Harold était satisfait. Le tournage était bouclé. Les images devaient être bonnes. Il pensa que les gros plans du Koursk devaient être impressionnantes. Contre toute attente les Russes avaient permis à l’équipe de pénétrer dans l’épave. Même amputé de sa partie avant, de son compartiment des torpilles, le monstre restait impressionnant. La tourelle culminait à dix huit mètres de haut. Initialement, le Koursk atteignait cent cinquante quatre mètres de long. Construit autour de deux coques jumelées il avait une section elliptique. Tout se passait comme si ce submersible de chasse, fleuron de la marine russe, lancé en 1994 était constitué par deux submersibles accolés, chacun ayant son propre réacteur nucléaire développant cent quatre vingt dix mégawatts.
Harold avait posé la question de sa vitesse à l’ingénieur en chef de la société qui avait construit le submersible, l’entreprise Rubine.
– Et ce sous-marin peut aller à la vitesse de ? ….
L‘autre avait éludé :
– Il peut aller … très vite.
Les Russes ne pouvaient évidemment pas donner de chiffre exact. Certains disaient qu’il pouvait faire des pointes à une vitesse étonnante pendant un temps limité en poussant ses deux réacteurs à fond. Mais ce n’était que des bruits.
Pas mal d’installations semblaient avoir été démontées à l’intérieur du submersible. On apercevait des emplacements vides dans des racks. Sur les deux flancs de la machine on pouvait voir les containers des missiles Granit, inclinés à 45°. Ceux-ci avaient été enlevés mais l’équipe avait pu se procurer des photographies de ces missiles de croisière hypersoniques.
Missiles de croisière Granit, à têtes nucléaires
A l’arrière de l’épave du Koursk, renflouée, les puissants arbres d’hélices ressemblaient à des canons. Les hélices avaient été enlevées, de même que leurs carénages cylindriques. Tout cela avait été effectué au fond par des plongeurs avant la remontée de l’épave. Sans doute l’allure des pales et la forme du carénage auraient-ils permis d’en déduire la vitesse que pouvait atteindre le sous-marin, que les Russes préféraient voir tenue secrète.
Lorsque qu’on leur avait fait visiter l’entreprise Rubine on leur avait montré différentes photos, dont celles de la partie avant qui avait en principe été laissée au fond de la mer de Barentz. Harold, de même que les différentes personnes à qui on avait montré ces clichés pris par des plongeurs, avait pu remarquer que les tôles déchiquetées étaient tordues vers l’extérieur ce qui accréditait la thèse d’une explosion accidentelle dans le compartiment des torpilles, explication que les Russes poussaient désormais en avant. Cela contrastait un peu avec les déclarations qu’avaient pu faire certains responsables dans les premiers jours qui avaient suivi le naufrage et qui faisaient état d’une collision avec un sous-marin anglais. Mais là, l’affaire semblait classée. Tous avaient fini par se mettre d’accord. L’état-major expliquait à qui voulait l’entendre « qu’une torpille au peroxyde hydrogène », autrement dit à l’eau oxygénée, avait accidentellement pris feu, l’incendie, impossible à maîtriser s’étant ensuite communiqué à l’ensemble du compartiment de tir.
Harold avait l’impression d’avoir fait le tour du problème. Il n’y avait eu aucune anicroche et ils avaient même terminé avec deux jours d’avance sur le programme. Il décida d’offrir un repos bien mérité à toute l’équipe : deux jours à Moscou, avec quartier libre. Il descendit à l’hôtel National. Le soir, il ferait un tour dans le dancing, au sous-sol. En vingt ans les choses ne devaient pas avoir beaucoup changé. Le champagne devait toujours couler à flot et le caviar se servir à la louche, à la différence près que les anciens du KGB et la nomeklatura devaient maintenant côtoyer les nouveaux milliardaires et, bien sûr, ceux de la mafia russe. .
Un employé de l’hôtel lui remit une enveloppe cachetée. Il l’ouvrit. Le message était laconique.
