet de mécanicien ajusteur, est devenu cultivateur. Il a trente-deux ans il est veuf, avec un enfant de son premier mariage, une fille, Lucienne, âgée de dix ans. Il s’est remarié et a épousé une jeune femme, Denise Planes, dont il a un fils, un bébé de six mois on le dit aimable et doux, un peu mélancolique, peut-être. Et il vit là, avec sa mère, veuve d’un chef de dépôt de la Compagnie du Midi, avec sa grand’mère de soixante-dix-sept ans, Mme Goffard et son oncle, M. Médolle, qui a soixante-six ans.
Ils vivent tous heureux, tranquilles, sinon dans le luxe, du moins dans une certaine aisance , le petit domaine fournit quelques récoltes la grand’mère et l’oncle Médolle ont quelques économies, et la mère touche de la Compagnie une pension de veuve, sept mille francs par an. La vie est douce aux bords de la Garonne. Dans le pays, on respecte et on aime la famille Delafet. A Noël on a assisté au baptême du dernier-né, et ce fut une fête de famille. La jeune Mme Delafet est heureuse en ménage elle l’a dit à ses amis , les enfants sont charmants, et les jours passent, paisibles.
Le 7 février 1932, il fait un froid sec, température assez anormale dans le Midi. Mais le temps est clair, le ciel est bleu, les jours grandissent, et c’est dimanche. Pierre Delafet enfourche sa bicyclette et s’en va, à 50 kilomètres de là, à Clairac, sur les bords du Lot, voir un de ses amis, M. Barthe, boulanger, dont la femme est la sœur de sa première femme. M. Barthe a une automobile qui marche mal. Delafet est mécanicien et il la réparera. La journée se passe et la nuit. Le lundi, vers le soir, Mme Delafet a été vue au village, cherchant des œufs et du lait pour le dîner. Le père rentrera sans doute, et la famille se couche.
Minuit et demi. On frappe à la porte ; Mme Delafet ouvre. Une bicyclette est rangée le long du mur. La porte se referme. Et c’est de nouveau le silence… Trois quarts d’heure après, la porte se rouvre, la bicyclette roule dans la nuit. Tout le monde dort dans le village la nuit est calme.
Le mardi, personne ne sort de la maison les volets restent clos. Tout est silencieux. Un voisin passe, et s’étonne. Dans l’écurie, le cheval hennit comme s’il réclamait son avoine. Il frappe du pied, s’impatiente. Le passant va chercher des amis ; on entre dans la maison.
Tous sont morts. Oui, tous. La jeune Mme Delafet a la tête fendue d’un coup de hache, un mouchoir est enfoncé dans la gorge ; la grand’mère a dans le dos un coup de couteau ; l’oncle Médolle aussi ; Mme Delafet la mère, la petite Lucienne ont été tuées à coups de fusil tirés en pleine figure. Le bébé de six mois a le crâne fendu d’un coup de hache. Du sang partout, dans les quatre pièces de la maisonnette des fragments de cervelle sur les lits. Et l’odeur du sang qui donne la nausée… C’est l’horreur !
Et la foule s’assemble et frémit devant cette boucherie. Qui a pu commettre cet horrible crime ? Des voleurs, sans, doute. Plusieurs voleurs, évidemment, puisqu’ils se sont servis d’armes différentes, couteau, hache, fusil. Mais le fusil a été pris sur un râtelier de la maison. Pourtant, ce ne peut être là que le crime d’une bande de cambrioleurs assassins.
– Heureusement, dit la foule, que M. Pierre n’était pas là On l’eût tué certainement, lui aussi. Que va-t-il dire, M. Pierre, lorsqu’il reviendra de Clairac et verra tous les siens massacrés ? Ses enfants, sa femme, sa mère, sa grand’mère, son oncle ! Tous ! Le malheureux ! Le malheureux ! Quelle épouvante !…
Et, dans l’après-midi, Pierre Delafet arrive en auto, avec son ami Barthe.
– Le voilà ; le pauvre homme ! Quelle horreur !
Et le pauvre homme contemple cette boucherie. Ses yeux restent secs devant les cadavres de sa famille massacrée. Pas une larme, pas un mot. On s’étonne : « Je ne pleure jamais !»
L’assassin monstrueux, c’était le père, le mari, le fils, l’homme qui ne pleure jamais. Oh ! il ne fut pas long à avouer aux gendarmes. Il a du sang sur ses vêtements, des égratignures aux mains.
– Eh bien oui, c’est moi !
