Certaines nuits de pleine lune, on peut les voir, comme je vous vois, Monsieur. Tous les habitants de Rustéphan, vous le diront : les fantômes de Geneviève et de Iannick hantent encore aujourd’hui le château. A mon avis, ils ne s’en iront que si le bâtiment est rasé et j’espère bien que cela n’arrivera jamais..! L’homme qui me parle est né ici, à Nizon, ce village de 300 habitants situé dans le Finistère, à trois kilomètres de Pont-Aven. Il connaît bien toutes les vieilles légendes de la région. Il m’a raconté cette de ces deux jeunes gens qui s’aimaient jusqu’à en mourir. L’histoire est vraie. Les personnages ont bien existé. Ils vivaient au début du seizième siècle. A l’époque, le château dressait fièrement ses tours au sommet du vallon. Aujourd’hui, hélàs, il n’est plus que ruines : l’histoire ne l’a pas épargné. A la Révolution, il a été à moitié détruit. De nos jours, l’une de ses tours, rongée par le lierre, est en train de s’écrouler. Mais on peut imaginer, à la délicate architecture de sa porte d’entrée, à la pureté des lignes de ses remparts et de ses contreforts, que ce bâtiment fut d’une incomparable beauté. « Regardez cette tour, me dit mon guide, il n’en reste plus grand chose ! Les hommes l’ont détruite, par pur vandalisme ! Mais ici, personne ne laissera Rustéphan disparaître ! Nous voulons nous battre pour garder ces pierres et peut-être restaurer le château… » Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il se bat aussi pour garder au village sa légende, à laquelle, ici, tout le monde croit dur comme fer…
Lieu d’apparitions.
L’histoire commence donc au début du seizième siècle. A l’époque, le château était habité par la famille de Rustéphan, descendant de Jean du Faou, seigneur du Faou et de Guéméné, qui fit construire le domaine en 1470. Situé à un kilomètre du bourg, le bâtiment, malgré son isolement, malgré sa situation géographique, dans un coin éloigné de la Bretagne, bien loin de Paris et du palais du roi, abritait le chambellan de Louis XI. Cette demeure sera le théâtre de terribles scènes historiques : l’un des habitants périt à la Saint-Barthélémy, en 1572. Un autre sera démis de sa charge de vicomte, après avoir trahi la duchesse Anne. En 1585, Geneviève de Rustéphan habite là avec sa mère. Elle a 22 ans, elle est belle et rêveuse. Un jour où elle se promène dans la campagne environnante, elle aperçoit un jeune homme, un berger, qui garde son troupeau. Iannick Flecher est un jeune paysan. Il parait, à la jeune fille, le plus séduisant des hommes et elle en tombe sur le champ éperdument amoureuse. Tous deux prennent l’habitude de se rencontrer chaque jour. Sans doute se font-ils des déclarations enflammées, assis sur l’herbe, serrés l’un contre l’autre. Sans doute, aussi, ne tardent-ils pas à devenir amants sans plus de façon, puisqu’ils sont passionnément épris et rêvent de faire leur vie ensemble.
Au village, leur idylle n’est pas passée inaperçue. Les commères racontent qu’ils ont des rendez-vous secrets, dans les champs. Une aristocrate et un berger, cela ne va pas ensemble ! On se scandalise de cette union contraire aux coutumes de l’époque. On les jalouse. On finit par révéler à leurs familles ces amours interdites. La mère de Iannick cherche à raisonner son fils. mais rien y fait…La brave paysanne soupire, désolée de voir son fils s’obstiner dans son erreur. La dame du château, de son côté, cherche également à dissuader sa fille de poursuivre de telles relations. Mais Geneviève est aussi têtue que son amant.
« Je veux l’épouser et personne d’autre ! »
…annonce-t-elle à sa mère. Pour tous ce mariage est inconcevable. Il faut absolument séparer les deux jeunes gens. La mère de Flecher et Madame de Rustéphan vont donc se rencontrer en secret, pour s’entendre sur la conduite à tenir. Il se trouve que la maîtresse du château est la marraine de Iannick. Elle a donc le pouvoir de l’orienter dans sa carrière. Elle va s’empresser de le faire et par là-même, de l’éloigner du village.
« Tu es attendu à Quimper, annonce donc Madame Flecher à son fils, ce soir là. Ta marraine veut te faire faire des études de théologie. Tu seras prêtre, mon fils ! N’est-ce pas un grand honneur, pour un enfant de paysan comme toi, de pouvoir accéder à cette sainte charge ? »
Iannick a beau se désoler, supplier qu’on lui trouve un autre métier, il n’a pas le droit de désobéir. Et pas question, pour les deux femmes, de changer d’avis : il doit donc partir, le coeur déchiré, sans savoir s’il reverra jamais la jolie Geneviève…Iannick, la mort dans l’âme, se rend à Quimper. Il y poursuit des études de théologie et obtient bientôt le parchemin qui lui permettra d’être ordonné prêtre. A son retour à Rustéphan, sa première visite est pour la jolie Geneviève. Elle l’attend, sans doute, depuis longtemps. Elle est là, mélancolique, marchant le long du chemin creux où ils avaient l’habitude de se rencontrer chaque jour. Ses premières paroles sont des reproches :
« Vous ne pouvez pas devenir prêtre, après ce qui s’est passé entre nous ! lui dit-elle. Souvenez vous »
Puis lui prenant la main, elle remarque :
« Mais qu’avez-vous fait de cet anneau que je vous avais donné, juste avant votre départ ? L’auriez vous donc perdu ? ».
