C’est en octobre 1901 que Gustave Papin épouse Clémence Derré. De ce mariage naîtront trois filles : Emilia, Léa et Christine. Tandis que les aînées seront élevées par leurs parents, Christine sera confiée dès son plus jeune âge à sa tante paternelle, Isabelle, jusqu’au divorce de ses parents, quatre ans plus tard.
L’union entre ces deux êtres que tout oppose, lui taciturne et elle volage, débouchera sur un divorce en 1913. Les enfants se verront confiées à leur mère. Celle-ci n’ayant toujours ressenti que de l’aversion envers ses enfants (surtout ses aînées) ne tardera pas à mettre Christine et Emilia en pension au Bon Pasteur, un endroit stricte et pieu, accueillant alors les délinquantes et les filles abandonnées.
La rigueur du règlement et les châtiments subits par les pensionnaires font du Bon Pasteur un endroit craint par les enfants. Clémence savait pertinemment que ses filles allaient y souffrir. Face à cette séparation les soeurs font bloc, tout au long de leur scolarité Emilia jouera un rôle protecteur envers sa cadette.
Quant à Léa, la seule à être élevée par sa mère, elle n’en est pas pour autant rejettée par Emilia et Christine, cette dernière veillant toujours à la protéger de leur mère en lui portant tout l’amour qu’elle n’a elle-même pas reçu. Cette relation presque fusionnelle entre les deux soeurs sera souvent qualifiée d’homosexuelle par les écrivains et journalistes de l’époque.
L’entrée dans la vie active
Dans la société des années 1930, les employeurs éprouvaient très souvent du mépris face à leurs bonnes. Il leur arrivait même de les classer sous certains critères, notamment celles qui fument, boivent, volent …Plusieurs des patrons de cette période n’avaient pas confiance en leurs bonnes. Durant les différentes expériences de Christine, celle- ci aura pu en effet le remarquer. Il lui est arrivé de voir la maîtresse de maison recompter les fruits pour vérifier qu’elle n’en ait pas volés ou encore d’être surveillée en train de beurrer ses tartines.
La première employeuse de Christine dira d’elle qu’elle était prévenante, de bon caractère, serviable, de compagnie agréable, travailleuse et jamais en colère. Au contraire sa deuxième patronne se plaignait toujours du mauvais caractère de son employée, et surtout de son extrême susceptibilité. Christine aurait un air rétif et hautain, de plus sa patronne hésitait à la “commander”. C’est ainsi que Christine ne resta que quinze jours chez cette deuxième personne. Le caractère lunatique de cette dernière peut s’expliquer par le fait réel besoin de montrer qu’elle existait, même en tant que domestique.
Christine et Léa rentreront en 1926 au service des Lancelin, ceux-ci sont un couple sans histoire vivant avec leur fille dans une belle propriété du Mans. Jusqu’à l’horrible crime, les relations entre bonnes et employeurs se passaient bien. M Lancelin dira qu’il n’avait rien à reprocher au niveau de la qualité de leurs services.
Les faits
Le 2 février 1933, Monsieur René Lancelin arrive au commissariat de police du Mans avec son ami Monsieur Audoire. Ce soir M. Lancelin devait dîner avec sa femme et sa fille chez leur ami M Chambon. Les deux femmes, après avoir fait les courses ce jour-là, devaient se rendre chez Chambon directement. Celles-ci n’étant pas encore arrivées à six heures et demie, M. Lancelin essaye de leur téléphoner mais personne ne décroche. Croyant à un simple retard, il retourne chez lui,mais quand il arrive il ne peut y pénétrer.
Il croit alors qu’elles sont déjà parties et que les deux bonnes, Christine et Léa Papin, ont fermé la porte de l’intérieur et ne peuvent pas entendre la sonnette à cause du bruit dans la cuisine. Cependant, quand il retourne chez Chambon sa femme et sa fille ne sont pas encore arrivées. Il commence à s’inquiéter quand personne ne décroche le téléphone et retourne donc chez lui une deuxième fois sans toutefois parvenir à y pénétrer de nouveau. Il remarque alors la lumière dans la chambre des domestiques dans la mansarde et présume qu’il s’agit d’une bougie. Il décide de se rendre au commissariat.
