De toutes les contrées mythiques qui ont enflammé l’imagination de générations de curieux, l’Atlantide demeure sans aucun doute la plus célèbre. Cette patrie originelle de la civilisation dont les auteurs les plus divers ont fait la mère de toutes les cultures supérieures qui se sont développées sur la planète, de l’ancienne Egypte à l’Inde aryenne et à 1’Amérique précolombienne, fut cependant précédée, affirment certains, par un autre monde dont ne subsistent plus aujourd’hui que quelques vestiges épars, compréhensibles seulement par les spécialistes de l’espace océanien. Douze mille ans avant l’ère chrétienne, un gigantesque continent se serait englouti dans les profondeurs du Pacifique : c’est sur cette terre que prospérait l’empire de Mu dont les habitants, essaimant vers la Birmanie, l’Inde, le Mexique, la Mésopotamie et l’Égypte, devaient ensuite jeter les fondements de toutes les grandes civilisations historiques, 1’Atlantide ne jouant qu’un rôle de relais dans cette gigantesque aventure. Quels sont les éléments ou les informations qui permettent à certains savants de considérer aujourd’hui l’existence de Mu comme une probabilité qu’il est impossible d’écarter a priori ? Peut-on espérer que de nouvelles découvertes vont venir confirmer les fantastiques intuitions de James Churchward et de Louis Claude Vincent, les deux pionniers de l’histoire muenne ? Comment expliquer la disparition catastrophique de ce monde fabuleux qui fut sans doute, de nombreux faits permettent de l’affirmer, la terre où se constituèrent les plus hautes traditions spirituelles de l’humanité ?
De nombreux vestiges restent encore à mettre au jour et l’archéologie des îles océaniennes n’en est qu’à ses balbutiements ; certains textes précolombiens ou indiens doivent être complètement réinterprétés pour faire avancer davantage notre connaissance de Mu, mais il est d’ores et déjà possible d’établir une synthèse de tous les faits qui montrent à l’évidence que cette terre paradisiaque, vouée au culte du dieu Soleil, eut une existence historique bien réelle, dont le souvenir s’est conservé dans de nombreux documents et dont les archéologues commencent à redécouvrir les vestiges.
La croyance en l’existence d’un vaste continent austral demeura longtemps ancrée dans les esprits européens. Ce qui peut être aisément constaté en consultant les cartes du monde antérieures au XVIIIe siècle. C’est entre 1517 et 1521 que Magellan réalisa la première circumnavigation du globe, découvrant et traversant la « Grande Mer du Sud » déjà reconnue par Balboa sur la côte occidentale de 1’Amérique centrale quelques années plus tôt.
De la sortie du détroit qui porte aujourd’hui son nom jusqu’à l’île des Larrons (aujourd’hui Guam), dans l’archipel des Mariannes, il ne rencontra aucune terre importante durant les trois mois que dura son extraordinaire odyssée. Garcia Jofre de Loaysa, qui emprunta le même itinéraire pour atteindre les Moluques, et Andrés de Urdaneta, qui joignit la côte occidentale du Mexique aux Philippines par la route qui allait devenir celle du galion de Manille, ne rencontrèrent eux aussi que les immensités vides du Grand Océan.
Les Espagnols, installés au Pérou, s’interrogèrent très vite sur ce qu’il était possible de trouver en naviguant vers l’ouest, au sud de l’équateur. Déjà, Juan Fernandez avait découvert au large de la côte chilienne l’île qui porte son nom et où séjourna l’infortuné Alexander Selkirk, qui devait servir de modèle au Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Un historien de l’empire inca, Pedro Sarmiento de Gamboa, avait retrouvé dans les traditions indiennes la trace des » Terres de l’Ouest « , d’où l’empereur Tupac Yupanqui aurait rapporté de l’or et des esclaves noirs. Un texte biblique tiré du livre d’Esdras avançait que la surface des mers ne devait égaler que le septième des terres émergées. Enfin, diverses croyances selon lesquelles le volume des terres et des continents devait exactement s’équilibrer entre les deux hémisphères boréal et austral, semblaient confirmer l’existence de vastes terres inconnues dans les mers du Sud.
