Esprit, es-tu là?
Dans le film Interférences (White Noise), sorti sur les écrans en 2005, Michael Keaton interprète Jonathan Rivers, un architecte bouleversé par la mort de sa femme. Son obsession l’entraîne dans un univers étrange où, finalement, grâce à la technique dite des EVP, il pourra reprendre contact avec sa tendre moitié… mais à quel prix?
L’idée d’entrer en communication avec les morts n’est pas nouvelle. Au milieu du xixe siècle, le mouvement spirite s’est répandu comme une traînée de poudre après que deux fillettes de Hydesville, dans l’État de New York, eurent affirmé pouvoir communiquer avec un défunt en utilisant un code sonore: un coup pour «oui» et deux coups pour «non». Du jour au lendemain, des milliers de gens leur ont emboîté le pas en se déclarant à leur tour capables de communiquer avec les morts.
Le spiritisme a bientôt gagné l’Europe, où il s’est hissé au rang d’activité bourgeoise. Au début du xxe siècle, le célèbre inventeur américain Thomas Edison aurait tenté de mettre au point un appareil capable d’enregistrer les voix de l’au-delà, sans succès. En 1937, Guglielmo Marconi aurait entrepris un projet similaire… avec les mêmes résultats. Mais l’au-delà était tout près! En 1959, Friedrich Jurgenson s’est rendu dans la forêt près de Molbo, en Suède, pour y enregistrer des chants d’oiseaux. En réécoutant la bande, il a entendu des voix inconnues. Comme il était seul au moment des enregistrements, l’ornithologue en herbe a conclu qu’il s’agissait de sons parasitaires provenant d’une station de radio locale. Il s’est assuré que son équipement n’était pas défectueux et a recommencé l’expérience. Là encore, il a capté des voix lointaines, dont l’une semblait être celle de sa défunte mère. «Friedel, mon petit Friedel, m’entends-tu?» demandait cette voix maternelle. Pour Jurgenson, il ne pouvait s’agir que d’une manifestation de l’au-delà. Intrigué, il s’est bientôt lancé dans toute une série d’expérimentations pour enregistrer ces voix d’outre-tombe5. Ce faisant, il a ouvert la voie à une nouvelle technique de communication avec l’au-delà: la transcommunication ou TCI (transcommunication instrumentale).
Jurgenson n’a pas tardé à faire des émules. Le docteur Konstantin Raudive, un psychologue suédois d’origine lettone, s’est rapidement imposé comme l’expert de ces voix spectrales désignées par le sigle EVP (Electric Voice Phenomenon) ou appelées «voix de Raudive». Il a fait fabriquer des appareils de plus en plus sophistiqués pour s’assurer que ce qu’il enregistrait n’était pas des sons parasitaires. En 1971, il a organisé deux expériences menées sous un contrôle rigoureux. En seulement dix-huit minutes, il a enregistré deux cents voix, dont plus d’une trentaine étaient claires et parfaitement intelligibles. À sa mort, en 1974, Raudive avait enregistré près de 100000 messages de l’au-delà.
Et à l’audio s’est ajoutée la vidéo…
Au début des années 1970, des expérimentateurs d’EVP ont tenté d’obtenir des vidéos de l’au-delà en enregistrant l’écran d’un téléviseur allumé sur une chaîne ne recevant aucun signal. Et cela a fonctionné! En visionnant la bande, ils ont été étonnés d’y découvrir – comme des flashs – des images qui n’auraient pas dû être là. Quoique la plupart étaient trop floues pour être interprétées, d’autres étaient toutefois assez claires pour qu’on y reconnaisse des formes, voire des individus.
Mais la question que tous se posent depuis l’avènement de ces techniques de transcommunication instrumentale est la suivante: s’agit-il vraiment de voix et d’images de l’au-delà?