Deux agents de la police accompagnent M. Lancelin à sa maison dans la rue Bruyère. Ils trouvent la maison plongée dans l’obscurité ainsi que la porte verrouillée. A ce moment ils pensent à une fuite de gaz dans la maison. Les agents pénètrent dans l’immeuble en passant par la maison voisine, escaladent un mur et commencent à l’explorer avec une torche électrique. Au rez-de-chaussée ils ne trouvent rien de peu habituel, sauf le tiroir de la table de la cuisine ouvert sur une armée de couteaux à découper la viande. Ensuite, ils commencent à monter l’escalier mais s’arrêtent en découvrant un oeil humain sur la marche. En arrivant sur le palier ils trouvent les corps de Mme et Mlle Lancelin affreusement mutilés.
A ce point-là ils pensent trouver les deux bonnes dans le même état. Ils pensent avoir affaire à un acte d’aliéné. Ils montent donc à la mansarde avec précaution. En haut, ils trouvent une autre porte fermée. Quand ils pénètrent dans cette chambre par la force ils voient les deux jeunes femmes vivantes, couchées dans le même lit et un marteau englué de sang à côté de la porte. Les deux femmes se lèvent puis elles avouent rapidement qu’elles ont tué les femmes Lancelin. Christine, l’aînée, déclare qu’il s’agissait d’un acte de défense.
L’arrestation
Les deux femmes sont conduites au commissariat où elles ont été inculpées d’assassinats.
Cinq personnes étaient présents aux premières interrogatoires: M. Herbert, juge d’instruction, M. Riegert, Procureur de la République, Dr Chartier, médecin légiste, le commissaire central et M. Bouttier, le greffier du tribunal. Christine leur explique les détails de ce qui a passé ce jour-là. Me Chambon, avocat et le frère de Madame Lancelin, a voulu recevoir les Lancelin et les Audoire pour le dîner. Les deux bonnes croyaient que leurs patronnes seraient absentes tout l’après-midi. Après avoir fait des courses, elles iraient prendre le thé chez Mme Audoire. Puisque la réunion ce soir serait intime, les deux femmes ne rentreraient pas se changer et elles se rendraient directement chez Me Chambon. Les deux bonnes restaient seules à la maison. Mais ce n’était pas un jour férié et elles ont passé le temps à faire les travaux ménagers. Vers cinq heures il y avait une panne d’électricité à cause du fer. Les deux femmes ont décidé d’attendre le matin avant de repasser les plombs. Inopinément, entre cinq heures et demi et sept heures, Mme et Mlle Lancelin sont arrivées à la maison.
Christine explique ce qui se passe au retour de sa patronne:
« Quand Madame est rentrée, je lui ai rendu compte que le fer était de nouveau démoli et que je n’avais pu repasser. Quand je lui ai dit cela, elle a voulu se jeter sur moi; nous étions à ce moment-là, ma sœur et moi et mes deux maîtresses, sur le palier du premier étage. Voyant que Mme Lancelin allait se jeter sur moi, je lui ai sauté à la figure et je lui ai arraché les yeux avec mes doigts. Quand j’ai dit que j’ai sauté sur Mme Lancelin, je me trompe, c’est sur Mlle Lancelin, Geneviève que j’ai sauté et c’est à cette dernière que j’ai arraché les yeux. Pendant ce temps, ma sœur Léa a sauté sur Mme Lancelin lui a arraché également les yeux. Quand nous avons eu fait cela elles se sont allongées et accroupies sur place. »
Christine continue :