Lui ! Comment avait-il pu faire cela ? Et il le raconta calmement, posément, comme s’il racontait le crime d’un autre.
Il était à Clairac, chez son ami. Soudain, brusquement, l’idée du meurtre traverse son cerveau. Il est dix heures et demie du soir, et il fait, dans la nuit, cinquante kilomètres pour aller tuer. A mi-chemin, il a une seconde d’hésitation et s’interroge :
« Où vas-tu, malheureux ? Que vas-tu faire ? »
Puis il pédale plus vite et court vers le massacre.
Mais pourquoi tuer ? Il le dira au juge et aux médecins
« Je voulais vivre seul. J’aime la solitude. »
Et, sans émotion, il racontait son forfait.
Vers minuit et demi, il était arrivé chez lui. Sa femme lui avait ouvert, et ils étaient restés ensemble à causer pendant une demi-heure. Puis, passant dans un petit réduit, il avait mis un bourgeron, un pantalon de treillis, et pris une hache. Sa femme s’est couchée et endormie. D’un coup de hache, il lui fend le crâne Mme Delafet gémit ; le mari prend un mouchoir sous l’oreiller et le lui enfonce dans la gorge puis il pose la hache sur le lit. De là, il va dans la cuisine prendre un couteau, réveille sa grand’mère. « Je suis souffrant, fais-moi de la camomille », et pendant que la vieille met ses pantoufles, il lui plonge son couteau dans le dos et l’abat. Le bruit a réveillé l’oncle Médolle. Il le tue d’un coup de son couteau.
Il reste des vivants encore : sa mère et ses deux enfants. Delafet prend un fusil chargé de chevrotines, entre dans la chambre où dorment sa mère et sa fille Lucienne, et les tue raides, chacune d’un coup de feu en pleine figure. Il repasse devant le cadavre de son oncle, et d’un coup de crosse lui fracasse la tête.
Dans la chambre de Mme Delafet, à côté du corps sanglant de sa mère, le bébé dort dans son berceau. La hache est là, toujours sur le lit. Le père la saisit et, d’un coup, brise le crâne du tout petit de six mois son fils, après sa fille, après sa femme, après sa mère !Et, tranquillement, le monstre enfourche sa bicyclette et, dans la nuit glacée, sans lanterne, fait encore cinquante kilomètres. Il arrive à Clairac, vers cinq heures du matin, se couche et s’endort. Sommeil paisible.
« Je ne m’explique pas, disait-il, pourquoi j’ai fait cela. Je n’ai pas voulu cela. II me semble que c’est un film qui se déroule. »
Est-ce un fou ? On voudrait l’espérer. Trois aliénistes l’ont examiné et l’ont trouvé tout à fait responsable. Oui, entièrement ! Le mobile, disent-ils, c’est l’amour de la solitude. Son éminent défenseur, M. le bâtonnier d’Agen, Me de Lacvivier, a demandé une contre-expertise à la chambre des mises en accusation. Il pense qu’un tel crime ne peut être que celui d’un fou. La cour lui a refusé cette contre-expertise. Il l’a demandée de nouveau au président des assises, et celui-ci l’a refusée encore.La raison chancelle devant cette épouvante. Massacrer tous les siens, parce qu’on veut vivre seul ! Effroyable rêverie d’un promeneur solitaire. Quelle attitude aura ce monstrueux criminel devant le jury ? Je ne crois pas que dans la rouge histoire des causes célèbres, on puisse trouver un pareil forfait.
- J’en avais assez, j’avais le cafard, je voulais me refaire un avenir. Je haïssais mon oncle qui me reprochait de ne pas travailler, il avait monté la tête à ma mère et c’était, à la maison, des discussions continuelles. Il fallait en finir, c’était devenu une idée fixe , il fallait n’épargner personne si j’en tuais un, il fallait tuer tout le monde.
- Le mercredi, je revins à Moirax avec le boulanger qui ne s’était pas aperçu de mon absence et c’est au village seulement que les gens me parlèrent du drame qui n’avait été découvert que le matin, vers 11 heures.
Après ces aveux énoncés d’une voix calme, le criminel a été amené, ce matin, un peu avant midi, à la maison où devait avoir lieu la reconstitution. Quand on le conduisit vers ses victimes, toutes étendues là où il les avait frappées, il n’émit aucun regret, se contentant de répondre d’une voix brève aux questions qui lui étaient posées. Pourtant, cette lugubre scène dans la pénombre de ces chambres aux volets clos était la plus atroce vision que l’on pût concevoir.