La perspective d’un au-delà me fascine. Après la «rencontre d’un drôle de type» que j’ai faite en 1976, le premier ouvrage que j’ai lu sur les phénomènes paranormaux était un livre sur les revenants intitulé Les Chevaux du diable. L’auteur, Warren Armstrong, y rapporte une kyrielle d’anecdotes terrifiantes qu’il présente comme authentiques. À l’époque, jeune adolescent, j’acceptais ce genre de récits sans les remettre en question. Et comme la couverture certifiait qu’il s’agissait d’«histoires vraies de fantômes», pourquoi en douter? Avec le temps, je suis devenu beaucoup plus critique. A-t-on la moindre preuve de l’existence de cet au-delà? Les communications spirites sont-elles, comme l’affirment certains, une preuve décisive de cet ailleurs?
Pour les amateurs de paranormal, l’extraordinaire se vit souvent à travers les expériences d’autrui. Rien d’étonnant à cela: après tout, les manifestations de fantômes, d’ovnis ou de monstres ne se produisent pas sur demande. C’est donc par le biais de témoignages que les férus d’insolite peuvent flirter avec le fantastique. Ces expériences par procuration permettent à tout un chacun d’approcher le paranormal, à défaut de le rencontrer. Mais peut-on aller plus loin? Peut-on forcer l’inexplicable? A priori, je dirais que pour les extraterrestres et les monstres, les perspectives sont plutôt limitées. Certes, quelques illuminés nous proposent de contacter les extraterrestres avec une lampe de poche, mais je crains que mes piles s’épuisent avant que la lumière n’atteigne Alpha du Centaure. D’autres «experts» du même acabit suggèrent d’utiliser un parfum à base d’urine de moufette pour attirer le sasquatch (l’abominable homme des bois d’Amérique). Mais au-delà de l’agression contre mon odorat, j’ai peur de ne susciter que les envies d’un ours en rut! En revanche, l’univers des défunts m’apparaît davantage à notre portée. Qui plus est, il existe une foule d’expériences faciles et moins dangereuses pour titiller l’au-delà, si au-delà il y a, bien sûr.
L’une d’elles est le fameux ouija. Cette planchette de communication a été mise au point aux États-Unis à la fin du xixe siècle à partir de nombreux modèles déjà en vogue dans les milieux spirites. Il s’agit d’une ardoise sur laquelle figurent les vingt-six lettres de l’alphabet réparties en deux arcs superposés. Sous ces arcs se trouvent les chiffres de 0 à 9 et l’expression «Good Bye». Dans le coin supérieur gauche, on lit le mot «Yes» et, dans le coin opposé, le mot «No». D’après ses créateurs, E.C. Reiche, Elijah Bond et Charles Kennard, ouija serait une juxtaposition du mot «oui» en français et en allemand. Depuis sa commercialisation, en 1890, le ouija est devenu le moyen de communication par excellence pour contacter l’au-delà. Le principal avantage de cet outil – du moins à en croire le fabricant –, c’est que les participants n’ont pas besoin d’être médiums ou sensitifs pour l’utiliser. Mais quelle est au juste la valeur de cet outil?
Adolescent, j’avais une amie qui possédait un ouija et était persuadée de son efficacité. Elle disait l’avoir utilisé pour communiquer avec son défunt grand-père et une de ses copines décédée dans un accident de voiture. Je lui ai proposé de faire une petite séance, mais en y ajoutant des mesures de contrôle. Quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvés chez elle et avons entamé ce qui serait ma première expérience empirique – et volontaire – avec le paranormal. Comment se déroule une séance? Selon le fabricant (Parker), il doit y avoir deux participants: ils s’assoient face à face en plaçant la planchette sur leurs genoux, puis posent leurs doigts sur le mobile, cette pièce en forme de goutte d’eau que les esprits doivent déplacer sur la planchette, en appuyant très légèrement sur la surface. Après dix ou quinze minutes, nous avons commencé à sentir le mobile vibrer sous nos doigts. Nous avons alors posé la question d’usage: «Esprit, es-tu là?» Après une réponse affirmative (l’inverse aurait d’ailleurs été suspect), nous avons commencé à l’interroger. Selon que nous communiquerions avec un défunt connu de l’un d’entre nous ou avec un esprit inconnu, nous avions préparé deux types de questions. Dans le premier cas, il s’agissait de questions simples pour lesquelles nous pourrions vérifier les réponses auprès de ses proches (le nom d’un amour de