– Je vous attends dehors dans une Zis portant un fanion bleu.
Il emprunta la porte à tambour. A l’écart d’une file de taxis hors d’âge il aperçut une puissante limousine russe Zis et reconnut la fanion du ministère des armées. La porte de la voiture s’ouvrit.
– Monsieur Harold, je vous prie…
Il s’installa à côté d’un homme en tenue bleu marine d’amiral de la flotte russe.
– Vous êtes ?
– Peu importe…..
L‘homme frappa à la vitre de séparation en faisant signe au chauffeur de rouler.
– Nous allons ?
– Nous n’allons nulle part, monsieur Harold. Nous allons un peu rouler et parler, c’est tout. Après, je vous ramènerai à votre hôtel. C’est mieux dans la voiture. Il y a un demi-siècle que l’hôtel National est bourré de caméras et de micros.
– Il a effectivement cette réputation d’être… très bien équipé.
– Vous venez de terminer votre reportage sur le Koursk.
– Oui, nous rentrons demain. Ce fut… intéressant.
– Et vous avez tout gobé ?
– Eh bien, ce qu’on a pu nous dire avait l’air, somme toute, assez cohérent. On nous a tout montré. Une torpille un peu hors d’âge explose, provoquant un incendie dans la chambre des torpilles, impossible à maîtriser. Quelques minutes plus tard, tout explose. On nous a montré une photo assez convaincante.
– Vous ne trouvez pas étrange qu’on se soit livré à cette opération consistant à scier tout le compartiment avant ?
– On m’a dit que c’était lié à des problèmes de technique de renflouement.
– Et cette partie avant a ensuite été détruite…
– Cela me parait assez normal, non ?
– Vous avez trouvé aussi normal qu’on mette aussi longtemps, officiellement, à localiser ce sous-marin dans la mer de Barentz dont la profondeur n’excède pas cent sept mètres ? C’est quarante mètres de moins que la longueur du Koursk. Dans n’importe quelle marine on ne mettrait pas plus de dix minutes à localiser une telle masse métallique à une aussi faible profondeur. Dans notre aéronavale nous avons des appareils équivalents à vos Lokheed « Neptune ».
– Ceux qui ont une longue excroissance à l’arrière.
– Où se trouve un magnétomètres. Un avion décollant de Mourmansk n’aurait pas mis bien longtemps à trouver l’épave.
– On dit qu’il y a eu beaucoup d’erreurs commises.
– A ce point ? Nous sommes en complète déconfiture, j’en conviens, mais il ne faut quand même pas exagérer. Il s’agissait de manœuvres. Le Koursk, qui avait été lancé deux ans plus tôt était entouré par de multiples unités. Le premier imbécile venu aurait pu retrouver ce sous-marin. De toute façon vous savez très bien que les sonars des navires ont enregistré des coups frappés, des S.O.S.
– Oui, on m’a également dit cela.
– Le Koursk était sur un fond de 107 mètres. Sa hauteur totale est de dix-huit mètres. Ses écoutilles de pont étaient à 90 mètres de la surface. A une telle profondeur on peut évacuer avec des dispositifs individuels.
Il sortit des photos d’une chemise.
– Tous nos sous-marins sont équipés de tels dispositifs d’évacuation. Vous avez les mêmes, à peu de choses près. Cela permet de quitter un sous-marin à des profondeurs allant jusqu’à deux cent mètres. Si la profondeur avait été beaucoup plus importante il aurait fallu utiliser les deux barges de secours qui étaient situées dans la tourelle.
– Oui, j’ai vu. Cela ressemble à deux petits sous-marins situés côte à côte où l’ensemble de l’équipage peu prendre place. Mais on nous a dit qu’elles étaient coincées.
– Coincées ?
– On nous a dit que la violence de l’explosion avait déformé le sous-marin.
– Jusqu’à sa partie arrière, de telle manière qu’aucun sas de sortie n’ait pu être utilisé ? Vous plaisantez….
– Je ne fait que répéter ce qu’on nous a dit à Mourmansk.