La préméditation
Cynisme d’un fou ! On épiloguera peut-être longuement là-dessus au cours des assises qui le verront comparaître. Mais la préméditation est indéniable.
- Dimanche dernier, Delafait alla au café des époux Roméo chercher la lanterne de bicyclette du patron dont il n’avait cependant pas besoin car il n’était que 2 heures de l’après-midi.
- A cet instant, Delafait savait donc qu’il reviendrait de nuit, contrairement à ce qu’il avait affirmé à tout le monde.
Cet alibi était bien préparé puisqu’il réussit à sortir de chez son ami le boulanger Barthe et à y rentrer sans avoir été aperçu. Enfin, dernier détail qui montre le souci qu’avait le meurtrier d’échapper au châtiment ; pour commettre son crime il avait revêtu, en arrivant chez lui, une salopette et un veston noir qu’il jeta dans la Garonne en rentrant, ainsi qu’une paire de gants tachés de sang.
Tout cet échafaudage de précautions s’est écroulé grâce à un détail.
Sans cet accident fortuit, jamais peut-être on n’aurait pu soupçonner le meurtrier ou du moins le confondre. Son alibi était indiscutable.
Singulière folie
On pourrait s’étonner que Delafet ait pu, dans une même journée, accomplir à bicyclette une randonnée de plus de cent kilomètres et cela par un temps glacial. Mais le criminel est un ancien champion cycliste régional.
Une fois déjà, il y a huit ans, il avait fui la vie qui l’excédait et il avait fait une fugue d’assez longue durée. Il était cependant rentré au foyer sur les instances de sa famille.
Singulière folie, vraiment, qui ne dure que ,le temps d’accomplir sa monstrueuse série de meurtres, puisque tous ceux qui le virent avant et après le drame ne purent rien soupçonner.
Quand il sortit de la maison, ce soir, il ne se retourna même pas, et il s’enfonça dans le froid de la nuit en relevant frileusement le col de son pardessus. Tout le village le regarda passer et nul ne proféra la moindre imprécation. Tant d’horreurs accumulées avaient anéanti le réflexe vengeur de la foule stupéfaite.
Insensible, Pierre Delafet, quatre fois assassin et deux fois parricide, entend rappeler son épouvantable forfait
Pierre Delafet, quatre fois assassin et deux fois parricide, est devant les jurés. La foule qui assiège le prétoire le considère sans haine : la haine est un sentiment qui rapproche, qui tend au contact. Ce qu’on éprouve à la vue de ce monstre, c’est la curiosité un peu douloureuse, compensée par une insurmontable répulsion ; ce vertige d’horreur qui vous immobilise devant l’araignée-crabe ou le crapaud géant. Delafet a tué sa femme, sa mère, sa grand’mère, son oncle, ses enfants, de la septuagénaire au bébé dé trois mois ! Sauf les épouvantes de la mythologie, quel crime, depuis Caïn, a jamais égalé celui-là ! Dès qu’il est entré, une rumeur a parcouru et comme dilaté la salle. C’était lui ! Un beau garçon solide, au poil noir, les yeux d’un bleu foncé, sournois et cruels, le masque charnu, puissant des pommettes et des mandibules, les mains derrière le dos et l’air, ennuyé de parti pris.
Le conseiller Simon, qui préside, puissant, sanguin et tout rond, aborde son interrogatoire sans stupeur ni dégoût, avec une saine et fine rondeur.
– Pierre Delafet vous êtes né à Bordeaux, vous avez 32 ans, votre certificat d’études et pas de condamnation.
Par suite, des circonstances tragiques qui vous amènent ici, vous êtes veuf et sans enfants. (Sensation.)
On ne sourit pas : c’est le rite juridique et le président n’y a pas mis intention d’ironie.
Fils d’un brave homme employé au chemin de fer du Midi, il a été élevé avec amour, et soin. Il a fait son service militaire dans l’aviation, à Tours et en Syrie. Dès sa libération, en 1923, il s’est marié. Sa femme est morte en 1927, lui laissant la petite. Lucienne qui aurait aujourd’hui 9 ans.
Sa mère, pour lui donner une situation, avait acheté 12.000 francs les cinq hectares de la propriété, de Serres, sur le plateau de Moirax, à deux lieues d’Agen. Elle lui en fit don par contrat quand il se remaria en 1930. Mais le travail de la terre lui répugnait il n’aimait pas sa femme et la trompait il était resté indifférent à la naissance de son deuxième enfant, le petit Jean. Il endurait, muet et têtu, les reproches que, sur sa paresse et son insouciance, lui faisaient sa mère, sa grand’mère et son oncle Albert Midole. Bref, dissentiments continuels.