jeunesse, de son professeur de géographie en cinquième année, etc.). Dans le second, c’était des questions auxquelles je savais qu’aucune des personnes présentes (tant les joueurs que les observateurs) ne connaissait la réponse. Le cas échéant, les réponses pourraient être validées en consultant un dictionnaire ou une encyclopédie (c’était longtemps avant l’ère d’Internet!). Je me rappelle que l’une de ces questions portait sur les dates de naissance des membres du célèbre duo comique Laurel et Hardy. J’avais aussi glissé, à l’aveugle, trois cartes à jouer dans des enveloppes scellées. Les esprits pourraient-ils répondre correctement à l’une de nos questions? Hélas, non! J’ai renouvelé l’expérience des dizaines de fois au fil des ans, mais elle n’a jamais été concluante. Lors d’une de ces tentatives, j’ai même bandé les yeux des participants. À un moment, je leur ai demandé de lever les bras au-dessus de leur tête pour détendre leurs muscles. J’ai profité de cette courte diversion pour remplacer la planchette par une simple ardoise recouverte de mélamine. Lorsqu’ils ont remis leurs mains sur le mobile, que j’avais discrètement replacé sur ce plateau fantoche, celui-ci a repris ses mouvements, en se déplaçant selon les lettres du ouija… qui n’était pourtant plus là. Les esprits étaient devenus aussi aveugles que mes participants.
Mais alors, si ce ne sont pas des esprits, qu’est-ce qui déplace le mobile du ouija? S’il suit les instructions données par le fabricant, il y a de fortes chances que tout utilisateur obtienne des résultats plus ou moins convaincants. Après quelques minutes d’attente, il aura réellement l’impression que des forces étrangères font bouger le mobile. Mais est-ce le cas? J’en doute! En se positionnant comme le suggère le fabricant, les participants adoptent une posture inhabituelle. Ils doivent placer leurs doigts sur le mobile et y exercer une pression tout en luttant contre la force de la gravité. À la longue, cette retenue entraîne des micro-contractions inconscientes des muscles, qui se saturent d’acide lactique, d’où les mouvements sur la planchette. Les réponses, comme me l’ont prouvé mes expériences, sont davantage le reflet des attentes des participants que d’authentiques révélations d’outre-tombe. Cela dit, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et conclure que les communications spirites sont toutes à mettre au panier… mais la prudence reste de mise.
Ce qui me dérange le plus dans ces supposés échanges spirites, c’est leur côté superficiel. On a l’impression que les défunts cherchent plus à rassurer les vivants qu’à nous renseigner sur cet au-delà pourtant si mystérieux. Les discours sont souvent racoleurs, insipides et mielleux; on les croirait sortis d’un mauvais roman Harlequin. Dans la majorité des cas, ils sont tellement vagues qu’ils pourraient s’adresser à n’importe qui: vous, moi ou M. Tartempion. Pour blaguer, je répète que si l’on ne devait retenir que les communications enregistrées dans des conditions rigoureuses et révélant des informations qualitatives et vérifiables (informations qui étaient inconnues des participants lors de la séance), elles tiendraient dans un feuillet paroissial. Heureusement, il y a des exceptions pour entretenir le doute… ou l’espoir.
Le 7 octobre 1930, deux jours après l’écrasement à Beauvais (France) du dirigeable britannique R101, une séance s’est tenue à Londres. Le médium, Eileen J. Garrett, une Irlandaise encore peu connue des milieux spirites, souhaitait s’entretenir avec l’esprit du romancier anglais Arthur Conan Doyle décédé trois mois plus tôt, le 7 juillet 1930. Mais, à la place du père de Sherlock Holmes, lui-même farouche défenseur du spiritisme, c’est un certain H. Carmichael Irwin, le capitaine du R101, qui s’est manifesté. Parlant par la bouche du médium, l’officier a raconté avec moult détails les circonstances qui avaient précipité dans la mort 48 des 54 passagers du dirigeable. Un journaliste présent à la séance a publié dès le lendemain un compte rendu des propos d’outre-tombe du capitaine Irwin. La plupart de ces révélations ont été confirmées les jours suivants par la publication du rapport de la commission d’enquête britannique sur la catastrophe. La probabilité qu’Eileen J. Garrett ait pu connaître ces détails avant la publication du rapport officiel est à peu près nulle.