Vivement intéressé par les découvertes de Sarmiento et persuadé lui aussi qu’il existait de nouveaux mondes à conquérir vers l’ouest, le vice-roi du Pérou, Francisco de Toledo, décida d’organiser une expédition dont le commandement fut confié a son neveu, Alvaro de Mendana de Neira. Partis de Callao, près de Lima, en 1567, le Los Reyes et le Todos los Santos atteignirent en février, après trois mois de navigation, l’archipel des Salomon, ainsi baptisé en raison des quelques traces d’or qui y furent découvertes, vestiges supposés des mines du célèbre roi d’Israël. L’insalubrité du climat et l’hostilité des indigènes cannibales incitèrent les Espagnols à rebrousser chemin et ils purent regagner Acapulco, puis Callao en septembre 1569, prés de deux ans après l’avoir quitté. I1 fallut attendre un quart de siècle pour que fût entreprise une nouvelle expédition. Quatre navires quittèrent le Pérou dans la perspective d’aboutir a une véritable implantation coloniale. Pilotée par le Portugais Pedro Fernandes de Queiros, la petite flotte sortit du port de Payta le 16 juin 1595. On découvrit, le 2l juillet, l’archipel des Marquises, ainsi baptisé en l’honneur du marquis de Mendoza, gouverneur du Pérou. Le séjour à Santa Cruz, l’une des îles Salomon, se termina mal puisqu’une épidémie meurtrière décima les équipages et fit périr Mendana lui-même. I1 fallut gagner les Philippines et, de là, rejoindre Acapulco, sans avoir découvert le fameux continent fantôme. Queiros n’en était pas moins persuadé de son existence et entendait bien apporter la religion chrétienne aux multitudes humaines qui devaient sans doute l’habiter.
Le soutien pontifical et l’espérance de nouvelles découvertes au sud-ouest des îles Salomon amenèrent les ministres de Philippe III a accepter le principe d’une nouvelle expédition. Trois navires quittèrent Callao en décembre 1605. Plusieurs îles de l’archipel des Touamotou furent reconnues à partir du mois de février suivant, et une terre importante fut atteinte au mois d’avril ; on la baptisa Tierra Austrialia del Espiritu Santo, et elle apparut alors comme l’île la plus importante de l’archipel des Nouvelles-Hébrides.
Cette découverte ne correspondait certes pas à l’attente de Queiros, mais ce partisan inconditionnel du continent austral dut s’en contenter et finit par rentrer bredouille à Acapulco. Les Espagnols se désintéressèrent alors de la question. Les Hollandais les remplacèrent désormais dans la quête de la Terra australis incognita. Schouten et Lemaire avaient franchi le cap Horn et repoussé vers le sud les limites de 1’Amérique, mais ils avaient aperçu l’île des États qui ne pouvait être qu’une partie, selon eux, du continent austral.
Au même moment, des découvertes plus importantes encore étaient réalisées par leurs compatriotes installés a Batavia. Willem Janszoon avait longé les côtes nord de l’Australie, ou Nouvelle-Hollande, et, sur l’ordre du gouverneur Van Diemen, le capitaine Abel Janszoon Tasman fit le tour du grand continent du Sud, reconnaissant la terre de Van Diemen (appelée aujourd’hui Tasmanie), ainsi que les côtes septentrionales de la Nouvelle-Zélande en laquelle il vit un simple prolongement de l’île des États.
Le XVIIè siècle ne vit pas d’autres découvertes importantes et la question du continent austral n’était toujours pas réglée à l’orée du XVIIIe siècle : la Terra australis d’Abraham Ortelius demeurait toujours aussi crédible et de nombreux géographes continuaient à faire leurs les propos du célèbre cartographe flamand Mercator : « … Puisque l’Asie, 1’Europe, 1’Afrique sont en partie situées au nord de l’équateur. I1 doit y avoir sous le pôle antarctique un continent tellement grand qu’avec les parties sud de 1’Asie, des Nouvelles-Indes ou Amérique, il devrait peser un poids égal à celui des autres terres… »
En 1721, le Hollandais Jacob Roggeveen fut chargé par la Compagnie des Indes occidentales d’entreprendre de nouvelles recherches dans les mers du Sud. Après avoir franchi le détroit de Lemaire et atteint les Shetland du Sud, les navires s’engagèrent dans le Pacifique et découvrirent, en avril 1722, l’île de Pâque et les statues étonnantes qui y ont été dressées dans un but qui demeure encore aujourd’hui des plus mystérieux. Roggeveen perdit ensuite l’un de ses navires sur un récif des Tuamotu, puis regagna Batavia par les îles Salomon, la Nouvelle-Bretagne et la Nouvelle-Guinée sans avoir aperçu la nouvelle terre tant convoitée.