« Ensuite, je suis descendue précipitamment à la cuisine et je suis allée chercher un marteau et couteau; avec ces deux instruments, ma sœur et moi nous sommes acharnées sur nos deux maîtresses, nous avons frappé la tête à coups de couteau et nous avons également frappé avec un pot d’étain qui était place sur une petite table sur le palier. Nous avons changé plusieurs fois les instruments de l’une à l’autre, c’est-à-dire que j’ai passé à ma sœur le marteau pour frapper et elle m’a passé le couteau, nous avons fait la même chose avec le pot d’étain. Les victimes se sont mises à crier, mais je ne me souviens pas qu’elles aient prononcé quelques paroles. Quand nous avons eu fait le coup, je suis allée fermer au verrou la porte cochère et j’ai fermé également la porte de vestibule. J’ai fermé ces portes parce que j’aimais mieux que ce soit la police qui constate notre crime avant notre patron. Ensuite, ma sœur et moi sommes allées nous laver les mains à la cuisine car nous les avions pleines de sang, puis nous sommes montées dans notre chambre, nous avons enlevé nos effets qui étaient maculés de sang, nous avons mis un peignoir, nous avons fermé la porte de notre chambre à clef, et nous nous sommes couchées toutes les deux dans le même lit. C’est là que vous nous avons trouvés quand vous avez enfoncé la porte. Je n’ai aucun regret ou, autrement dit, je ne peux pas vous dire si j’en ai pas, j’aime mieux avoir la peau de mes patronnes plutôt que ce soit elles qui aient la mienne ou celle de ma sœur. Je n’ai pas prémédité mon crime, je n’avais pas de haine envers elles, mais j’admets pas le geste qu’a eu ce soir Mme Lancelin à mon égard. »
Léa Papin refuse de donner des explications. Le juge lui a lu les déclarations de Christine et puis Léa confirme les affirmations de sa sœur. Elle explique son rôle dans le crime en ajoutant: « Tout ce que vous a dit ma sœur est exact, les crimes se sont passés exactement comme elle vous les a narrés. Mon rôle dans cette affaire est absolument celui qu’elle vous a indiqué. J’ai frappé autant qu’elle, comme elle; j’affirme que nous n’avions pas prémédité de tuer nos patronnes, l’idée nous en est venue instantanément, quand nous avons entendu que Mme Lancelin nous faisait des reproches. Pas plus que ma sœur je n’ai le moindre regret de l’acte criminel que nous avons commis. Comme ma sœur, j’aime mieux avoir eu la peau de mes patronnes plutôt que ce soit elles qui aient eu la nôtre. »
Les nouvelles du drame paraissent le lendemain à la une du journal local La Sarthe du Soir: « Horrible forfait. Mme Lancelin et sa fille Geneviève assassinées par leurs bonnes ». Les Lancelin étaient connus dans la ville du Mans. M. Lancelin était ancien avocat respecté dans la région de la Sarthe. A l’enterrement de Mme et Mlle Lancelin un détachement du 117e d’Infanterie était présent pour accompagner le cortège. En revanche, les deux bonnes étaient peu connues dans la rue Bruyère et ses environs. Selon le rapport du commissaire central les sœurs n’adressaient jamais la parole à aucun voisin, pas même aux domestiques des maisons voisines. Ceux qui les ont connues les ont considérées, en général, comme travailleuses, honnêtes et sérieuses.
Le procès
Après quelques mois d’investigation l’instruction a conclu par une inculpation différente pour chaque sœur. Christine a été accusée du double meurtre tandis que Léa a été accusée d’avoir tué, en concert avec sa sœur, Madame Lancelin. En septembre 1933 un jury dans la salle d’Assises du Sarthe a trouvé les deux femmes coupables de l’assassinat de leurs patronnes. Christine Papin a été condamné à « avoir la tête tranchée sur la place du Mans » mais un décret du président Albert Lebrun le 22 janvier 1934 a commué la peine de mort en travaux forcés à perpétuité. Cependant elle a été internée à l’hôpital psychiatrique de Rennes dans les premiers mois de 1934. Elle y est morte le 18 mai 1937 de « cachexie vésanique » sans avoir revu sa sœur. Léa Papin à été condamnée à dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour. Elle a été libérée le 2 février 1943, le jour anniversaire du crime, puis elle a habité avec sa mère à Nantes où elle est morte en 1982.