Ce qui rend cette histoire intéressante, ce sont les circonstances exceptionnelles de la communication. Le groupe, composé de plusieurs témoins, dont Harry Price, le plus célèbre chasseur de fantômes de son époque , était réuni pour communiquer avec Conan Doyle, et voilà que, en lieu et place, se présente ce capitaine Irwin. Les propos du médium ont été enregistrés sur le vif par un observateur étranger au monde du spiritisme et de surcroît sceptique, le journaliste Ian Coster10. Enfin, les informations d’Eileen J. Garrett, qui avait déjà eu des visions prémonitoires de la tragédie du R101, ont été confirmées par les investigations du ministère de l’Air.
Si les communications de ce genre restent exceptionnelles (elles pourraient toutes tenir dans mon feuillet paroissial), elles surviennent néanmoins à l’occasion et me forcent à garder l’esprit ouvert. En revanche, je n’ai jamais eu connaissance d’un tel échange «qualitatif» parmi les non-médiums utilisant le ouija. Il y a toujours un élément manquant, quelque chose qui cloche. Ou l’information est trop vague, ou elle est trop sujette à interprétation. Pourquoi? Peut-être parce que le ouija n’est que de la quincaillerie sans intérêt. Le véritable «téléphone» avec l’au-delà – en admettant qu’il existe – n’est peut-être pas la planchette, mais le médium lui-même… Et si c’est le cas, ce que je crois, le ouija n’est finalement qu’un leurre, un attrape-nigaud. Or, comme je ne suis pas médium – et pas trop nigaud, du moins j’ose le croire –, je me suis résolu à passer à autre chose… Et pourquoi pas la transcommunication?
Beaucoup de cinéphiles ont découvert le phénomène des EVP avec le film Interférences. Ce phénomène continue de faire l’objet d’expériences et d’être étudié par des groupes de chercheurs à travers le monde. Aux États-Unis, l’American Association of Electric Voice Phenomena regroupe des centaines de personnes qui s’adonnent à des activités de ce genre. De fait, enregistrer des EVP est à la portée de tous. Il suffit de mettre en marche un système d’enregistrement dans une pièce silencieuse et de poser à voix haute quelques questions pertinentes. Cela fait, l’expérimentateur n’a plus qu’à écouter la bande en prêtant une attention particulière aux bruits de fond parasitaires. Il est bon de préciser que les esprits ne parlent pas nécessairement de manière posée, à la Bernard Derome, mais que leurs voix sont plutôt nasillardes et leur débit, accéléré. Et c’est souvent là que le bât blesse…
Au fil des ans, j’ai personnellement enquêté sur des dizaines d’histoires de maisons hantées. Dans les cas où les témoins rapportaient des phénomènes physiques (portes s’ouvrant toutes seules, bruits de pas dans les escaliers, meubles se déplaçant, etc.), il m’est arrivé d’installer des dispositifs électroniques pour enregistrer ces manifestations. À quelques reprises, j’ai capté des choses intéressantes. En 1991, à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie, j’ai filmé des portes d’armoires qui s’ouvraient toutes seules. C’était vraiment très impressionnant. Les enregistrements audio ont parfois révélé des sons inexpliqués, comme des murmures, mais toujours très lointains et indistincts. Même si plusieurs m’ont laissé songeur, je n’ai jamais été entièrement convaincu de l’origine spectrale de ces EVP.
Les enregistrements sont souvent de mauvaise qualité et les messages, incomplets. Ils ressemblent davantage à des extraits de phrases telles que «Ils sont là…», «C’est ici…» ou «Je dois regarder…». Quant à leur interprétation, elle est souvent à l’image des attentes de l’expérimentateur. Cette gymnastique auditive n’est pas sans rappeler l’habitude qu’avaient prise certains amateurs de musique rock dans les années 1970: ils faisaient tourner leurs microsillons à l’envers en espérant y découvrir quelque message subliminal. Ce qui pour la plupart des gens n’était qu’un charabia incompréhensible devenait pour ces férus d’occultisme des phrases à caractère ésotérique, voire satanique. À l’instar des messages subliminaux des vieux vinyles, les supposés messages obtenus par la technique des EVP sont souvent le reflet des désirs de l’enquêteur. Bien sûr, il y a des exceptions… et encore: aucun de ces enregistrements n’a jamais été obtenu à l’intérieur d’une cage de Faraday, une sorte d’isoloir plaçant l’expérimentateur à l’abri de toute perturbation électromagnétique. Impossible donc d’avoir la certitude qu’il ne s’agit pas de bruits parasitaires provenant d’une source autre que l’au-delà.