La fin de la guerre de Sept Ans amena les marins français et britanniques a explorer systématiquement ces régions encore inconnues du globe. Byron, Wallis et Carteret n’eurent guère plus de succès que Roggeveen, même si Wallis découvrit Tahiti, où il fut magnifiquement reçu, alors que Carteret reconnaissait les îles Sandwich (aujourd’hui ‘archipel des Hawaii), déjà aperçues, deux siècles plus tôt, par l’explorateur espagnol Juan Gaetano. L’opinion européenne se passionne alors pour le continent austral. Le président De Brosses a publié en 1756 son Histoire des navigations aux terres australes, suivie en 1764 par le Compte rendu des découvertes réalisées dans le Pacifique sud de l’Ecossais Alexander Dalrymple. On rappelait le voyage de Paulmier de Gonneville à la terre des Perroquets, deux siècles et demi plus tôt. Pour le président De Brosses, « il y avait là un continent dont le centre est au pôle, qui projette vers le nord les caps et promontoires que tant de voyageurs ont vus… »
Une telle affirmation ne fut guère renforcée par les voyages que réalisèrent dans les mers du Sud Surville et Bougainville. Dufresne ne découvrit, au sud du Cap, que les îles du Prince-Édouard, Marion et Crozet avant de partir vers l’est jusqu’en Tasmanie et en Nouvelle-Zélande, où il sera massacré et mangé par les Maoris.
En 1772, le Breton Kerguelen découvre les îles qui portent aujourd’hui son nom, mais ne peut y débarquer. Le gouverneur de l’île de France, trop optimiste imagine déjà qu’il s’agit d’un pays de cocagne jouissant d’un climat des plus tempérés, sans doute peuplé et cultivé. La réalité sera bien plus décevante et le pauvre Kerguelen devra en convenir au retour de son deuxième voyage. I1 fallait se rendre à l’évidence : il n’y avait pas de terre habitable aux latitudes correspondant à celles de 1’Europe dans l’hémisphère austral. Les voyages du grand découvreur que fut James Cook devaient bientôt confirmer l’inexistence de l’immense Terra australis à laquelle avaient rêvé, pendant plusieurs siècles, géographes et cartographes. Le premier voyage permit de reconnaître les îles de la Société, la Nouvelle-Zélande dans son ensemble et la côte orientale de 1’Australie. Le deuxième voyage permit de s’avancer jusqu’à 67° de latitude au sud du Cap, en un point où l’expédition fut arrêtée par les glaces ; le retour s’effectua par la Nouvelle-Zélande, Tahiti et les Tonga. Une autre tentative lancée vers le sud à partir de la Nouvelle-Zélande fut elle aussi tenue en échec par la barrière des glaces.
Un nouveau retour vers la Nouvelle-Zélande, via l’île de Pâques, et une nouvelle poussée vers le sud ne donnent toujours aucun résultat et l’on peut considérer que le deuxième voyage de Cook sonna définitivement le glas du continent austral : il était exclu en tout cas que ce dernier pût se trouver dans la zone tempérée de l’hémisphère Sud et ses dimensions ne pouvaient en aucun cas être celles auxquelles on avait songé précédemment. Le continent antarctique dont le grand navigateur anglais avait deviné l’existence ne pouvait en tout cas être confondu avec la Terra australis d’Abraham Ortelius et avec les vastes contrées imaginées par le président De Brosses ou Alexander Dalrymple.