« Non avoue-t-il, je l’ai donné à Dieu. Je suis prêtre à présent. ».
On imagine le désespoir de la jeune fille, qui n’avait jamais voulu croire que son amant se plierait aux exigences de leurs familles. Elle se voit délaissée, seule, désormais. Anéantie, elle refuse de se nourrir et se complaît dans sa douleur, dépérissant à vue d’œil. Le jour où Iannick doit, pour la première fois de sa vie, dire la messe, elle va le voir, dans la petite église romane de Nizon. Elle le supplie, les larmes aux yeux :
« Tu ne peux pas me faire cela, tu ne dois pas renoncer à moi ! Je suis prête à tout pour toi, à travailler aux champs, à accepter la pauvreté ! Viens, partons ensemble ! ».
« Non, répond il, j’appartiens à Dieu… »
Geneviève se met à courir à travers la campagne, jusqu’au château. Elle grimpe les escaliers de la tour d’angle, celle que l’on peut encore aujourd’hui admirer sous le lierre qui la ronge. Puis, elle se jette dans le vide…En cet instant, Iannick pénètre dans l’église, pour célébrer sa première messe. La nouvelle du suicide de Geneviève bouleverse tout le monde. Sa mère, celle de Iannick, tous ceux qui avaient naguère combattu les deux jeunes gens, se sentent, à présent, coupables. Et tout le village se rend au château où la morte étendue sur son lit à baldaquin, repose, dans une robe de satin vert. Iannick sanglote à fendre l’âme au pied du lit. Sans doute comprend il son erreur, sans doute mesure-t-il à quel point il aimait la jeune femme. Mais il lui faudra continuer à vivre, sans elle…
Iannick Flecher s’éteindra à 40 ans passés. La veille de sa mort, il est allé, comme d’habitude, se recueillir devant la tombe de Geneviève.
- Qu’a-t-il chuchoté à la défunte ?
- Y a-t-il eu, entre eux, un dialogue amoureux défiant la mort et le temps ?
On le raconte. On croit aussi qu’ils n’ont pas cessé de communiquer de façon mystérieuse. Sinon, comment se seraient ils rejoints dans l’éternité ? « Quelques jours après la mort de Iannick, me raconte un vieux paysan du village, son fantôme est apparu sur les remparts du château, à côté de celui de Geneviève. Elle était vêtue de sa robe de satin vert. Elle était belle et dans toute la fraîcheur, de ses 22 ans. Lui, au contraire, avait l’apparence de celui qu’il était avant de mourir et paraissait donc de 20 ans son aîné. Ils se promenaient paisiblement, tous les deux, comme un vieux couple soudé par d’éternels liens. Tout le monde l’affirme, à Nizon : ces fantômes continuent de hanter le château. Et, parfois, si l’on pénètre à l’intérieur des ruines, on peut apercevoir une bière couverte d’un drap noir et flanquée, aux quatre coins, de quatre cierges blancs: la bière de la jolie Geneviève dont le corps est encore à l’intérieur de ce cercueil magique, vêtu d’une robe de satin clair.
Je n’ai pas vu ce cercueil. Mais il n’apparaît pas, dit-on, à tout le monde. Et je ne me trouvais pas à Nizon par une nuit de pleine lune. Mais j’ai vu l’église où fut célébré l’enterrement de la pauvre suicidée. A l’extérieur, une fontaine attire les jeunes du village. Des couples, main dans la main, s’y rendent pour s’y désaltérer. Certains inscrivent avec application leurs prénoms dans la pierre.
Geneviève et Iannick avaient bu, eux aussi, de l’eau de la fontaine, m’explique-t-on. C’est une eau miraculeuse : elle permet à ceux qui s’aiment d’être sûrs de se marier dans l’année. Il faut graver son prénom sur le rebord pour mettre toutes les chances de son côté ! La légende vit aujourd’hui, chez les jeunes de Nizon, comme si Geneviève et Iannick n’étaient pas vieux de quatre siècles, mais de quelques années seulement. Ici, le temps, semble-t-il, ne compte pas. Et tant mieux s’il permet aux belles histoires de perdurer, aux hommes de garder contact avec le merveilleux. Mais pourquoi le château n’a-t-il pas été épargné ? Le lierre ronge la pierre comme un cancer et, bientôt, il ne restera plus grand chose de ces ruines, ni des esprits qui les habitent. Les habitants ont décidés de se révolter, d’organiser des pétitions, pour empêcher la mort du château de Rustéphan. On ne peut que les encourager. Ne fût-ce que pour le bonheur et la sérénité de Geneviève et de Iannick
Mais faut-il encore croire que les pierres gardent les âmes…!
Magnifique Histoire.
Je voudrai juste savoir si, Reynald, tu es la personne à qui l’on a raconté l’histoire ou alors tu as trouvé cette histoire sur la toile…?
j’en avait entendu parler par un ami qui lui croyais que c’etait une legende urbaine donc j’ai fait quelques recherche sur le net et apparement ce n’est pas une legende urbaine.
Bonjour,
Au risque de vous décevoir, j’habite rustéphan et vous avoue que je n’ai jamais vu le moindre fantôme !
Rustephan est un site absolument magnifique où il y fait bon vivre…mes enfants s’éclatent tous les jours à côté des ruines de ce manoir du 15e siècle.