– Oh! fait-il en haussant les épaules, pas bien graves.
Le 7 février de l’an dernier il prend sa bicyclette, il va voir à Clairac, à cinquante kilomètres de Moirax, son parent, Barthe, dont la charrette a besoin d’être réparée.
– La veille, remarque le président, vous aviez eu soin d’emprunter à un voisin sa lanterne à acétyléne ; vous comptiez donc revenir la nuit.
Il arrive chez les Barthe ; on veut enfermer sa bicyclette, il refuse : elle peut rester sous le hangar au bord de la route.
– N’était-ce pas que vous comptiez la reprendre sans qu’on y fit attention ?
Pas un moment il ne paraitra s’intéresser aux questions qu’on lui pose.
– Je ne me souviens pas, dit-il avec indifférence.
Le soir, il attend. que tout le monde soit endormi, chausse des sandales qu’il avait eu la précaution d’emporter, saute sur sa bicyclette : deux heures et demie après, il a refait les cinquante kilomètres qui le séparent de Moirax.
Minuit et demi, il frappe à la porte : sa femme vient lui ouvrir et se recouche. Il feint d’en vouloir faire autant, mais ayant ôté son veston, il s’absente : « Je reviens », dit-il. Il va dans sa forge, enfile un pantalon de toile bleue, endosse une veste de lustrine noire, prend une hachette. Il rentre : sa femme est couchée, la tête au mur. Il frappe, trois coups, fend et brise le crâne. Elle est morte sans un soupir.
Le massacre
Le massacre effroyable est commencé : aussi expéditif que possible – la tuerie des porcs à l’abattoir – en quelques minutes, il sera consomme.
Il a bâillonné d’un mouchoir le cadavre des sa femme ; il entre chez sa grand’mère et lui demande une potion parce qu’il a mal au coeur. Il cache derrière son dos un couteau énorme et pointu qu’il vient de prendre à la cuisine. La vieille cherche la drogue en question ; il lui plante, dans le dos la lame jusqu’au manche : elle tombe foudroyée. L’oncle Midole sort de sa chambre. Dans le dos, lui aussi, il est poignardé deux fois, avec une telle violence que l’assassin, en retirant le couteau, se blesse aux doigts.
L’affreux meurtrier va dans le couloir décrocher son fusil. Sa mère parait : une charge de chevrotines en plein buste elle tombe. La petite Lucienne se précipite : une charge de chevrotines en peine figure ; elle tombe.
– Il y avait encore votre fils Jean ; vous êtes revenu vers le berceau.
– Je ne sais pas.
– Mais si, vous avez dit : « J’ai failli l’épargner, mais la besogne était commencée, il fallait la finir ».
Le public halète d’horreur.
– Vous avez fait un paquet de vos vêtements ensanglantés, vous avez changé de souliers et vous êtes reparti. Mais vous avez oublié votre lanterne à acétylène : le crime était signé.
Il refait une troisième fois les cinquante, kilomètres rentre à pas de loup chez les Barthe.
Personne ne vous avait entendu. Vous prenez votre tasse de chocolat : ce qui venait de se passer ne vous avait pas, coupé, l’appétit.
Mais ses yeux tombent sur la blessure qu’il s’est faite aux doigts. Il descend à la cave sous prétexte de regarder un tonneau qu’il se propose de raccommoder. En remontant il déclare qu’il vient de se couper en tombant sur un morceau de verre. Mme Barthe, en le pansant, remarquera, que la coupure ne saigne pas.
– Mais, enfin, pourquoi ? demande le président, pourquoi avez-vous fait cela ? Pour hériter de tout le monde ? Pour vivre seul ? Pour vous venger ?
– Pour rien du tout.
L’interrogatoire suffisait sans doute à édifier le jury : la déposition des témoins n’importe guère que dans un procès où réside quelque incertitude de fait.
On n’entendra pourtant pas moins de vingt-cinq dépositions. Le commissaire de la police mobile témoignera du calme avec lequel Delafet raconta son crime stupéfiant :
L’un des deux avocats, Me Perreau, fait diversion en s’étonnant de ce qu’on n’a pas jugé utile de relever sur la hache, le couteau et le fusil, les emprein- tes digitales de celui qui s’en était servi.
A quoi réplique l’avocat général que les aveux formels et complets de l’assassin valaient mieux que toute expertise.
Rumeur d’approbation dans le public : Me perreau s’obstine pourtant.