A défaut d’un continent dont l’existence pouvait être vérifiée quelque part dans les latitudes moyennes de l’hémisphère Sud, certains esprits imaginèrent alors qu’il avait été englouti à la suite d’une catastrophe naturelle. Dès 1778, un compagnon de Cook, le théologien Johann Reinhold Forster, affirmait dans ses Observations que les îles hautes de la Polynésie sont les restes d’un continent submergé, qui anciennement aurait communiqué avec 1’Asie et en aurait alors tiré sa population; ce continent aurait disparu en s’affaissant.
Dans son Mémoire sur les îles du Grand Océan de 1834, Dumont d’Urville suppose « qu’un continent ou une grande île comme 1’Australie dut jadis occuper une partie de l’Océanie habitée par un peuple dont les tribus polynésiennes ne sont que des débris échappés à quelque grande convulsion du globe ». A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreux auteurs évoquent l’Océanide, sœur lointaine de 1’Atlantide de Platon, engloutie comme elle sous les eaux marines. Cette hypothèse est cependant loin de faire l’unanimité et de nombreux savants, notamment des géologues, affirment qu’il n’existe aucune preuve permettant d’imaginer un tel cataclysme. En 1934, l’un des compagnons d’Alfred Métraux, lors d’une expédition à l’île de Pâques, peut écrire que rien ne permet d’avancer « que l’île de Pâques ait été jadis beaucoup plus grande qu’elle n’est aujourd’hui, ou qu’un archipel situé dans ses environs ait disparu. L’hypothèse d’un continent Pacifique, d’une Lémurie, sœur de 1’Atlantide, doit être définitivement écartée… »
Cette vue des choses est peut-être excessive et certains géophysiciens sont aujourd’hui plus nuancés. Le Pacifique a connu, c’est incontestable, d’importants bouleversements géologiques : la ceinture de feu qui l’entoure en demeure le témoignage le plus évident. Mais ceux-ci remontent à l’ère tertiaire, à plusieurs dizaines de millions d’années, c’est-à-dire à des époques beaucoup trop reculées pour avoir connu la présence humaine.
Les tenants de l’existence du continent Pacifique entreprirent une approche toute différente du problème et préférèrent fonder leurs théories sur l’interprétation de certains documents et de certaines traditions, négligeant un peu, il faut le reconnaître, les réalités géologiques. Celui que l’on considère a juste titre comme le pionnier de toutes les recherches relatives à Mu, puisque c’est ce nom qui aurait désigné la terre australe originelle, est le colonel James Churchward, auteur de cinq ouvrages consacrés a cette question : The lost continent of Mu (1926), The children of Mu (1931), The sacred symbols of Mu (1933), The Cosmic Forces of Mu (1934) et The Second Book of the Cosmic Forces of Mu (1935).
La biographie de ce curieux personnage est assez mal connue et l’on demeure obligé le plus souvent de s’en remettre a ce qu’il nous dit de lui-même dans ses livres. Né en 1850, il mourut en 1936. Officier de l’armée des Indes, sans qu’il soit possible d’affirmer s’il ne s’est pas attribué lui-même ultérieurement le grade de colonel, il rencontra en 1874 un grand prêtre indigène qui lui fit découvrir, à travers certaines tablettes anciennes, l’existence passée du continent de Mu. I1 participa ensuite à une expédition au Tibet et, un peu plus tard, a une autre entreprise de cet ordre en Mongolie et en Sibérie.
Après avoir passé trente ans dans l’armée des Indes, il continua à parcourir le continent asiatique et voyagea également en Amérique centrale et dans le Pacifique, avant de se retirer aux Etats-Unis, où il mourut a l’âge de quatre-vingt-six ans. Selon Churchward, c’est à l’occasion d’une famine qui ravagea 1’Inde, en 1874, qu’il fit la connaissance de celui qui allait l’amener à s’intéresser à Mu. I1 nous rapporte qu’ « il s’intéressait beaucoup a l’archéologie et aux anciens écrits et qu’il était plus savant en ce domaine qu’aucun autre homme vivant. Quand il vit un jour que j’essayais de déchiffrer un curieux bas-relief, il s’intéressa à moi, et ce fut une des plus sincères amitiés que j’eus le bonheur de connaître. I1 me montra comment résoudre le mystère de ce bas-relief et proposa de me donner des leçons qui me permettraient de m’attaquer à un travail plus ardu »
Le grand prêtre en question allait apprendre au jeune officier, dont l’intérêt pour l’archéologie avait attiré son attention, la langue « originelle » de l’humanité, comprise seulement par lui-même et deux autres grands initiés, derniers représentants d’une secte, les Naacals, dont l’origine aurait été contemporaine de l’engloutissement de Mu. Après deux années de travail qui lui permirent de déchiffrer un certain nombre d’inscriptions mystérieuses retrouvées sur les parois de certains temples, le jeune Churchward eut l’extrême privilège d’être amené à contempler des tablettes sacrées qui, selon son maître, avaient été apportées de Birmanie, où elles auraient été écrites par les Naacals, héritiers des anciennes connaissances muennes.