– Les barges étaient dans la tourelles, à proximité de l’endroit où l’explosion s’est produite. Mais il restait au delà de nombreux sas. Vous savez que sur le Koursk tout est doublé.
– Oui, puisque sa coque est double.
– A chaque niveau il y a deux sas. A moins de quatre vingt dix mètres de profondeur, remonter d’un sous-marin avec un équipement individuel est une chose très facile. Les marins le font, à l’entraînement.
– Mais il y a le froid ?
– Vous vous croyez toujours au temps de la seconde guerre mondiale. Vous croyez qu’en cinquante ans les équipements d’évacuation n’ont pas évolué. Regardez ces photos.
Sur la première on voyait un sous-marinier portant à la main on objet qui avait la taille et la forme d’un attaché-case. Sur le second cliché on voyait trois hommes ayant revêtu des tenues qui les faisaient ressembler au « père Ubu ». La tête était prise dans une coiffe pointue, portant un hublot transparent souple, en face du visage. Sur la photo suivante on voyait les hommes gagnant une salle d’évacuation.
Tenue d’évacuation des sous-mariniers occidentaux
– Je vous explique. Quand les hommes sont équipés, le responsable de l’opération leur demande de fermer leurs tenues. Puis il pressurise la salle à la même pression que celle qui règne en dehors du sous-marin, ce qui aurait fait dix atmosphères vue la profondeur à laquelle reposait le Koursk. Là, vous le voyez sur la photo : tous ont admis un peu d’air dans leur tenue, à l’aide de la bouteille qui se trouve fixée sur leur combinaison. Les chaussures sont un peu lesté. L’air se rassemble dans le haut de la combinaison.
– Ça les fait ressembler à des spermatozoïdes.
– Ça les empêche surtout de se casser la figure en marchant vers le sas de sortie. Si leurs tenues sont trop gonflées et que leur flottabilité est trop importante ils peuvent évacuer un peu d’air avec la soupape que vous voyez-là.
– Ça semble logique jusqu’ici.
– Ensuite ils se mettent sous le tunnel d’évacuation. Il ne leur reste plus qu’à gonfler complètement leur habit. Alors ils montent comme des ludions, à trois mètres par seconde.
Le cliché suivant montrait un homme ainsi équipé, jaillissant du sas au milieu d’un nuage de bulles.
– L’habit, vous le voyez, est profilé. C’est ce qui leur permet de remonter aussi vite. Avec ces tenues les hommes pouvaient quitter le Koursk et gagner la surface en trente secondes. Après, ils auraient eu de l’eau jusqu’à la poitrine seulement. Comme les chaussures sont lestées, l’habit se comporte comme une bouée. Les hommes ont alors tout le temps de déployer un canot autogonflable qui est dans ce cas, sur leur cuisse gauche. Ils peuvent s’y glisser et attendre les secours tout tranquillement, assis dans un canot insubmersible en mangeant des blinis et en lisant la Pravda.
– Ce que vous êtes en train de nous expliquer c’est que tous les marins du Koursk possédaient ces équipements individuels de survie. Vous dites aussi que vous ne croyez pas au fait que toutes les issues aient pu être faussées lors de l’explosion du compartiment avant.
– De plus, autour de l’épave des dizaines de bateaux fourmillaient, des unités russes et des unités étrangères. Il y avait à bord des dizaines de des dizaines de plongeurs équipés de bouteilles remplies de mélange oxygène-hélium avec lesquelles ils pouvaient aisément descendre à une telle profondeur. De toute façon, à quatre-vingt dix mètres ont peut encore plonger à l’air pur, sans mélange. Les navires étaient équipées de chambres de recompression, de cloches à plongeurs.
– Pendant des jours la presse a dit qu’on attendait les secours…..
– Et vous avez cru à une telle ânerie ? Imaginez que vous entendiez dans vos propres médias « Un sous-marin a coulé dans la baie de Saint Tropez sur un fond de trente-cinq mètres. On attend les secours ».
