A partir de fragments de chair et de peau provenant du thylacine, un marsupial disparu, des chercheurs ont isolé un gène et l’ont rendu fonctionnel en l’intégrant dans un génome de souris. Ce résultat est une première et laisse espérer un nouveau moyen d’étudier des espèces récemment éteintes, ainsi qu’une meilleure connaissance des mécanismes de l’évolution.
Le but de Andrew J. Pask, Richard R. Behringer (université du Texas) et de Marilyn B. Renfree (université de Melbourne) n’était pas de réaliser une chimère ou de tenter de faire revenir à la vie un animal disparu à la manière du scénario de Jurassic Park. Les trois chercheurs voulaient surtout étudier de plus près Thylacinus cynocephalus, ou thylacine, ou tigre de Tasmanie, ou encore loup marsupial.
Cet animal ressemblait étonnamment à un chien, mais en était en quelque sorte la version marsupiale. Son cousin actuel le plus proche est le diable de Tasmanie, vivant sur l’île du même nom, au sud de l’Australie. C’est là également que vivait le thylacine, après avoir abandonné l’Australie il y a plusieurs milliers d’années. Abondamment chassé au dix-neuvième siècle parce qu’on l’accusait de massacrer les moutons, il était déjà en voie d’extinction au début du vingtième siècle. Le dernier spécimen serait mort en 1936 au zoo de Hobart, en Tasmanie. Il a été heureusement abondamment photographié mais aussi filmé.
L’équipe américano-australienne, dont le travail vient d’être publié dans la revue Plos One, a extrait de minuscules quantités d’ADN (200 nanogrammes à 1 microgramme) de quatre restes de thylacine datant d’une centaine d’années, en l’occurrence trois embryons conservés dans de l’alcool et un fragment de peau avec son pelage. Les chercheurs ont jeté leur dévolu sur un gène, Col2a1, et plus précisément sur son enhancer, c’est-à-dire une séquence d’ADN qui conduit à augmenter la transcription de ce gène. Peu modifié par l’évolution, cet élément se retrouve chez tous les mammifères. Chez la souris, le gène Col2a1 favorise la synthèse du cartilage. Après avoir vérifié que le gène extrait était bien celui du thylacine (et non, par contamination, celui d’un être humain ou d’une souris fréquentant le laboratoire), les chercheurs ont pu analyser sa séquence, qui le rapproche du gène similaire du wallabie de l’île Eugène (Macropus eugenii), un autre mammifère marsupial.
Par des techniques de génie génétique, ces gènes ont été insérés dans des embryons de souris où ils se sont correctement intégrés au génome. Grâce à des colorations spécifiques, les chercheurs ont démontré que l’enhancer du Tigre de Tasmanie s’exprimait effectivement, conduisant, comme celui de la souris, à stimuler l’activité des chondrocytes, les cellules fabriquant le cartilage (qui deviendra de l’os chez l’adulte).
Un mécanisme génétique complexe, mais à peine changé depuis 150 millions d’années
Si cet enhancer est toujours fonctionnel, c’est que le gène Col2a1 a le même rôle dans la genèse du cartilage chez le thylacine et chez la souris. Or, les lignées auxquelles appartiennent ces deux mammifères ont divergé il y a 148 millions d’années. Cette indication est précieuse pour les biologistes, qui cherchent toujours à mieux comprendre la manière dont s’expriment les gènes. Leur fonction, qui est de servir à la fabrication d’enzymes, est régulée de manière complexe par d’autres éléments du génome, comme les enhancers et les promoteurs (faisant partie de ce que l’on a longtemps appelé la partie non-codante). Il semble aujourd’hui que l’évolution des espèces puisse reposer sur des modifications de cette régulation. De minuscules changements dans le génome peuvent ainsi aboutir à de grandes conséquences au niveau de l’organisme. Cet effet expliquerait notamment pourquoi, chez les mammifères, les gènes de la partie codante (et donc les protéines) diffèrent peu d’une espèce à l’autre.
Ce travail démontre aussi la possibilité d’étudier des animaux disparus jusque dans leur génome. A ce titre, ce n’est pas une première puisqu’un gène, impliqué dans la fabrication des pigments de la peau, a été étudié in vitro grâce à des restes de mammouths et d’homme de Néandertal. Mais l’expérience a été conduite plus loin, avec une expression in vivo, permettant de vérifier jusqu’au bout la fonctionnalité du gène.
« A l’heure où le rythme d’extinction d’espèces atteint un niveau alarmant, spécialement chez les mammifères, la [découverte de cette possibilité] est cruciale » insiste Marilyn Renfree, de l’université de Melbourne.
Tant qu’on ne resucite pas les dinosaures on ne risque rien !!!