Ces documents exceptionnels racontaient la création de la Terre et de l’Homme et évoquaient le continent originel où était apparu ce dernier : ce vaste monde, situé en plein cœur de l’océan Pacifique, avait été englouti douze mille ans plus tôt, a la suite d’un gigantesque cataclysme marqué par des séismes, des raz de marée et des éruptions volcaniques.
Cette révélation devait désormais orienter de manière définitive la vie et les recherches de Churchward, qui s’efforça de retrouver sur toute la surface du globe les documents ou les vestiges permettant de confirmer ce que rapportaient les tablettes qui lui avaient été ainsi présentées.
Churchward avait-il vraiment renoué avec une civilisation oubliée ? Après lui, d’autres chercheurs allaient tenter d’étayer ses hypothèses sur l’existence de Mu…
Avant les révélations sur Mu faites au colonel Churchward par le grand prêtre naacal, un autre chercheur, l’abbé Charles Étienne Brasseur de Bourbourg, éminent spécialiste de 1’Amérique centrale, avait eu connaissance de l’existence de Mu et avait même été le premier qui en ait repéré le nom. Après avoir découvert la Relrrrion du Yucatan de l’évêque espagnol Diego de Landa a la bibliothèque de 1’Académie historique de Madrid, cet auteur s’était attaqué a la traduction d’un document maya appelé le Codex Troano, dans lequel se trouvait également évoqué le cataclysme qui avait englouti le continent de Mu, dont le nom apparaissait pour la première fois sans que l’on puisse affirmer si c’était bien celui que lui donnaient ses habitants.
L’américaniste Le Plongeon traduisit de nouveau ce texte et confirma les données apportées par Brasseur en précisant que 64 millions d’habitants avaient péri lors de la grande catastrophe. De nouvelles découvertes permirent de compléter bientôt ces premières données, ainsi que nous l’explique Churchward : « Toutes mes affirmations sont fondées sur la traduction de deux séries de tablettes anciennes. I1 y a les tablettes naacales, découvertes par moi il y a de nombreuses années aux Indes, et une importante collection de tablettes en pierre, plus de deux mille cinq cents, découvertes récemment au Mexique par William Niven. Ces deux séries de tablettes ont la même origine. Car chaque série est composée d’extraits des écritures inspirées et sacrées de Mu… »
Churchward rencontra en effet Niven, qui avait découvert en 1924 cet ensemble impressionnant de tablettes, dont l’écriture rappelait celle des documents naacals consultés aux Indes. I1 put traduire ces textes, très différents de tout ce qui avait été trouvé jusque là en Amérique centrale, et obtint ainsi de nouveaux renseignements relatifs à l’histoire et a la disparition de Mu. Les affirmations de Churchward ont fait l’objet de très vives réserves, principalement dues au fait qu’il demeure très évasif quant à l’origine de ses sources. Nul ne sait de quel temple il a tiré les fameuses tablettes naacales et il reste très imprécis quand il évoque son voyage au Tibet occidental, au cours duquel des lamas lui auraient présenté une carte de l’ancien continent de Mu, dont il évalue l’âge à vingt mille ans…
Ces critiques ne doivent pas remettre automatiquement en question l’ensemble de son travail; la découverte, en 1959, de rouleaux de papyrus remontant a près de vingt mille ans sur le site fouillé jadis par Niven vint confirmer, vingt-trois ans après la mort du pionnier, les intuitions qu’il avait eues à propos de Mu, baptisé Muror sur ces nouveaux documents ; la traduction de ces rouleaux ne fut terminée qu’en 1964. Due au professeur R. Hurdlop, cette découverte exceptionnelle peut être comparée, pour son importance, à celle des manuscrits de la mer Morte, dans la mesure où elle va permettre de jeter un regard complètement nouveau sur les origines de l’ancien Mexique et sur ses rapports avec les « Terres de l’Ouest », dont il est très clairement question dans ces nouveaux documents. L’étude des diverses sources auxquelles il avait pu avoir accès avait amené Churchward à un certain nombre de conclusions très précises quant a ce qu’avait été Mu. Ce continent s’étendait sur 5 000 km du nord au sud, depuis les Hawaii, qui marquent encore aujourd’hui son extrémité septentrionale, jusqu’à une ligne joignant l’île de Pâques aux îles Fidji. D’est en ouest, il s’étendait sur 8 000 km : il était formé de trois terres séparées par d’étroits chenaux, selon la carte étudiée au Tibet.