En 1970, David Ellis, un étudiant de l’université de Cambridge, en Angleterre, a reçu une bourse d’études pour enquêter sur les voix mystérieuses enregistrées par Konstantin Raudive. Au terme de son enquête, Ellis est resté perplexe quant à l’origine des voix. Selon lui, une grande partie de ces enregistrements pouvaient en effet provenir de transmissions radio locales captées fortuitement par les équipements de Raudive. Mais toutes les voix, a-t-il admis, ne s’expliquaient pas aussi aisément. Plusieurs répondaient directement aux questions posées par l’expérimentateur, ce qui écartait l’hypothèse des transmissions radio. Dans d’autres cas, la présence de voix superposées – par exemple, cinq personnes parlant en même temps et dans des langues différentes – éliminait la possibilité d’une supercherie orchestrée par un ventriloque.
Hans Bender, un scientifique allemand considéré comme l’un des pères de la parapsychologie, s’est lui aussi intéressé aux enregistrements de voix spectrales. Une fois éliminés les canulars et les possibles interférences radio, Bender a cru jusqu’à sa mort, en 1991, que ces voix étaient authentiques, mais il ne les a jamais associées aux défunts. Pour lui, ces voix étaient des projections télékinétiques: une forme de matérialisation auditive et inconsciente des pensées de l’expérimentateur.
Personnellement, malgré tout le respect que j’ai pour Hans Bender, je ne crois pas que les EVP enregistrés au gré de mes enquêtes aient été des projections télékinétiques. J’aurais plutôt tendance à favoriser l’hypothèse des hallucinations auditives liées au bruit de fond (white noise en anglais) ou celle des transmissions parasitaires provenant de sources terrestres. Mais mes insuccès dans ce domaine ne me prouvent pas, loin de là d’ailleurs, que tous les enregistrements obtenus par d’autres chercheurs soient du même acabit. Après tout, comme le disait l’astronome Carl Sagan: «L’absence de preuve n’est pas forcément la preuve de l’absence.»
En ce qui concerne les images vidéo, la controverse est encore plus grande. Dans le monde francophone, l’un des principaux apôtres des images spectrales est le père François Brune. Depuis un quart de siècle, ce prêtre sulpicien français, à qui l’on doit Les morts nous parlent, s’est fait l’apôtre de toute une série d’images provenant pour la plupart de groupes de chercheurs européens.
À l’été 1989, à Drummondville, j’ai rencontré pour la première fois le père Brune. Il était de passage au Québec, à l’invitation de l’ufologue drummondvillois François Bourbeau, pour y présenter une série de conférences sur la transcommunication. Dans nos conversations, nous avons bien sûr abordé ces histoires de voix et d’images de l’au-delà. Brune était persuadé de leur nature exotique, c’est-à-dire qu’elles étaient bel et bien des projections d’un autre monde. «Assez semblable au nôtre, disait-il, mais à un autre niveau.» C’est vrai que, sur certaines de ces images, on voyait des scènes urbaines avec des pigeons, des chevaux et même des voitures! J’étais plutôt sceptique. En évoquant la source de ces enregistrements, Brune m’a confié qu’il était persuadé de l’honnêteté de ses pourvoyeurs. Il aurait dû être plus prudent.