– Malgré les aveux de Delafet, hasarde-t-il, vous ne connaissez peut-être pas encore la vérité.
Et le public, de nouveau. par un commencement de clameur, difficilement réprimée, marque l’intérêt passionné qu’il prend à ces débats inoubliables.
– Absolument cynique, dit à son tour le maire de Moirax, M. Lannelongue : d’ailleurs il n’aimait pas sa famille, il trompait sa femme avec une voisine et j’ai entendu dire que celle-ci lui vantait l’existence qu’ils auraient pu mener à deux s’il eût été libre. Elle-même, d’ailleurs, était en puissance de mari.
– Il exagère, dit l’accusé dédaigneusement.
M. Dabos, le charpentier de Moirax, entra le premier dans la maison des Delafet, après avoir constaté qu’ils n’avaient pas donné signe de vie toute la journée du mardi gras. Il buta sur le corps de l’oncle Midole. Alors, il appela à l’aide.
On tirera moins que rien de la « voisine », la maîtresse de l’assassin, une petite femme qui malgré son jeune âge » 22 ans » sait tenir sa langue, et guère davantage de M. Joseph Roméo, qui est, on s’en doute bien, non seulement le coiffeur de Moirax, mais le mari de la « voisine ».
Selon les rapports , le seul motif invoqué par Delafet était « J’ai perdu tout contrôle de moi-même »
Les journaux ont rapporté le scénario moins probable selon lequel les meurtres auraient été commis par la femme de Delafet qui aurait mis trop de temps à répondre à la porte.
Il est condamné à mort à Agen, le 7 mars 1933. Une erreur de procédure fait casser l’arrêt. Delafet est rejugé à Bordeaux le 7 juillet 1933.
Au Fort du Ha, il joue à la belote avec les autres prisonniers et même avec un gardien. Il est serein et ne manifeste absolument aucun remords. Il est convaincu qu’il ne sera pas exécuté. La rumeur de sa grâce s’est répandue dans Bordeaux. Mais l’ampleur du crime est telle qu’Albert Lebrun restera inflexible malgré la visite de ses avocats.
L’exécution est fixée au 23 novembre 1933. C’est la dernière fois qu’Anatole Deibler, surnommé » Monsieur de Paris « , officie à Bordeaux. Le fourgon arrive à cinq heures au fort du Hâ par le cours d’Albret. L’emplacement de la guillotine, dans la cour, est signalé par une marque au sol. Le montage se déroule à la lueur d’une lampe tempête et est achevé en une demi-heure. Deibler et ses aides, jusqu’alors en habit de coutil, se changent. Le jour se lève. Les silhouettes des spectateurs apparaissent. Certains attendent depuis deux heures du matin. Les rues avoisinantes sont noires de monde. Dans les immeubles voisins de la prison les fenêtres sont louées cent trente francs.
Depuis trois heures, les environs de la prison sont bouclés. Deux cents spectateurs ont réussi à entrer dans la cour et se tassent le long du mur. Certains poussent des cris hostiles. Deux femmes s’évanouissent. Il est impossible de franchir les barrages de la place de la République ou de Pey Berland. Seuls les possesseurs de » coupe fil » (sic) pourront entrer par la porte principale du palais de justice.
Delafet est réveillé à six heures dix minutes. Il dort bien car il a joué aux cartes jusqu’à une heure. Il fait preuve d’un sang-froid à toute épreuve. Il n’entend pas la messe, et au greffe, refuse alcool, cigarette et tasse de café. A son avocat, Me Pereau, il dit :
« Je ne sais pas pourquoi… Je ne me rappelle pas… » puis » Continuez à fleurir les tombes, continuez à défendre ma mémoire. Je ne sais pas ce que j’ai fait… Que cela puisse servir d’exemple aux autres. »
Il revêt la tenue des parricides. Devant la guillotine, l’huissier lit l’arrêt de mort. Un des aides du bourreau lui enlève prestement son voile, puis le pousse sur la machine.
Delafet est guillotiné à six heures quarante-cinq minutes. L’aumônier bénit le panier. Le corps a été réclamé par le doyen de la faculté de médecine. Le fourgon des pompes funèbres part pour l’institut médico-légal, précédé de 25 gendarmes à cheval. La foule se disperse. L’exécution ne donne lieu à aucun incident. Delafet est enterré discrètement au cimetière Nord.
Son flegme incroyable a surpris tous les acteurs de cette affaire.
» Il est allé à la guillotine comme s’il allait au café » dira un commentateur.
Sources : guillotine.1fr1.net, wikipedia