Ce vaste ensemble se présentait comme une immense plaine vallonnée au climat tropical et a la végétation luxuriante. Ce paradis originel était fertile et propice à toutes les cultures. Des villes importantes regroupaient une population nombreuse, évaluée à plus de 60 millions d’habitants au moment de la catastrophe. Mu était véritablement le centre de toute civilisation et les autres foyers de culture n’étaient que ses colonies.
Les habitants étaient divisés en dix tribus et se consacraient à l’agriculture, à la navigation et au commerce. Tous adoraient le Soleil et croyaient a l’immortalité de l’âme. Le peuple dominant était de race blanche, avec des yeux sombres et des cheveux noirs. L’hégémonie qu’il exerçait sur les autres peuples noirs ou jaunes était des plus bienveillantes, sauvagerie et violence étant bien sûr absentes de cet éden enchanteur.
C’est ce magnifique ensemble, porteur de la civilisation la plus ancienne qu’ai connue notre planète, qui fut rayé de la carte du monde par une série d’éruptions volcaniques et de raz de marée gigantesques, lesquels firent de ce vaste continent la poussière d’archipels que l’on rencontre aujourd’hui au cœur de l’immensité du Pacifique.
Routes, cités et temples furent engloutis dans les profondeurs, et les rares rescapés, incapables de survivre dans un état de sauvagerie à peu prés total, réduits au cannibalisme, disparurent rapidement, sans pouvoir s’adapter a de nouvelles conditions de vie, par trop différentes de celles que leur avait garanties pendant des millénaires une civilisation supérieure.
Le souvenir du continent disparu se perdit ainsi progressivement, et seules quelques populations qui avaient été en contact avec lui purent transmettre, par l’intermédiaire de sectes d’initiés telles que celle des Naacals, les traditions et le langage de la civilisation muenne. De nombreux textes, surtout dans l’aire de la civilisation mexicaine précolombienne, semblent confirmer ce scénario effrayant, et Churchward ainsi que Louis-Claude Vincent, son continuateur actuel, les ont soigneusement recensés, mais il est toujours possible de donner une interprétation purement symbolique de telle ou telle description d’une catastrophe. Il va de soi que la découverte de vestiges archéologiques présente plus de crédibilité et peut conforter solidement les assertions des tenants de l’existence passée de Mu.
De nombreuses ruines viennent confirmer, à travers les îles du Pacifique, la floraison passée d’une haute civilisation. Les statues de l’île de Pâques constituent sans conteste les vestiges les plus connus et les plus spectaculaires : elles sont au nombre de cinq cent cinquante, constructions cyclopéennes dont l’origine demeure aujourd’hui inexpliquée malgré les tentatives faites en ce sens par les savants officiels depuis plusieurs décennies.
Ces constructions colossales ne sont pas les seules qui aient été reconnues sur ce modeste îlot de 118 km2 : un grand temple et des terrasses de pierre imposantes traduisent l’importance d’une activité que l’on ne peut sérieusement attribuer aux Pascuans, découverts par Roggeveen au XVIIIe siècle. Plusieurs tablettes qui ont été déchiffrées révèlent que « quand cette île a été créée et a été connue de nos ancêtres, la terre était traversée de belles routes pavées de pierres plates. Ces pierres étaient si parfaitement jointes et posées qu’on ne voyait pas les bords… » et, par ailleurs, que « cette petite île faisait partie jadis d’un vaste continent traversé par des routes merveilleusement pavées de belles pierres plates ».