– J’ai fait un peu de plongée. Je crois qu’à une telle profondeur je tenterais une simple remontée en apnée.
– Toutes les conditions étaient là pour sauver le maximum de marins à partir d’une épave reposant à une profondeur aussi faible. Si le sous-marin avait été sur un fond de quatre cent mètres, c’eut été différent. Mais là ! De plus, à une telle profondeur on peut tenter beaucoup de choses. Si les sas avaient été coincés, des plongeurs auraient pu tirer sur ces portes avec des « parachutes » emplis d’air avec lesquels ils auraient pu mettre en œuvre des forces de plusieurs tonnes.
– De quoi décoincer n’importe quoi. La question est alors « pourquoi les marins du Koursk n’ont-ils pas tenté de sortie ».
– Parce que toutes les issues avaient été verrouillées.
– De l’intérieur ?
– Non, de l’extérieur.
– Des l’extérieur !?!
– Le Koursk était en mission spéciale. Cela se passe toujours ainsi dans ce genre de mission. Vous vous rappelez l’histoire du pilote américain Gary Powers ?
– C’était le pilote d’avion espion U2 que vous aviez abattu au dessus de l’URSS.
– Pendant des années ces avions subsoniques, construits en bois pour donner un écho radar faible, ont survolé tout tranquillement notre territoire. Mais un jour nos fusées ont été assez efficaces pour toucher un U2.
– Alors le pilote s’est éjecté.
– Vous plaisantez ! Powers a préféré se poser en planant. Il savait que s’il avait tiré sur la poignée de son siège éjectable ce geste aurait provoqué immédiatement la mise à feu de charges détruisant totalement l’appareil, et le tuant du même coup.
– Les pilotes des U2 savaient cela ? Alors, pourquoi mettre des sièges éjectables ?
– Justement, ils ne le savaient pas. Powers lui, s’en doutait, et bien lui en a pris. Au sol, nous avons pu vérifier qu’il avait vu juste. C’est pareil pour tous les avions espions. Si vous volez à plus de Mach trois à bord d’un SR-71 « Blackbird », si vous êtes touché et que vous actionnez le siège éjectable cela sera simplement une façon d’en finir plus rapidement avec l’existence. Même chose pour les avions espions comme le F-117A. Celui-là a été entièrement mis au point de nuit, au Nevada, dans la base américaine de Tonopah. Avec un tel fer à repasser, si vous avez un ennui il est impossible de se poser en plané. On sait qu’il y a eu plusieurs crashes aux essais.
– Et aucun survivant ?.
– Bien entendu.
– Il y avait donc à bord du Koursk quelque chose qui devait échapper à la curiosité, rester totalement secret.
– Tout à fait. Quand il a sombré, le croiseur amiral Pierre le Grand, un croiseur nucléaire, a envoyé un message à toutes les unités présentes, qu’elles soient russes ou non-russes.
– Qui disait ?
– Que toute unité qui s’approcherait du Koursk à moins de cinq miles serait immédiatement envoyée par le fond. Et lui-même fit mouvement pour l’éloigner de l’épave. Juste avant d’opérer ce mouvement il a envoyé un signal codé verrouillant toutes les issues du Koursk.
– La mission du Koursk, c’était quoi ?
– Vous n’allez d’abord pas vous imaginer qu’à bord du Koursk on charge des torpilles fonctionnant au peroxyde d’hydrogène. Ces antiquités, fort dangereuses puisqu’elles ont jadis envoyé par le fond un sous-marin anglais il y a une trentaine d’années sont bonnes pour la marine à voile.
– Mais on m’a dit que ces torpilles, avec mélange carburant-comburant actionnant une turbine, et qui atteignent 120 km/h, étaient toujours en service dans la marine française.
– Tirées à partir d’hélicoptères, seulement. Aucune marine du monde n’envisagerait de loger ces joujoux à bord de sous-marins. Les torpilles de vos sous-marins de chasse fonctionnent avec des piles. Sept mètres de long, quatre cent ampères, autoguidées par sonar.