Parmi les images qu’il a présentées en salle lors d’une conférence au Québec, deux ont retenu l’attention des détracteurs de la transcommunication. Sur la première, on voit la star allemande Romy Schneider, célèbre pour son rôle de l’impératrice Sissi, retrouvée morte le 29 mai 1982 à Paris. Peu de temps après son décès, un transcommunicateur allemand, Klaus Schreiber, a prétendu avoir capté une image de la défunte. Celle-ci s’est mise à circuler dans les cercles intéressés par la TCI pour finalement aboutir dans la collection du père Brune. Peu après, certains détracteurs ont prétendu qu’elle venait en réalité de Max et les ferrailleurs, un film de Claude Sautet réalisé en 1970. Depuis, une analyse aurait démontré que l’image reçue par Schreiber – quoique semblable – était différente des vidéogrammes du film. Le problème avec cette expertise, c’est que l’image de Schreiber est beaucoup trop floue pour permettre une telle affirmation. En visionnant les films tournés par Romy Schneider entre 1966 et 1973, j’ai moi-même retrouvé une demi-douzaine de vidéogrammes à peu près identiques à la supposée image transmise depuis l’au-delà.
L’histoire de la seconde image est plus cocasse. Elle a été fournie au père Brune par son principal pourvoyeur, un groupe d’amateurs nommé Cercle d’études sur la transcommunication du Luxembourg (CETL). On y voit une jeune baigneuse sortant de la mer. Après la diffusion d’un reportage sur le père Brune, dans le cadre de l’émission Caméra 89 (TQS), où apparaissait l’image de cette femme «au corps glorieux», pour reprendre l’expression du père Brune, un résident de Pointe-au-Pic l’a reconnue. Contrairement aux affirmations du sulpicien, il ne s’agissait pas d’une projection de l’au-delà, mais d’un extrait du documentaire The Bikini Story, présenté quelques années plus tôt à Super Écran et, très certainement, aussi sur des chaînes de télévision européennes.
En juin 2008, de passage en France pour y tourner des segments de la série À la recherche des reliques saintes, j’ai retrouvé le père Brune dans son petit appartement parisien. Il était toujours aussi aimable et affable. Nous avons parlé de son livre La Vierge du Mexique, un ouvrage consacré aux apparitions mariales survenues au Mexique en 1531. Puis, de fil en aiguille, nous sommes revenus sur la transcommunication. Brune m’a de nouveau assuré qu’il faisait pleinement confiance à ses sources. Lorsque je lui ai parlé des images de Romy Schneider et de la fille en bikini, il a maladroitement supposé que les défunts s’étaient peut-être amusés à nos dépens. Qui sait?
- À en croire la légende, en 1531, dans la banlieue de Mexico, la Vierge serait apparue à maintes reprises à un autochtone du nom de Juan Diego, le chargeant de convaincre l’évêque d’ériger une église sur les lieux de ses apparitions. En guise de preuve, la sainte Mère aurait «imprimé» son image dans la tilma – une espèce de poncho grossier – du visionnaire. La tilma de Juan Diego est toujours conservée dans la basilique de Notre-Dame-de-Guadalupe, à Mexico. Chaque année, des millions de pèlerins viennent voir la mystérieuse relique.
La communication avec l’au-delà est-elle possible? Pour l’instant, je préfère réserver mon jugement. Mes expériences avec le ouija me laissent penser que, entre les mains de gens n’ayant aucune aptitude de médium, cet outil n’est rien de plus qu’un jeu. Les mouvements du mobile s’expliquent de façon rationnelle, sans avoir à recourir au surnaturel, qui doit toujours être la dernière hypothèse envisagée. Il est vrai que de nombreuses personnes qui n’avaient aucune faculté médiumnique ont prétendu avoir eu des expériences négatives avec le ouija. Que doit-on en penser? Généralement, de telles histoires d’entités malveillantes reposent sur des témoignages; or, à lui seul, un témoignage est fragile. Sans vouloir minimiser ces récits, je pense que ces mauvaises expériences ont plus à voir avec la psychologie des témoins qu’avec de réelles manifestations de l’au-delà. Il ne faut jamais sous-estimer les croyances des témoins: couplées à la mauvaise réputation du jeuVI, elles peuvent les amener à associer à l’utilisation du ouija des incidents a priori inexplicables et désagréables. Mais, bien sûr, je peux me tromper…