Dans l’archipel Cook, on trouve sur les îles Rarotonga et Mangaia des vestiges de routes, sur des terres où ne se trouve aucune carrière de pierre, ce qui implique que les matériaux utilisés sont venus d’ailleurs. Un autre vestige étonnant est le portique de pierre de Tongatabu, simple atoll corallien, où la pierre est naturellement absente et où nous trouvons un monument formé de trois monolithes imposants, pesant respectivement 70 t pour les deux premiers et 25 t pour celui qui est posé dessus.
Ces pierres ne peuvent venir que d’un point se trouvant à plus de 200 milles, et ce que nous savons des navigations polynésiennes exclut que l’on puisse imaginer un transport de ce type sur de pareilles distances… Les îles Carolines sont particulièrement riches sur le plan archéologique et il est troublant que les tablettes naacales aient justement situé dans leurs parages les premières approches du territoire muen. Le temple de Panape constitue l’ensemble le plus remarquable par ses dimensions et par l’importance des infrastructures telles que routes ou canaux, dont les vestiges sont visibles autour. Par leurs dimensions, les ruines de Panape apparaissent comme celles de l’une des sept capitales auxquelles font allusion les textes relatifs à Mu.
Les ruines de Kusai sont de dimensions comparables, et les traditions indigènes évoquent très clairement le passé du « peuple très puissant » qui vivait là jadis. Les ruines cyclopéennes de l’île de Lélé ne sont pas moins impressionnantes. De nombreuses pyramides de pierre, dont l’usage demeure un mystère, ont été découvertes dans les îles Gilbert et Marshall. De hautes colonnes sont les monuments les plus fréquemment répandus dans les Mariannes, à Guam et Tinian notamment.
D’autres ruines sont visibles dans l’archipel des Hawaii et dans celui des Marquises, alors que diverses traditions orales montrent que le souvenir du continent perdu persistait également chez les Maoris de Nouvelle- Zélande; de la même manière, Churchward pense que certaines peintures rupestres australiennes, qui traduisent un degré d’évolution culturelle déjà élevé, ne peuvent être attribuées aux aborigènes très primitifs qui peuplaient la grande île lors de l’arrivée des Européens. Tous ces éléments ont amené Churchward, mais aussi de nombreux ethnologues qui sont loin de le suivre dans toutes ses conclusions, a penser qu’il avait existé une civilisation océanienne unique dont tous ces vestiges témoignent encore aujourd’hui.
Si l’on admet l’existence de l’ancien continent qui occupait le centre de l’océan Pacifique, il convient d’apporter une réponse à la question que pose sa brutale disparition. L’un des spécialistes de 1’Atlantide, le colonel A. Braghine, a formulé l’hypothèse selon laquelle un corps céleste vint frapper la Terre dans le Pacifique il y a environ douze mille ans, ce qui aurait entraîné des bouleversements géologiques considérables et déplacé l’axe de notre planète. On sait l’importance des chutes de météorites survenues a l’époque historique : le cratère de Coon Butte, en Arizona, à 1200 m de diamètre, la météorite qui s’est abattue en 1908 dans la taïga de la Toungouska a tout calciné dans un rayon de 20 km autour de son point d’impact et, dans la mesure où de nombreuses sources antiques, notamment égyptiennes et précolombiennes, évoquent un cataclysme de ce type, on peut imaginer qu’il a pu se produire et entraîner la disparition de Mu, la patrie originelle de l’Humanité.
La ceinture de feu qui entoure le Pacifique ne serait que la gigantesque cicatrice marquant les limites de la formidable collision remontant à douze mille ans. Le débat demeure ouvert quant à la réalité historique de Mu : si celle-ci est admise, on imagine le nombre de questions auxquelles il faudra alors répondre ! Les éléments disponibles sont moins nombreux que ceux qui militent en faveur de la réalité de 1’Atlantide. Mais il reste sans doute beaucoup a découvrir dans les archipels des mers du Sud…