– Et sur le Koursk ?
– La Koursk avait déjà des torpilles à réaction, des Sqwal.
Torpille russe Sqwal. Cette vue arrière montre son propulseur à poudre
Le général montra à Harold une photo. – Cela fonctionne comment ?
– Au centre, le divergent d’un simple propulseur à poudre. Un autre générateur éjecte du gaz chaud à l’avant et à travers les parois de la torpille. En se mélangeant à l’eau de mer il la vaporise.
– Astucieux. La torpille chemine alors dans un environnement gazeux et non liquide.
– Le frottement est alors plus faible et ces engins peuvent alors atteindre cinq cent kilomètres à l’heure.
– J’imagine que la trajectoire est alors simplement balistique, je suppose. Je vois mal comment une torpille pourrait « voir » quoi que ce soit à travers un environnement gazeux aussi turbulent.
– Que faites-vous des tiges qui se déploient, sur les côtés, après éjection hors des tubes ?
– C’est quoi, ces objets ?
– Ce sont des dérouleurs. La torpille est filoguidée. On sa suit au sonar, ce qui n’est pas bien difficile vu le bruit émis par son propulseur fusée et on la guide en envoyant des ordres à l’aide de simples fils électriques. C’est un système vieux comme le monde.
– Pourquoi est-ce que ces tiges dépassent, comme cela ?
– Pour que les fils soient déroulés en dehors de la la gaine de vapeur l’eau qui entour la torpille.
– Mais après, l’engin se pilote comment ?
– Vous voyez ces tuyères secondaires, tout autour de la tuyère centrale. Elles sont alimentées par le même générateur de gaz qui éjecte vers l’avant. Il suffit de contrôler leur débit.
– La perte du Koursk a peut-être résulté de l’explosion d’une torpille Sqwal.
– L’explosion spontanée d’une torpille à poudre, vous plaisantez ? Jamais un missile à poudre n’a explosé à bord d’un sous-marin lance-engins.
– Il y a quand même eu l’explosion de la navette spatiale Colombia ?
– Une explosion qui s’est produite après l’allumage. Ces fusées ne sont dangereuses qu’après que la combustion de la poudre ait été amorcée. C’est la raison pour laquelle les missiles nucléaires ne sont jamais mis à feu à l’intérieur d’un sous-marin, seulement à l’extérieur, après leur éjection par de l’air comprimé. Pour les Sqwal on procède de la même façon. Ainsi il était impossible que ce genre de torpille, qui était effectivement présente à bord du Koursk ait explosé. Je crois que vous ignorez beaucoup de choses sur l’état actuel de la technique.
– Certes. Si la Sqwal, qui file déjà à cinq cent kilomètres à l’heure est un engin dépassé, alors qu’y a-t-il de mieux aujourd’hui ?
– Avec les Américains, nous sommes les deux seules puissances à détenir des torpilles MHD.
– Qui fonctionnent comment ?
– Ces torpilles sont de plus gros diamètre : un mètre. Elles ont d’abord un propulseur à poudre, disposé comme celui du Sqwal. Dans le divergent se trouve un générateur MHD d’électricité. Cette puissance électrique est alors envoyée vers les électrodes d’un accélérateur pariétal, qui suce alors très efficacement l’eau de mer vers l’aval.
– Vitesse ?
– Trois mille kilomètres à l’heure.
– Un prototype ?
– Pas du tout. Comme les Américains nous disposons des ces torpilles hypervéloces depuis vingt ans. Chez eux, l’équivalent de la Sqwal s’appelle supercav. Cav pour « cavitation ». La cavitation est le phénomène de passage de l’eau de mer à l’état de vapeur. Mais ils ont aussi des torpilles MHD, cinq fois plus rapides.
– Je suppose que le Koursk avait ce type de torpilles à bord. Mais dans la mesure où ces engins existeraient depuis vingt ans chez les Russes et les Américains, où serait le problème ?