Dans le cas des médiums, ce n’est plus sur l’outil que l’on doit s’interroger, mais sur l’utilisateur. Les médiums ont-ils réellement le pouvoir de communiquer avec les défunts? Et que recouvre cette étiquette de médium? À mon sens, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Au gré de mes investigations, et surtout en début de carrière, il m’est arrivé à quelques reprises de faire appel à des médiums. Hélas, j’avais droit à autant de scénarios que de médiums. Tous me racontaient des histoires différentes, le plus souvent invérifiables. Un jour, je me suis même amusé à inviter à tour de rôle six médiums réputés, dont certains avaient écrit des livres du genre «développez vos dons de médium», dans une maison qui n’était pas hantée et où, historique à l’appui, il n’y avait jamais eu d’événements morbides. Devinez quoi? Tous, sans exception, m’ont raconté des histoires épouvantables: meurtres rituels, sacrifices d’enfants, satanisme, suicide, etc. À les écouter, je me suis surpris à penser qu’ils gagneraient plus d’argent en se recyclant comme scénaristes ou romanciers. Bref, les médiums, j’en ai eu ma dose! Si – et je dis bien si – certaines personnes ont réellement ces facultés extraordinaires, je doute qu’elles fassent carrière en faisant passer des petites annonces dans la rubrique «services spécialisés». Si vous vous inquiétez du sort de votre vieille tante disparue, vous pouvez toujours leur donner 50 dollars, mais il y a de grands risques que vous entendiez la voix de l’arnaque plutôt que celle de l’au-delà.
Les enregistrements EVP me semblent plus intéressants. Primo, ils ne passent pas par un intermédiaire tel qu’un médium et, secundo, il subsiste une preuve matérielle du prétendu contact: un enregistrement audio ou vidéo. Le défi consiste à évaluer adéquatement la valeur de cette «preuve». Les sceptiques militants soutiennent que ces enregistrements ne sont que des émissions parasitaires ou qu’ils découlent de l’interprétation abusive qu’en font des transcommunicateurs désireux d’y voir des messages de l’au-delà. L’argument me paraît un peu court. Je n’ai jamais enregistré d’EVP convaincants, mais d’autres chercheurs en qui j’ai entièrement confiance l’ont fait. Par ailleurs, des études menées sur des enregistrements obtenus par des transcommunicateurs (comme ceux de Konstantin Raudive) ont montré que la mystification et les émissions parasitaires n’expliquent pas tout. Les murmures entendus existent bel et bien, et il ne s’agit pas seulement d’artefacts insolites résultant d’une mauvaise utilisation de l’équipement ou de la piètre qualité des enregistrements. La grande question est donc de savoir d’où viennent ces voix. De défunts? de projections télékinétiques involontaires, comme le croyait Hans Bender? de phénomènes acoustiques résiduels inconnus de la science? Je l’ignore. Pour trancher, il faudrait que des chercheurs sérieux se penchent sur cette énigme, sans a priori et avec des ressources suffisantes pour dissiper toute ambiguïté. Mais cela risque de ne demeurer qu’un vœu pieux.
Les gens ont souvent tendance à confondre science et scientifique. Si la science est une méthodologie applicable à la quête de la vérité, la quête du scientifique, elle, a une dimension beaucoup plus pécuniaire: pas d’argent, pas de recherche. Or, les organismes qui investissent dans la recherche scientifique et universitaire sont souvent des multinationales motivées par la promesse de retombées économiques à court ou à moyen terme. Qui le leur reprocherait, quand on sait, par exemple, qu’il faut en moyenne 800 millions de dollars pour développer un nouveau médicament? Dans cette perspective, un illustre inconnu travaillant dans un laboratoire perdu au fin fond du Nunavut s’intéressant à la mousse verte sur les cretons a plus de chances de voir financer ses recherches qu’un prix Nobel proposant une étude sur les EVP, les ovnis, les fantômes ou tout autre phénomène paranormal. Si l’étude des moisissures peut déboucher sur un nouveau médicament et faire sonner la caisse d’un géant pharmaceutique, l’étude de la transcommunication ne pourra, au mieux, qu’apporter des réponses philosophiques sur l’après-vie. Et la philosophie, c’est bien connu, est la science des pauvres.
Source : L’excelent livre de Christian Robert Page – L’enqueteur du Paranormal