– Le problème c’est que la Russie manque d’argent et est prête à vendre n’importe quoi à n’importe quel client qui ait suffisamment d’argent et soit prêt à payer cash.
– Qui peut être intéressé par ces torpilles hypervéloces ?
– Beaucoup de gens, mais en premier lieu les Chinois.
– Les futurs adversaires des Américains, maintenant que vous êtes hors course.
– Après que le Koursk ait quitté son port d’attache un hélicoptère l’a rejoint, amenant à son bord un général chinois et trois militaire arabes. Il avait été prévu de faire devant eux une démonstration de celle que nous nommons « la Grosse ». Mais vos services secrets ont été mis au courant de ce projet. Si les Chinois disposaient de torpilles aussi rapides cela pouvait créer un grave déséquilibre stratégique.
– Effectivement, celui qui possède ces torpilles peut détruire en quelques secondes les plate-formes de tir nucléaire de son adversaire.
– Cela serait le premier acte de guerre.
– Les Américains se sont opposés à ce dangereux projet de transfert technologique.
– Un sous-marin anglais s’est approché et est entré en contact avec le Koursk par sonar. L’ordre lui a été donné de faire surface et de livrer ses VIP. Le capitaine a ignoré l’ordre, alors l’anglais a coulé le Koursk.
– Il a tiré une torpille ?
– Non, cela aurait laissé une empreinte acoustique aisément repérable. Il y a eu abordage.
– Abordage ?
– On dirait que vous semblez ignorer toutes ces choses, monsieur Harold. Depuis 1967 il y a eu plus de vingt collisions entre sous-marins, dont plusieurs ont entraîné la destruction d’un des bâtiments.
– On dit que cela se produirait quand les turbulences du sillage d’un des sous-marins rendraient le sonar de l’autre inopérant.
– On dit… n’importe quoi. Il est difficile de se faire la guerre au vu et aux yeux de tous. Mais sous la mer, les choses ne laissent pas de traces.
– Vous voulez dire que, sous la mer, les sous-marins se détruisent par simple abordage ?
– Pas exactement. Dans le cas du Koursk, le sous-marin anglais est venus au contact, contre le compartiment avant. Puis il a tiré un engin perforant dont le bruit s’est confondu avec une première explosion. Celui-ci a troué la coque. Le système de perforation a été un secret très bien gardé pendant de nombreuses années. L’engin produit une onde de choc circulaire qui découpe la coque aussi nettement que pourrait le faire un ouvre-boite. Vous n’avez pas remarqué ce trou circulaire, près de la chambre des torpilles avant, sur tribord ?
– J’avais cru qu’il s’agissait d’un trou créé par des plongeurs, lorsqu’ils sont venus inspecter la coque avant renflouement.
– Vous imaginez que des plongeurs auraient ménagé un trou parfaitement rond, tracé au compas.
– Effectivement, vu sous cet angle….
– Cet orifice a alors permis au sous-marin américain, qui était à ce moment précis au contact avec le Koursk de projeter à l’intérieur une charge dont la mise à feu était réglée sur deux minutes à l’aide d’une minuterie. L’attaquant a alors pu battre arrière toute pour s’éloigner et se mettre à l’abri.
– Mais pourquoi ne pas avoir attaqué le Koursk avec une simple torpille ?
– Parce que son signal acoustique aurait été immédiatement détecté par tous les navires croisant dans les parages. Le « tir au contact » génère un autre type de signal. C’est une simple explosion.
– Mais comment le sous-marin attaquant peut-il aborder ainsi un submersible comme le Koursk ?
– Les avants de ces sous-marins américains ont été spécialement aménagés pour amortir le choc. Ceci étant, ça doit quand même secouer à l’impact. Mais l’abordage s’est pratiqué de tous temps, à commencer par les galères antiques.
– Je comprends maintenant pourquoi on a enregistré deux explosions. Une première, faible et une seconde, beaucoup plus puissante.
– Mais le choc a été quand même si important que l’ensemble élastique constituant l’avant du sous-marin américain a été endommagé.
– Je comprends pourquoi, dans les premiers jours on disait que le Koursk avait été abordé par un submersible anglais, qui avait du filer vers un dock fermé pour aller faire réparer ses avaries, au secret. Après, le cent survivants sont simplement morts par asphyxie, dans leur cercueil sous-marin pendant qu’on faisait croire n’importe quoi à la presse.
– Il y a quand même eu une tentative de sauvetage, celle des VIP. Un bateau portant deux sous-marins de poche s’est approché. L’un d’eux a été mis à l’eau et est arrivé au contact du Koursk pour s’y arrimer.
– J’ai entendu parler de cette histoire. On dit que le courant s’est avéré trop fort pour que la manœuvre soit possible.
– On vous a encore dit n’importe quoi et vous l’avez cru. En fait ce sous-marin ne pouvait emmener en tout et pour tout que seize personnes. Le capitaine a alors dit à l’équipage « qu’on reviendrait les chercher ». Mais personne ne les a crus. Il y a eu mutinerie.
– Comment savez-vous cela ?
– La pièce contenant les armes était vide et la porte donnant accès aux commandes de tir des missiles de croisière Granit, à tête nucléaire a été trouvée ouverte. Celui qui en avait la charge a été retrouvé allongé devant, avec une balle dans la tête. Quand on a sorti les corps de l’épave ils ont été emportés dans des sacs fermés. Il a fallu ensuite pratiquement une année pour les « préparer » avant de les montrer aux familles.
– On a fait disparaître les blessures par balle ?
– Exactement.
– Il y a une chose qui m’a étonné. Le Koursk a fait l’objet d’une visite de la part de plongeurs, des mois après le drame. J’ai vu des images. Ils ont trouvé tous les compartiments arrières inondés. Les hommes sont tous morts par noyade.
– Vous croyez qu’un sous-marin se met à fuir comme une passoire, comme ça, au bout de quelques mois ?
– J’ai trouvé ça bizarre.
– Quand les hommes se sont sentis abandonnés à l’intérieur de l’épave pour raison d’État, ils ont eu un geste désespéré, ont menacé de tirer un missile de croisière Granit, à tête nucléaire, si on ne venait pas les sortir de là.
– Et alors ?
– La réponse a été simple. Un sous-marin de poche a été amené, de nuit, avec des plongeurs. Ceux-ci se sont positionnés à l’arrière du sous-marin. Ils sont entrés en contact avec les survivants en tapant sur la coque, en morse. On leur a dit qu’un sous-marin de secours allait s’amarrer sur le sas arrière pour les tirer de là.
– Et il n’y avait pas de sous-marin de secours ?
– Non. Les plongeurs ont simplement amarré la porte du sas à des « parachutes » en caoutchouc, qu’ils ont gonflé d’air après avoir déverrouillé celle-ci manuellement. La porte s’est ouverte et tous les hommes, qui s’étaient massés près du sas de sortie, prêts à embarquer ont été noyés instantanément.
Harold devint songeur. Après avoir cerclé dans la banlieue de Moscou la Zis avait repris le chemin du centre ville. La neige s’était mise à tomber. Tout prenait alors un sens, s’éclairait sous un jour nouveau : la lenteur incompréhensible des secours et le reste. On avait d’abord décidé de laisser ces cent marins crever comme dans un cercueil, puis on les avait carrément assassinés.
– Voilà, monsieur Harold, je vous ai ramené à votre hôtel. Tenez, vous pourrez garder ce parapluie, j’en ai un autre.
Harold sortit du véhicule, encore sous le choc après tout ce qu’il venait d’entendre. Avant que celui-ci ne reparte il frappa à la fenêtre du véhicule.
– Amiral… pourquoi… pourquoi m’avoir dit tout cela ?
L‘homme sortit une photo de sa poche et la lui montra. Harold vit le visage d’un jeune homme blond très beau qui ne devait pas avoir plus de vingt ans.
– C’est mon fils. Il était dans le Koursk.